Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 22
David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.
Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 21e semaine d'audience.
>> Le journal de la vingtième-et-unième semaine
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Mercredi 23 mars. Aujourd’hui, même beau temps au-dessus de la capitale. Les terrasses place Dauphine sont bondées, en même temps j’ai moi-même envie de m’y installer et d’oublier le procès. Je retrouve Bruno dans la salle des pas perdus, il me dit : "Eh ! je t’ai ramené mon ancien téléphone, il fera l’affaire le temps de récupérer le tien !" Je rigole en le remerciant.
Nous sommes le 23 mars et aujourd’hui démarre notre longue descente vers l’analyse des faits et l’interrogatoire des accusés sur ceux-ci. Comme je disais à Gwendal juste avant que l’audience ne reprenne, j’ai acquis l’intime conviction que nous avons attendu six années pour que ce moment arrive et qu’enfin, les instants précédant les attentats soient décortiqués par la cour et montrés au grand jour. Ce dernier point transforme ma perception du procès et des débats. Jusqu’au 8 septembre, les faits étaient connus mais l’enquête était plus ou moins secrète et jamais étalée à l’horizontale, comme la cour d’assises le fait depuis six mois.
Comme nous en avons désormais l’habitude, nous retrouvons les enquêteurs belges et leurs voix monocorde pour un long exposé concernant les fouilles sur l’ordinateur trouvé dans une poubelle de la rue Max-Roos, à Schaerbeek (à proximité de l'une des planques), le 23 mars 2016 – ce qui poursuit la série des coïncidences. La connexion établie, l’enquêteur fait projeter une présentation qui regroupe la plupart des trouvailles sur l’ordinateur portable. Dans celui-ci, des milliers d’éléments en lien avec la propagande de l’État Islamique : des chants religieux, des poèmes, des photos de terroristes, des audios divers. L’enquêteur belge souligne également la présence d’un dossier plus technique, nommé "moutafajirat" (explosifs, en arabe), qui contient littéralement une liste de composés chimiques en lien avec la confection de TATP. Certaines des données sont cryptées et l’enquêteur précise : "Un logiciel de cryptage a été utilisé (...) des précautions ont été prises". Et d’afficher à l’écran le logiciel en question, dont le logo noir est celui de l’État Islamique.
L’ordinateur est une réelle mine d’informations et chacun des dossiers comporte d’autres sous dossiers qui eux-mêmes en comportent d’autres. Dans un de ces dossiers, nommé "13-Novembre", l’enquêteur détaille une arborescence de dossiers qui font référence à des possibles groupes de terroristes : "Groupe Omar*, groupe Français, groupe Schiphol, groupe Irakiens, groupe Métro". Et il détaille le contenu de chaque dossier : photos aériennes du Stade de France et du Bataclan, et une vidéo de la salle de spectacle au format mp4 visionnée quelques jours avant le 13, ainsi qu’un fichier "Bataclan.jpg." Si on suit la logique de nommage, chacun fait référence aux cibles des attentats du 13 : les terrasses, le Bataclan, le Stade de France … mais deux ne se sont pas produits : Schiphol (l’aéroport international d’Amsterdam) et le métro. L’enquêteur : "Peut-être qu'ils ont utilisé le schéma pensé précédemment pour frapper en Belgique et que Schiphol est devenu Zaventem**." Au sujet de l’aéroport, l’enquêteur évoque ensuite les interrogatoires d’Osama Krayem fait par la juge Isabelle Panou (auditionnée le 14 septembre à V13). L’accusé aurait répondu à la juge qu’il "ne pensait pas" qu’un projet d’attentat était prévu à l’aéroport le 13 novembre et qu’il s’y était rendu pour voir s'il y avait des "consignes et casiers" sans transporter "des choses dangereuses". Sofien Ayari, également interrogé par la juge belge au sujet du probable attentat à Schiphol, dira : "J'en parlerai un jour, mais je ne sais pas quand."
Fin de la présentation du policier, la cour procède à quelques questions mais je suis trop concentré sur l’écriture pour réussir à suivre. C’est les questions de Camille Hennetier, l’une des trois avocats généraux, qui me font relever la tête. Elle soulève le fait que la date du 13 novembre et la cible du Bataclan est fixée six jours avant, le 7 novembre. Ce n’est que trois jours avant que les dossiers "groupes" sont créés et que le "groupe Français" est désigné pour attaquer le concert des Eagles of Death Metal. L’enquêteur acquiesce : "Absolument." Le président annonce la traditionnelle suspension de l’après-midi.
Au retour de celle-ci, je repense au nuage de questions présentes dans mon esprit depuis les attentats, le "quand", le "qui" et le "pourquoi" figurent en tête de liste. C’est au tour des avocats des parties civiles de s’adresser à l’enquêteur. C’est maître Aurélie Coviaux qui commence et interroge le policier belge sur la dénomination de certains fichiers présents dans l’ordinateur et leur possible cryptage. L’homme à l’écran temporise avec un rire gêné. "Vous savez, je ne suis pas informaticien mais (...) avec le logiciel de cryptage, on ne peut pas avoir accès à tout." Maître Coviaux poursuit en expliquant une à une les étapes d’encodage. La connexion, instable, se coupe à deux reprises, l’avocate, blagueuse : "J’espère que je n’ai pas été trop longue ?" Le bureau en U belge de retour, l’enquêteur lance : "Je vous rassure, ce n’est pas moi qui fuis !" Les questions se poursuivent et maître Chemla évoque l’existence d’un second ordinateur cité par Mohamed Abrini. L’enquêteur confirme mais précise : "Les éboueurs vont voir qu’un des ordinateurs est cassé. Ils vont le lancer dans la benne et garder seulement celui qui marche et le ramener à la police. Le second ordinateur n’a jamais été retrouvé ni analysé." Et l'enquêteur d’ajouter qu’une tablette a également été retrouvée mais qu’elle avait été formatée et qu’aucune exploitation n’a pu être faite.
Au moment des questions de la défense, maître Ronen prend la parole afin de demander à l’enquêteur : "Comment les éboueurs ont compris que sur l’ordinateur, il y avait des éléments en lien avec le terrorisme ?" L’enquêteur, gêné, rit mais tente d’argumenter. "Oui, on imagine qu’ils ont dû ouvrir l’ordinateur, tomber sur le bureau et cliquer sur l’une des icônes et tomber sur le drapeau de l’État Islamique..." Maître Olivia Ronen poursuit en pointant du doigt tous les éléments de sécurité qui entourent l’ordinateur en question : "Comment un éboueur aurait pu simplement ouvrir l’ordinateur, tomber sur le bureau alors qu’on parle de cryptage ?" Le policier belge : "Je comprends votre question mais je ne peux pas en dire plus."
Je quitte la salle des criées pour prendre l’air et discuter avec des membres de la cour d’appel en gilet rose. Difficile de suivre, aujourd’hui. Je vais essayer de garder un minimum de force pour la semaine prochaine, j’ai hâte et à la fois peur de ce que je vais entendre, j’imagine que j’ai désormais l’habitude.
Je ne serai pas là demain, le devoir m’appelle à l’extérieur.À vendredi.
*Abou Omar était la kunya d'Abdelhamid Abaaoud. Une kunya, formée en théorie à partir du nom du fils ou de la fille aîné de celui ou celle qui le porte) utilisée comme nom de guerre par .** Zaventem, l'aéroport de Bruxelles, une des cibles (avec la station de métro Malbeek) des attentats du 22 mars 2016.
Au Palais de Justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)
David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)