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Insolite et Faits divers

Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 31

David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre. Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 31e semaine et ultime semaine d'audience.  >> Le journal de la trentième semaine Sept jours Mercredi 22 juin. 145e jour d’audience. Le temps se compresse plus que jamais et vu le nombre de demandes d’interview que je reçois, on est proche de la fin. J’hésite toujours à répondre aux sollicitations de la presse étant donné que je tiens le journal et qu’à travers lui, je livre beaucoup. Alors je privilégie les médias étrangers pour que les dix mois résonnent outre-Manche, outre-Rhin et ailleurs. J’ai de moins en moins de temps pour m’asseoir dans la salle des criées mais j’essaye de m’y accrocher comme un semblant de quelque chose. Au fond, il ne reste qu’une semaine et même l’air dans la salle d’audience principale semble vrombir d’excitation. Ce matin, la fille d’une grande amie m’accompagne au Palais et comme un véritable guide, je lui fais la visite du sanctuaire et lui raconte nombre d’anecdotes sur la salle des pas perdus. Cela peut paraître étrange, mais je suis heureux de pouvoir montrer tout ça à quelqu’un de l’extérieur. C’est au tour de la défense de Sofien Ayari de plaider aujourd’hui. Je n’ai pas eu le temps de voir la plaidoirie de maître Maallaoui et l’audience est suspendue pour un moment. J’en profite pour faire le portrait de Mathilde Lemaire et Gaële Joly, toutes deux journalistes au service police-justice de franceinfo. C’est la photo du jour. J’ai pensé hier à tourner le micro vers Gaële pour qu’elle me confie un peu son avis sur l’audience et sur la genèse du journal. Je n’ai pas l’habitude de l’exercice et j’hésite un peu dans mes questions et mon montage est un peu hasardeux je crois, mais bon, comme je le dis souvent, je ne suis pas journaliste. Retour dans la salle des pas perdus pour écouter l’impressionnante plaidoirie de maître Gultasar. Mais suivre l’audience relève désormais du défi tant tout se superpose. Les écrans de retransmission continuent de tomber en panne et n’aident pas. Je fais un bref aller retour dans la salle principale particulièrement pleine pour discuter avec Bruno et lui remettre ce que j’ai appelé “mon dernier carnet”. Cela fait longtemps que j’ai arrêté de noircir les pages de mes cahiers, mais celui-ci est spécial. C’est un carnet que Nadine Ribet-Reinhart m’a offert il y a plusieurs mois et que j’ai gardé pour cette dernière semaine. Ce carnet, qui ne m’est pas destiné est voué à recueillir les mots des amis, des gens que j’ai cotoyé pendant dix mois au Palais de Justice. À vrai dire, je n’en ferai personnellement rien, mais je compte en faire don aux Archives nationales afin qu’un jour, d’autres se penchent sur ces mots. J’écris ces paragraphes attablé dans un bruyant café près de mon domicile. Une odeur de cigarette traîne dans l’air et les gens discutent alors que les sonettes des vélos qui passent tout près résonnent dans le restaurant. D’ici, le Palais paraît lointain et distant, pourtant m’extraire de lui fut rude aujourd’hui. C’est étrange, cette façon dissonnante d’être attaché à une chose qui fait si mal, qui interroge tant et qui va bientôt s’éteindre. Je parle souvent de souffle, de respiration, d’air, d’oxygène, comme si on était au sommet de l’Everest et je repense aux mots d’Aurélie qui nous qualifiait, Arthur et moi, de compagnons de cordée. Comme si dans le fond, nous étions, nous, victimes et parties civiles finalement pratiquement arrivés sur le col à gravir. Demain, je ne viendrai pas à l’audience, nous fêtons nos quatre ans de mariage mon épouse et moi. Nous y sommes presque et je sens au fond de moi poindre une énergie que je connais trop bien. Celle d’un bloc de mémoire qui termine son dernier déplacement sur l’échiquier de ma vie. À vendredi. Mathilde Lemaire et Gaële Joly, journalistes au service police-justice de franceinfo. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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