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Insolite et Faits divers

Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 28

David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre. Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 28e semaine d'audience.  >> Le journal de la vingt-septième semaine Le vieux troquet de la rue Dauphine Lundi 30 mai. Je continue de passer quasi quotidiennement devant ce café où je m’arrêtais les premiers jours d’audience. Je me souviens bien de ces double expressos commandés, les "Bonjour, ça va ?" discrets du patron qui jetait parfois un œil à mon badge de partie civile. Alors, je sais, je parle de ça comme s’il s’agissait d’une anecdote d’il y a dix ans plutôt que neuf mois, mais en même temps, un mois ici n’équivaut-il pas à une année ? Ce petit café parisien s’est mué en brasserie branchée et les doubles expressos sont devenus des cafés fades dans le sanctuaire. Sur le portrait, il s’agit de Carole Damiani, directrice de l’association Paris Aide aux victimes (PAV). L’association (comme son nom l’indique) porte assistance aux victimes d'événements collectifs grâce à du soutien logistique et humain. Depuis le début de l’audience, une véritable flotte de psychologues aux chasubles bleu marine est présente dans la salle principale. Généralement installés au fond, ils sont là pour écouter et accompagner victimes, journalistes et quiconque en éprouve le besoin. Comme des gardiens de notre santé mentale. Mais la mission de la PAV comporte de nombreux autres aspects, comme l'information aux droits des victimes mais aussi créer un lien avec le Barreau de Paris, pour que les rescapés trouvent conseil auprès d’avocats. Je croise souvent la route de Carole dans le sanctuaire, et lui ai un jour promis qu’elle aurait sa place ici étant donné la place centrale de l’association au sein de V13. Carole Damiani, directrice de l’association Paris Aide aux victimes (PAV). (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) Je ne suis pas venu mercredi dernier. Trop fatigué psychologiquement pour suivre l’audience et entendre les avocats plaider. Trop fatigué pour réussir à me protéger. Parce qu’il faut de l’énergie pour réussir à ne pas absorber toute la charge que le suivi des audiences inflige, la constance et la régularité n’aident en rien, l’habitude elle, n’est qu’une illusion. Cela fait un an aujourd’hui que j’ai commencé le sport et je sais désormais que le corps met trois semaines à s’habituer à l’effort. Du coup, je m’interroge. Combien d’années m’a-t-il fallu pour m’habituer à ma souffrance ? Combien d’années me faudra-t-il pour "passer à autre chose" ? Y arriverai-je même ? Cela me fascine, seulement trois semaines pour s’habituer à transpirer des litres, aux courbatures, à l’effort, mais tant d’années pour ne serait-ce que comprendre ma douleur. En quittant le Palais mardi, je me suis accordé un dernier instant d’exposition à l’audience. Je suis chez moi, l’oreille collée aux enceintes de mon ordinateur pour entendre l’un de mes deux avocats : maître Lemont. Arrivé en 2019 au cabinet d’Aurélie Coviaux, il me surprend, il y a un an lors d’un rendez-vous préparatoire au procès par la profondeur de son savoir sur les faits et l’histoire de l’attentat du Bataclan. Jusqu’ici, toutes les personnes que j’ai rencontrées qui étaient aussi proches de la vérité étaient victimes. Hugo Lemont n’en est pas une, mais un avocat qui a embrassé notre nuit à bras le corps. Alors, je l’imagine s’avancer et sa robe noire voler derrière lui. Sa voix, légèrement tremblante, résonne alors dans la webradio. Je le connais un petit peu et je sais cependant que cela n’est pas un signe d’émotion, mais plutôt d’une ferveur sous-jacente qui le portera tout au long de sa plaidoirie. D’entrée, il pointe du doigt le million de pages qu’il connaît pratiquement par cœur : "Vous vous en êtes saisis lors des débats, cherchant à reconstituer la scène de crime, dans le temps et l’espace à contre-pied d’un travail trop partiel réalisé lors de l’instruction criminelle." Hugo Lemont, enchaîne ensuite et propose dès lors une reconstruction au millimètre près (provenant de sa propre compréhension du dossier) de la soirée au Bataclan : "En somme, les voix et les balles des assassins permettent de déterminer le chemin qu’ils ont emprunté dans cette salle immense. Ces éléments de procédure objectif vous permettront de préciser les milliers de récits de victimes cotés en procédure, ou délivrés oralement devant vous, qu’ils soient vagues, précis, que certains se contredisent, que d’autres s'oublient." Désormais inarrêtable, l’avocat va jusqu’à proposer une relecture des faits, analysée et issue du