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Insolite et Faits divers

Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 27

David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre. Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Dans cette page, un billet inhabituel dans le flux de ceux publiés semaine après semaine. David Fritz-Goeppinger a rencontré Joseph Pfeifer, pompier de New York, un des "héros ordinaires" du 11-Septembre. Joe est à la fois une victime de cet attentat et le premier officier du Fire Department of the City of New York (FDNY) à intervenir.  >> Le journal de la vingt-sixième semaine La ville aux mille reflets, le Chief Lundi 16 mai. J’ai quitté Paris et l’audience pour trois semaines. Mon téléphone toujours à portée de main pour faire défiler les longues listes de tweets de Charlotte et Sophie*, détaillant une à une les dépositions de parties civiles à la barre de V13. Je mentirai si je disais que le procès et le sanctuaire m’avaient manqué. La véritable déconnexion s’est faite à bord de l’avion, j’ai compris l’aspect immuable absolu de la justice en jetant un dernier coup d'œil au dossier du journal de bord et ses nombreux fichiers. La justice continue son sort inexorable, quoi qu’il arrive, qu’on soit là ou pas. Je m’accroche au fait qu’elle soit rendue, comme si c’était là signe que la société avançait, mais vers quoi ? J’ai appris aussi que Farid Kharkhach avait contracté le Covid et que l’audience a de nouveau dû être interrompue, jusqu’à demain. Je lis aussi que les avocats des parties civiles ont cédé un jour de plaidoiries aux victimes afin qu’elles aient plus de temps pour déposer. Le planning du président commence à être serré et cela se voit. Au fond, je me demande comment faire résonner la vérité et la douleur tout en regardant sa montre pour être sûr que le prochain intervenant sur la liste ait la possibilité de le faire. Une partie de mon esprit divague en marchant dans les rues de Manhattan. Je suis lassé d’avance, toujours plus de retard, toujours plus de longueur, cela s’arrêtera-t-il un jour ? Il y a une semaine, j’avais rendez-vous avec un ami, Joseph Pfeifer, “Chief” retraité du Fire Department of the City of New York**. Je le rencontre pour la première fois il y a quatre ans, grâce au concours d’un proche ami victime des attentats du 11 septembre 2001. Joseph “Joe”, Pfeifer est le premier pompier en chef à se présenter aux pieds des tours jumelles et prend les rênes de l’opération de secours. Il ne le sait pas, mais à cet instant précis démarre la plus vaste opération menée par la FDNY mais aussi la série d’attentats la plus meurtrière des États-Unis et de l’histoire. Les victimes sont nombreuses malgré la lutte acharnée de l’ensemble du corps intervenant. Parmi elles, le frère du Chief, Kevin Pfeifer, décédé dans l’effondrement de la Tour Nord. Joe fait partie de ces figures qui mêlent simplicité ainsi qu’une force profonde, ancrée en lui. Les yeux d’un héros discret. "Chief" Joseph Pfeifer, pompier de New York, un des premiers sur les lieux des attentats du 11-Septembre. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) À vrai dire, si j’ai choisi cette photographie parmi tant d’autres c’est pour la même raison que les précédents portraits de victimes, d’avocats et de personnes liées au procès : la sincérité dans le regard. À la fin du déjeuner et après avoir sobrement pris la pose, le Chief me tends son livre. Son titre : Ordinary Heroes. Quelques jours avant et à l’aide du même ami, je visite l’ancienne caserne du Chief : FDNY Engine 7, Ladder 1, Battalion 1.*** Située au 100, Duane Street, la caserne nichée dans un immeuble typique de la Grande Pomme sent bon la bougie d’ambiance malgré le noir de la suie d’anciennes batailles contre les flammes. Nous sommes accueillis par un pompier de garde qui prend son déjeuner et nous fait une petite visite à mon épouse et moi. L'ancienne caserne du FDNY, les pompiers de New York. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) Retourné à l’enfance, je photographie tout ce que je vois et interroge mon ami sur chacun des éléments de l’immense caserne. Le pompier me tend une de leurs vestes d’intervention et j’ai du mal à ne pas sourire, mais la veste est lourde, comme l’histoire du lieu où je me trouve. Les tenues des pompiers du FDNY. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) Cela fait plusieurs jours que je suis rentré mais j’ai du mal à oublier l’immensité du mémorial des attentats du 11-Septembre. Comme des cicatrices laissées à vif au cœur d’une ville qui, l’espace d’un instant a basculé dans la terreur mais qui le temps d’après, a réussi à reconstruire sans jamais l’oublier. Aujourd’hui professeur à Harvard, Joseph Pfeifer a participé à la création d’un centre de prévention au sein de la FDNY : le Center for Terrorism and Disaster Preparedness**** qui forme les primos-intervenants et secourants à une meilleure réponse en cas d’attaque terroriste ou de catastrophe naturelle. Il est également Fellow Senior (équivalent américain de chercheur) au Combating Terrorism Center***** à West Point. J’avais envie d’écrire ces quelques mots et montrer en quelques photographies ce moment rare et tourner une dernière fois mon regard vers Manhattan. Le procès reprend demain avec de nouvelles dépositions de parties civiles, la respiration prend fin. À demain. * Charlotte Piret et Sophie Parmentier, journalistes police-justice à France Inter.** Sapeurs-pompiers de la ville de New York.*** À New York, chacune des casernes est constituée de deux véhicules d’interventions : l’Engine (fourgon d’incendie) et le Ladder (camion à échelle).**** Centre de préparation au terrorisme et aux catastrophes naturelles.***** Centre de lutte contre le terrorisme. L'ancienne caserne du FDNY. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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