Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 20
Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la dix-neuvième semaine d'audience.
>> Le journal de la dix-neuvième semaine
Le creux de dix mois
Mardi 1er mars. Il est 13 heures, je regarde mon téléphone : “T’es là mon pote ?”, c’est Bruno. J’ai un peu de retard ce midi, la séance de sport a duré plus de temps que prévu. Après deux longues semaines de creux, le procès redémarre enfin. En plus de la crise sanitaire du Covid, depuis jeudi dernier la Russie envahit l’Ukraine, la guerre est aux portes de l’Europe mais la reprise de l’audience semble imperturbable, la justice suit son cours mais mon esprit reste tourné vers nos voisins.
Cette semaine, nous retrouvons les enquêteurs belges et leur bureau en U à l’envers. Chaque jour, ils reviendront sur les constatations faites dans les caches et véhicules retrouvés quelques mois avant les attentats. La salle des criées est clairsemée aujourd’hui, seuls quelques journalistes et une chercheuse ont fait le déplacement. Il faut dire que les longs monologues techniques des enquêteurs n’attirent généralement pas les foules. Après de nouvelles constitutions de parties civiles, la projection démarre et la voix du policier identifié avec une suite de chiffres retentit dans les enceintes. A l’entendre, je reconnais un homme que nous avons déjà entendu en décembre dernier.
Pour cette première journée, l’enquêteur dépose les investigations faites dans des logements et véhicules utilisés par la cellule derrière les attentats entre août et septembre 2015. Après quelques problèmes techniques pour lancer sa présentation, ponctués de “excusez-moi monsieur le Président”, l’enquêteur démarre enfin. Il commence en faisant référence à un accusé non présent dans le box : Ahmed Dahmani, un ami d’enfance de Salah Abdeslam (incarcéré en Turquie) et un grand absent du procès. Il poursuit en faisant référence au véhicule retrouvé dans un parking qui a permis d’arrêter l’homme. Dans la voiture, les enquêteurs retrouvent 14 fausses cartes d'identité, un drapeau de l’État Islamique, des perruques et des lunettes. Il projette ensuite quelques-unes des trouvailles. Malgré la perruque et les lunettes, on reconnaît facilement les traits de Salah Abdeslam sur une des fausses cartes.
Je suis la déposition avec attention tandis que l’enquêteur présente, cache après cache, les trouvailles et scellés retrouvés. Afin de mieux visualiser les appartements visités, il projette des plans et photographies des lieux comme pour nous glisser dans l’intimité des anciens occupants. À l’image : des tasses, des couverts, des assiettes et brosses à dents utilisées par la cellule terroriste derrière les attentats. Sur les plans, en rouge, sont indiqués les lieux où des traces d’explosif ont été trouvées. Derrière ces projections, c’est un fragment de leur quotidien, des moments qu’ils passaient ensemble avant de semer la mort dans les rues de Paris. Durant la suspension, je repense au terme d’"appartements conspiratifs” emprunté par la presse aux policiers. J’imaginais alors des logements sombres, sans fenêtres et cachés, mais la maisonnette en briques rouges dans un quartier calme que nous présente l’enquêteur me fait mentir, la plongée dans le pas des terroristes et des accusés est choquante. Les photos des différents logements ressemblent à celles d’un funeste agent immobilier.
Après la suspension, le président annonce qu’il n’a pas de questions et la cour non plus. C’est Nicolas Braconnay, avocat général qui représente le Parquet national antiterroriste, qui démarre les questions. Au bout d’un certain temps, il revient sur une des diapositives de l’exposé. Sur celle-ci, une photographie en plongée sur laquelle nous pouvons voir, déposés à plat, des objets retrouvés dans un des appartements. L’avocat général pointe du doigt le fait que les fils blancs qu’on voit sur la photographie sont les mêmes que ceux retrouvés sur les restes des gilets explosifs du Stade de France et du Bataclan, l’enquêteur abonde. Mon esprit enregistre l’image. Seules deux avocates des parties civiles, Maître Topaloff et Maître Coviaux, interrogent le policier.
J’arrête l’écriture ici pour aujourd’hui, je n’arrive plus à suivre.
