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Insolite et Faits divers

Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 30

David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre. Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 30e semaine d'audience et des plaidoiries de la défense.  >> Le journal de la vingt-neuvième semaine “Il y a une éternité” Mercredi 15 juin. Ce matin, pour la deuxième fois en quelques mois, j’avais rendez-vous avec Stéphane et l’Association française des victimes du terrorisme pour intervenir en classe. Il fait encore frais et la canicule annoncée dans les prochains jours semble encore timide. Alors que je marche en direction du grand établissement dans les Hauts-de-Seine et malgré ma démarche assurée, je suis ému. Ému, car je sais que je vais vivre un grand moment. Un grand moment, comme à chaque fois que je passe le pas de la porte d’un établissement pour parler de moi. Et comme à chaque fois, en entrant dans la classe, je sens que les regards, insistants et empreints de curiosité, nous détaillent tous les deux. Les élèves nous observent et attendent que nos voix brisent le silence et démarrent la narration de nos histoires. Les questions, après, fusent, les bras se lèvent, interrogateurs. Dans le métro pour le Palais, je repense à la question d’Anouck, qui elle, bifurque sur le procès et sa tenue : “Ce n'est pas trop dur d'aller au procès tous les jours ?” Amaury, aussi, qui nous demande avec timidité : “Que font les accusés libres à l’audience toute la journée ?” Et nous, qui tentons de répondre, qui proposons des franges de notre histoire et de notre vécu pour que les élèves puissent comprendre ne serait-ce qu’un fragment de ce que nous vivons, tous les jours. Certains des élèves, téméraires, interrogent le cœur même de l'événement, comme Valentin : “Pourquoi ne vous ont-ils pas tué directement ?” Malgré la difficulté de répondre à une telle question, Stéphane et moi élaborons et expliquons les théories qui en découlent. Mais j’ai peur que cette question n’obtienne jamais de réponse définitive, que ce soit face à une classe de 3e, ou, dans l’enceinte du Palais de Justice. Derrière chacune de ces questions, les élèves expriment une soif de comprendre mais aussi de saisir la chance d’échanger avec ceux qui “ont vu”. Au fond, je sais que ces rencontres visent à toucher, à marquer les élèves, à répondre aux moindres questions et interrogations et je pense que c’est sans doute l’un des éléments les plus constituants de notre reconstruction. En parlant de questions et de réponses, ces actions éducatives sont, peut-être, un début de réponse à la question originelle : “Que vais-je faire de tout ça ?” Au Palais de Justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) Aujourd’hui, les plaidoiries de la défense se poursuivent et je les écoute avec attention tout en écrivant l’introduction de ce billet. Comme hier, les avocats qui défilent défendent bec et ongles leurs clients, soulevant chacun des volets abordés dans le réquisitoire la semaine dernière. Maître Huylebrouck, l’un des trois avocats de Muhammad Usman, plaide une bonne heure et introduit dès le départ de sa plaidoirie, la position de son client au procès : “Vous aurez remarqué que le 8 septembre, Monsieur Usman est arrivé à l’heure à son procès. (...) Un comble pour celui qu’on appelle 'le retardataire'.” En effet, Muhammad Usman a été arrêté en Grèce en compagnie d’Adel Haddadi puis transféré en Autriche, où tous deux deviennent demandeurs d’asile, avant d’être définitivement arrêté et transféré en France en 2016. L’avocat poursuit : “Pour être en retard à un rendez-vous, aussi funeste soit-il, encore faut-il qu'un rendez-vous ait été fixé (...) Ce n'est pas un retardataire, c'est l'inattendu.” Le conseil de Muhammad Usman est pourtant clair sur la motivation de sa plaidoirie : “Je vais couper court à tout faux suspense : nous n'allons pas plaider l'acquittement. Muhammad Usman a séjourné en Syrie, il y a un destin criminel en France quand bien même il est demeuré inachevé." Mais il soutient la thèse que son client n’était pas prévu pour les attentats du 13-Novembre, qu’il ne fait pas partie de l’hypothétique “4e commando” : “Comment peut-on le dire indissociable d'un événement qui s'est planifié à un moment où il était certain qu'il n'en ferait pas partie? (...) Au moment où la date du 13-Novembre est retenue, Muhammad Usman était en pleine mer Égée et il n’avait aucune chance qu’il soit à Paris à cette date.” Maître Huylebrouck évoque ensuite les “si” énoncés à l’audience : “Ici on ne prédit pas l’avenir, on refait le passé, si, si, si.” Je suis trop loin pour observer les réactions de l’accusé mais je me demande franchement ce qu’il pense de la plaidoirie de ses trois avocats. Muhammad Usman fait partie de ces accusés dont je ne connaissais ni l’identité, ni l’apparence, ni le rôle qu’ils tenaient avant le début de l’audience. C’est important de le dire. À vrai dire, je ne sais pas quoi vraiment penser de son implication dans le dossier. Il a peu parlé à l’audience et la dernière fois qu’il a pris la parole c’était en janvier dernier. Maître Huylebrouck, justement, dira que c'était “il y a une éternité". Après la plaidoirie de son collègue, maître Murgulia, le Président suspend l’audience. Les plaidoiries de la défense m’interrogent. Je ne sais pas trop quoi en penser. Je reste fasciné par l’exercice et la fonction de l’avocat de la défense. Fasciné aussi par l’éloquence et le talent d’orateur des robes noires, mais je me demande du coup : dois-je l’être alors qu’ils défendent des hommes accusés d’avoir collaboré, d’une manière ou d’une autre, aux événements qui ont dévasté mon existence ? Est-ce simplement un nouveau mécanisme de protection que je dresse pour mieux éviter la souffrance que génère tout ça ? Je ne sais pas et comme au sujet des réquisitions la semaine dernière, ce volet primordial dans l’audience soulève davantage de questions que de réponses. Je sais désormais que le procès fonctionne ainsi, ou du moins qu’il crée de véritables questionnements internes dont les réponses peut-être me rattraperont des mois après. J’arrête l’écriture pour aujourd’hui alors que l’une des deux avocates d’Adel Haddadi, maître Léa Dordilly plaide face à la cour. À demain. David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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