Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 29
David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.
Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 29e semaine d'audience, celle qui voit le début des réquisitoires.
>> Le journal de la vingt-huitième semaine
Réquisitions - premier jour
Mercredi 8 juin. Après quelques cafés rapidement échangés place Dauphine avec Gwendal, nous nous engouffrons dans le Palais via l’entrée dédiée, rue du Harlay. Bien qu’il y ait beaucoup de journalistes et beaucoup de victimes, ce n’est pas la cohue que j’imaginais. À vrai dire, je me demande si la webradio est pleine.
Voilà, nous y sommes. Nous sommes à ce moment où le ministère public va s’exprimer sur les faits ainsi que sur les dix mois d’audience. Curieux, je cherche le mot “réquisitoire” dans le Larousse : “1. Plaidoirie du ministère public devant le juge répressif afin de requérir l'application ou non de la loi pénale envers le prévenu ou l'accusé.” Comme à chaque fois qu’un nouveau volet s’ouvre à l’audience, je vais dans la grande salle. La douce cohue qui y règne me rappelle les premiers jours. Les accusés sont tous occupés à échanger avec leur avocats, la scène me donne l’impression d’être dans un film. Je discute avec Aurélie Silvestre et un ami avocat lorsque la sonnerie retentit. Le silence qui suit est sans équivoque : l’audience avance et nous avec.
Nous sommes assis près du prétoire, au quatrième rang. Je crois que je n’ai jamais été aussi près de la Cour. Le président arrive, solennel, et annonce la reprise de l’audience et après une constitution en partie civile, invite Camille Hennetier à démarrer ce que nous attendions tous depuis des mois, des années. L’avocate générale (difficilement reconnaissable puisque sans masque) commence par revenir sur les faits, les auditions de parties civiles, en cite même. À travers ce propos introductif, on sent que les trois avocats généraux ont été particulièrement touchés par nos témoignages à la barre et aussi, et simplement, touchés par le procès. Malgré mon envie d’écouter, j’ai du mal à suivre tant le propos est dense et contraste avec les interventions minutées des dernières semaines.
Après une intervention d’une demi-heure, l’avocate générale donne la parole à son collègue, Nicolas Braconnay, qui poursuit le propos introductif au réquisitoire. La projection en salle des criées rencontre quelques problèmes techniques, je cours dans la salle principale pour continuer à suivre son intervention. Les bancs sont noirs de monde, la salle s’est remplie au fur et à mesure. Nicolas Braconnay revient sur le profil psychologique des accusés et leur vécu. Il revient également sur un point intéressant, peu abordé durant l’audience : l’idéologie. Pour illustrer son propos, il cite Hannah Arendt (et précise qu’elle a souvent été citée à l’audience) : “La logique d’une idée, une idée qui se détache de ce qu’est le fonctionnement des idées, et qui finit par adopter sa propre logique, qui devient folle au sens où elle ne reconnaît plus de choses qui peuvent l’arrêter.” Et de préciser : “De quelle idéologie parle-t-on? Celle qui nous occupe est clairement identifiée. Elle s'affiche complaisamment dans les textes, les vidéos, les nasheeds.” Nicolas Braconnay continue sa véritable présentation sur la radicalisation et sur l’idéologie jihadiste. Au sujet de l’islamisme jihadiste, il donne une définition d’une justesse assez rare (en tout cas pour moi) : “Cette doctrine qui entend soumettre l'intégralité de l'espace social aux règles les plus rétrogrades (...) qui impose la religion par la violence, le combat, afin d’éliminer tout élément considéré comme impur.” Peu après, l’avocat demande au président de suspendre l’audience, demande acceptée par Jean-Louis Périès.
En colère, je m’extrais de la salle des criées. Pourquoi de la colère ? Parce que je voudrais avoir la force et le professionnalisme de pouvoir retranscrire mot par mot ce que j’entends des réquisitions. Mais comme à chaque fois, je n’y parviens pas, ou pas totalement. Pourtant, je sais que je ne suis pas journaliste, je le sais. Je n’ai pas de bouclage, je n’ai pas de chef de la rédaction. Ce n’est pas mon métier. Mais bien que j’en ai conscience, il y a des jours où cette bouée de sauvetage (qui est en fait un mirage), qui me permet de tenir les rênes, est inatteignable. C’est dans ces moments-ci que je goûte amèrement la chance de tenir ce journal. Journal qui me donne l’occasion de m’exprimer librement et sans contraintes sur ce que je vis, sans devoir quoi que ce soit à quiconque, même à moi. Pour passer le temps, je me balade dans le Palais et tente d’éloigner ma colère.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce début est particulièrement dense et que je ne suis pas le seul à éprouver des difficultés à suivre l’audience. Les lectures, comme celle de Nicolas Le Bris, qui poussent la technicité du dossier à son paroxysme sont difficiles à suivre, encore plus pour des oreilles profanes comme les miennes.
Il est 19h30 et Nicolas Le Bris continue de lire son réquisitoire. Je reste, mais stoppe là l’écriture de ce billet.
À demain.
Au Palais de Justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)
David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)