Je reprends l’écriture le mercredi 2 mars. Je suis assis seul dans la salle des criées et à l’inverse d’hier je suis en avance. En bruit de fond, les ventilateurs du projecteur accompagnent mes mots ; à l’image, quelques gendarmes et une partie civile se baladent dans la salle principale. Ce n’est pas la première fois que j’ai l’impression d’assister au réveil d’une sorte de village version Palais de Justice. Ces derniers jours ainsi qu’hier, mon esprit fût tourné vers la famille Mondeguer, et plus spécialement vers Jean-François Mondeguer, décédé il y a tout juste deux ans. Ce n’est pas la première fois que je parle de lui dans le journal de bord, y compris parce qu’une de mes grandes rencontres dans ce procès est son fils, Gwendal. C’est aux côtés de Jean-François et ceux de Stéphane (mon potage*) que j’interviens en classe fin 2019, au lycée Saint-Michel-de-Picpus. De mémoire, je me souviens de la pudeur avec laquelle il évoque sa fille, sa famille, sa douleur mais aussi ce qui lui permettait de continuer à se battre : la justice. Très investi dans le milieu associatif des victimes du terrorisme, Jean-François était membre de Life for Paris, 13Onze15 Fraternité et Vérité mais également membre d’associations plus historiques, comme l’AFVT**. À l’inverse de nombreuses parties civiles (dont je fais partie) il fréquente dès 2018 les salles d’audience liées aux attentats, il s’était d’ailleurs rendu en Belgique exprès. Gwendal me raconte qu’il connaissait le dossier sur le bout des doigts. Les mois passés, il m'arrive d’observer les bancs de la grande salle d’audience en bois et de l'imaginer observer la cour avec attention. En regardant son fils, je comprends que c’est lui qui a repris le flambeau, le regard tourné vers V13.
Quelques journalistes entrent dans la salle des criées et me tirent de ma réflexion, derrière moi, le chef de la sécurité incendie râle, il fait chaud, sûrement les prémices du printemps. Pour ce billet d'après pause, j’avais envie de partager cette photo de Jean-François et Lamia que Gwendal garde toujours sur lui, pour que l’on se souvienne.
La photo de Jean-François et Lamia que Gwendal Mondeguer garde toujours sur lui. Lamia fait partie des victimes des attentats du 13-Novembre. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)
Cet après-midi, l’enquêteur auditionné poursuit dans la lignée de celui d’hier et revient sur l’enquête des différentes caches. À la reprise de l’audience, le président fait lecture d’arrêts de la cour d’assises au sujet d'un refus de constitution en partie civile. Nous attendons quelques minutes que la connexion avec la Belgique soit faite.
L'enquêtrice démarre sa présentation et nous sommes tout de suite projetés dans les limbes des dossiers belges. Elle décrit avec précision le modus operandi utilisé par la cellule (dont une partie est présente à l’audience) pour contracter des baux afin d’avoir accès à des logements en Belgique. Nous retrouvons les fausses pièces d’identités déjà présentées hier, ici Mohamed Bakkali toujours affublé d’une perruque et d’une paire de lunettes. Sur une carte, nous suivons à la trace, grâce à des points verts, les déplacements de tous les acteurs des attentats. Nous retrouvons le même type de photographies d'appartement qu'hier, à grands coups de flash et de grand-angle, façon location de vacances. L'enquêtrice précise : "Des recherches de traces de TATP*** ont été faites dans l'appartement, et de nombreux résidus ont été trouvés dans toutes les pièces." Elle poursuit en donnant force détails sur les déplacements et connexions téléphoniques autour de l'appartement et conclut en projetant l'image d'un sac de courses en plastique rempli de boulons, boulons que je ne connais que trop bien. La présentation se poursuit de la même façon pour l'ensemble des caches. Je repense à mon départ du Palais hier soir et d'une discussion entendue à la volée. Arrêté par le barrage des policiers en faction sur le pont Saint-Michel, un taxi demande au gardien de la paix : "On ne peut pas passer ?" et celui-ci de répondre : "Non, c'est pour le procès du Bataclan." Cela me renvoie invariablement aux raccourcis utilisés par de nombreuses personnes pour désigner des attentats, comme "les attentats de Charlie" au sujet des attentats du mois de janvier 2015.
Difficile de me concentrer sur les débats aujourd'hui, mais j'ai l'impression que l'audience ne va pas durer longtemps étant donné qu'un seul enquêteur doit être entendu et que nous en sommes déjà aux questions du parquet. Pendant la suspension, je me balade dans les couloirs du Palais avec Gwendal en quête d'un café. À la reprise de l'audience, Maître Rezlan entame les questions de la défense alors que je commence l'édition du billet.
À demain.
*Contraction de "pote" et "otage", expression utilisée par les ex-otages du couloir du Bataclan pour se désigner mutuellement.**Association française des victimes du terrorisme***Triperoxyde de triacétone, explosif employé par les artificiers des attentats du 13-Novembre.
David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)