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Insolite et Faits divers

Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 17

Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la dix-septième semaine. >> Le journal de la seizième semaine Revenir sur le silence Mercredi 26 janvier. Comme souvent, des questions suivent mes pas alors que je traverse le Pont Neuf et je commence sérieusement à me demander si, lorsque nous arriverons aux faits, certains accusés s'exprimeront tout court. En tant que partie civile, victime – et je l’ai déjà dit – il était difficile au départ de visualiser quelles étaient mes attentes du procès. Mais il demeure quand même des jours où l’audience continue de me décevoir et, à entendre les premiers échanges entre l’accusé et le président, l’audience d’aujourd’hui ne déroge pas à ce qui est devenu une règle. Après les sommations d’usages concernant le grand absent du box depuis fin novembre, l’audience reprend et le président fait une mise au point sur le planning, en annonçant l’absence de témoins sur les deux prochains jours, dont une magistrate belge impliquée dans l’enquête de l’accusé interrogé aujourd’hui. La magistrate justifie son absence et dit “réserver la primeur de son témoignage aux magistrats belges dans le procès des attentats de Bruxelles (...)” L’homme interrogé aujourd’hui est considéré comme un des logisticiens des attentats du 13-Novembre mais, à l’inverse de certains des hommes présents dans le box, il ne s’est jamais rendu en Syrie. Il est aussi connu dans l’enquête d’un autre attentat, celui du Thalys, le 21 août 2015, procès dans lequel il a écopé de 25 ans de prison. Le président lui demande de se lever et démarre l’habituelle introduction avant interrogatoire lorsque l’homme dans le box le coupe pour lui demander de s’exprimer. L'accusé explique qu’il ne répondra pas aux questions parce qu’il estime que sa parole sera toujours considérée comme suspecte. Il ajoute : “Ce début de procès a été difficile à vivre, déjà parce que je n’avais toujours pas encaissé l’autre. (...) Tout est considéré comme de la ruse, moi depuis le début du procès, on ne voit pas ce que je vis derrière… Je ne suis plus en possibilité de le faire, je l’ai fait une fois, je me suis battu.” Le Président insiste pour qu’il réponde aux questions mais l’accusé ne cède pas. Même si le procès se poursuit j’ai l’impression de faire marche arrière et de revivre le soixante huitième jour du procès, il y a deux semaines, lorsqu’un autre accusé a exercé son droit de garder le silence. Le président entame la lecture des procès-verbaux d’audition et là aussi, les mêmes remarques qu’auparavant – “Là, on aurait aimé avoir des réponses” – dans un soupir appuyé d’un regard déçu et dépité par-dessus ses lunettes rectangulaires. Nicolas Braconnay, un des trois avocats généraux, entame la lecture des questions qu’il avait prévues et évoque un “exercice un peu vain”. La déclaration de Maître Chemla, avocat de parties civiles, m’interpelle et fait écho à ma colère. Il souhaite “revenir sur ce silence” et cite l’accusé : “Pour vous la justice n’a pas d’oreille, pas d’écoute.” L’accusé, dans le box, ne cille pas et regarde à peine le grand avocat et sa robe noire. “Les gens qui sont venus déposer ont été attaqués par des gens qui faisaient partie d’un groupe, dont vous étiez proche (...) et on peut penser que si vous étiez bouleversé par ça, on peut imaginer que vous devriez avoir au moins des comptes à leur rendre.” C’est peut être là, l’origine de ma colère, le fait que malgré l’appareil de justice exceptionnel mis en place pour le procès, malgré la grandeur de la salle d’audience, le lieu d’histoire qui accueille ce procès historique, rien ne semble pouvoir convaincre les accusés de collaborer. J’aimerai dire aux accusés que s’ils estiment que la justice n’a pas d’oreilles, nous, parties civiles, en avons et nous écoutons à chaque instant et avec attention les mots qu’ils prononcent, non pas pour juger ni attaquer, mais pour comprendre. Comprendre ce que nous avons vécu et continuons de vivre. Nous ne sommes ni juges, ni magistrats ni avocats, seulement des personnes éblouies face aux rayons de lumière d’une justice que nous ne comprenons pas tout le temps mais que nous entendons. Loin de moi l’idée de comprendre comment des personnes ont pu se retrouver impliquées à ce point dans des événements comme ceux du 13-Novembre mais que nous reste-t-il pour essayer d’entrevoir les événements ? Après le procès, aurons-nous la chance de nous pencher à nouveau, collectivement et de manière judiciaire, sur cette nuit noire ? Les cinq semaines de dépositions des parties civiles ne sont qu’un fragment, pourtant si intense, de toute la douleur que nous avons ressentis le 13 et comme hier, j’ai tristement l’impression que le procès en est parfois devenu l’écho par la frustration et la colère qu’il engendre. Maître Chemla conclut en direction de l’accusé et lui conseille de répondre aux questions “comme un homme courageux qui fait face à son destin et à celui des personnes dont il a détruit l’existence”. Après des observations de Maître Kempf, avocat de la défense, le président entame la lecture de l’audition de témoins absents de l’audience et annonce une suspension J’ai à peine le temps d’avaler un café en vitesse et l’audience reprend. Le frère de l’accusé est à la barre, une veste grise claire et un masque bleu sur le visage. Il décrit son frère comme calme, intelligent et “trop empathique”. Et de poursuivre : “Il s’est laissé emporté par des gens, il faisait confiance trop facilement.” Comme souvent, les éléments présentés par les proches témoins donnent à voir une personnalité ou un morceau d’identité plus vif que l’accusé lui-même, sorte de tableau qui pourrait apparaître plus complet. Au tour de la première assesseure, Frédérique Aline, de poser ses questions. La magistrate enchaîne, augmente le rythme de l’audience et l’homme essaye de répondre. Au bout d’un certain temps, je l’entends dire : “Je peux dire quelque chose, c’est personnel, hein ?” Et de poursuivre en abondant dans le sens des déclarations de son frère, en début de journée : “J’ai l’impression que nous sommes préjugés, quoi qu’on dise.” Aux questions de la cour et d’un des avocats généraux, l’homme semble répondre volontiers mais souligne parfois son incompréhension face à l’insistance des acteurs du procès sur certains points. Les questions continuent et le témoin répond volontiers tandis que je clos le billet du jour. Les avocats des parties civiles entament leurs questions et l’interrogatoire est difficile à suivre. Je quitte la salle des criées pour finaliser l’écriture dans la salle des pas perdus. Autour de moi, des avocats discutent au téléphone, leurs voix se mêlent au bruit de fond du Palais. Derrière les vitraux, la nuit tombe sur Paris. À demain. Au Palais de Justice de Paris, lors du procès des attentats du 13-Novembre. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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