récit des victimes et, à chaque fois, repris par le dossier d’instruction. Je ne vais pas l’étaler ici, parce qu’il faudrait de nombreuses lignes pour en détailler le contenu. Mais encore une fois, mon avocat me surprend. Dans mon salon, mon chat fait la sieste et j’entends des voitures se garer dans la rue. Dehors, la journée prend fin. Dans les enceintes la voix de l’avocat continue de résonner. Chaque mot, chaque phrase semble être pesée, mesurée avant d’être finalement prononcée afin qu’elle se cogne aux recoins de la salle d’audience. Au sujet des victimes présentes dans le "vieux théâtre", il dit : "Le Bataclan est le tombeau de 90 personnes humaines, mais c’est aussi un champ de héros dans le sens où tous les actes individuels et collectifs des centaines de victimes survivantes, des policiers non spécialisés, s’ils n’ont pas permis de se défendre du massacre, ont permis de d’éviter l’hécatombe voulue par les terroristes. Étymologiquement, le sacrifice d’une centaine." Et il martèle : "Les victimes telles que relatées devant votre Cour, telles que détaillées dans les procès verbaux de la procédure, j’ai la conviction qu’ils démontrent qu’elles n’ont pas été seulement le siège passif d’un dommage terrible qui leur a été infligé au sens de l’article 2*. Elles ont été aussi ces éléments actifs de leur propre survie, les héros de leur propre existence, et en droit, elles sont cette circonstance extérieure à l’auteur terroriste qui a permis d’interrompre, de mettre en échec la perpétration des tentatives d’assassinats." Bien que je connaisse la plupart des histoires d’héroïsme discret liées au 13-Novembre, je ne les avais jamais observées de cette façon. Sans prévenir, mes yeux se brouillent. Comme si je venais de réaliser, après sept ans à subir : "Je crois que je me suis battu depuis le départ." Entendre ces mots balaye le peu de contenance qu’il me restait. Je me retrouve seul, à pleurer dans mon appartement. Comment une simple phrase prononcée par un avocat peut-elle à ce point m’atteindre ? Je ne sais pas. Mais maître Lemont n’a pas fini et conclut par une liste de pensées adressées aux victimes du Bataclan : "Ce faisant, ils ont tous montré la voie, la sortie, la cachette, la volonté de vivre, ils ont fait face, ils se sont opposés au scénario de mort qu’on leur proposait, imposant. Bien plus, ils ont entravé une tentative d’assassinat." Je ne cesse de l’écrire, de le dire, mais il n’y a pas un jour où je ne suis pas surpris à l’audience (bon, en l'occurrence, j’étais chez moi). Les mots de maître Lemont resteront sans doute les plus forts que j’ai entendus depuis longtemps. Nous sommes lundi 30 mai lorsque j’écris ces mots et je viens de recevoir les notes de mon avocat. Sur le document PDF de 31 pages, de nombreuses ratures, notes et surlignages me font comprendre que je ne me trompe pas : tous les mots ont été pesés. Tout en écrivant, j’écoute les avocats plaider et observe chacun d’eux aborder les thèmes d’aujourd’hui : "La liberté de haïr et de ne pas haïr", "L’amour", "La mémoire" et enfin la "Liberté de créer" Sur ce dernier thème, la surprise encore, lorsque maître Maugendre fait référence aux créations diverses de parties civiles : livres, blogs, dessins, BD, pièces de théâtre … et ajoute : "La création est une résistance à l'oppression, la création est l’étendard de la vie." L’avocat liste de nombreuses œuvres et au milieu, mon livre, Un jour dans notre vie et "Le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan." Je pense alors au titre d'Indochine qui m'a inspiré le titre de mon (je l'espère) premier livre, et les paroles résonnent dans mon esprit, la musique, le rock, toujours : "Le rêve continuera". Pour conclure sa plaidoirie, l’avocat décide d’en citer un autre, issu d’un autre procès du terrorisme : "Le futur n'est pas virtuel. Le futur c'est le délibéré de votre cours, la conclusion de six ans d'instruction et dix mois de procès. La disparition de ce poids laissera une place incommensurable aux blessures que j'appelle la béance de l'après procès." Je termine l’écriture de ce billet alors que de nouveaux avocats s’avancent pour plaider et aborder les thèmes suivants : les enfants, la musique, la fête-la danse-le football et finalement le goût du plaisir. Pour ma part, je quitte le Palais. À demain.*Article 2 du code de procédure pénale : l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. La renonciation à l'action civile ne peut arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique, sous réserve des cas visés à l'alinéa 3 de l'article 6. Le Palais de Justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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