L'affaire Omar Raddad, une histoire française
Omar Raddad et son avocat, Jacques Vergès, au palais de justice de Paris, à l'issue de l'audience de la commission de révision de la Cour de cassation, le 14 mai 2001.
Une nouvelle requête va être déposée jeudi par les avocats du jardinier marocain qui avait été accusé et condamné pour le meurtre de sa riche patronne en 1991. Gracié partiellement par le président Jacques Chirac, Omar Raddad est pourtant toujours jugé coupable aux yeux de la justice. Retour sur cette affaire emblématique qui hante depuis 30 ans l'inconscient collectif du pays.
C'est une affaire criminelle digne d'un roman d'Agatha Christie. Depuis trois décennies, elle suscite autant la fascination que le malaise dans l'opinion publique française. 23 juin 1991 : Ghislaine Marchal, 65 ans, la riche veuve d'un équipementier automobile, est retrouvée baignant dans son sang dans la cave de sa propriété de Mougins, dans le sud de la France.
Sur place, les enquêteurs découvrent deux inscriptions rédigées sur deux portes avec le sang de la victime : "Omar m'a tuer" (sic) et "Omar m'a t". Une preuve suffisante pour le parquet, qui inculpe rapidement Omar Raddad, 27 ans, le jardinier de Ghislaine Marchal, un immigré marocain au casier judiciaire vierge, décrit comme un bon père de famille mais aussi un passionné de casino et de machines à sous.
Ces deux inscriptions en lettres de sang, devenues les plus célèbres de l'histoire criminelle française, sont depuis 30 ans au cœur des rebondissements de l'affaire. Le dernier en date : une demande de révision du procès qui sera déposée, jeudi 24 juin, par la défense de l'ancien jardinier, qui vit aujourd'hui à Toulon.
Cette demande s'appuie sur les analyses d'un expert, rendues en 2019 mais dévoilées lundi par le journal Le Monde. Ce rapport conclut à la présence d'une trentaine de traces d'un ADN complet masculin n'appartenant pas au jardinier et trouvées dans l'une des inscriptions. De quoi accréditer la thèse d'une mise en scène macabre.
Coupable idéal ?
Depuis plusieurs décennies, l'affaire Raddad continue de s'inviter régulièrement dans l'actualité avec son lot de contre-expertises et de demandes de révision de procès.
"Depuis 30 ans, il attend sa révision. Sa vie, c'est ça. Il est dépressif c'est vrai, mais aujourd'hui, il a repris espoir", explique sur RTL son avocate, Sylvie Noachovitch.
En effet, aux yeux de la justice française, Omar Raddad, qui a toujours clamé son innocence, reste coupable de l'assassinat de Ghislaine Marchal même s'il a bénéficié d'une grâce partielle en 1996, accordée par le président Jacques Chirac, sous la pression du roi du Maroc, Hassan II.
En France, de nombreuses personnalités, comme l'académicien Jean-Marie Rouart, dénoncent depuis des années une erreur judiciaire, tandis que plusieurs livres d'investigation ont mis en lumière les dysfonctionnements d'une enquête à charge focalisée sur le jardinier.
Les défenseurs d'Omar Raddad pointent notamment du doigt la faiblesse du mobile invoqué par la défense : une dispute qui aurait mal tourné entre la patronne et son employé autour d'une modeste somme d'argent. Enfin, des éléments matériels continuent à susciter des interrogations. À commencer par ces inscriptions en lettres de sang qui ont contribué à forger la conviction des enquêteurs.
"Comment une femme âgée, assommée, poignardée de 16 coups de couteaux, a pu se traîner d'un bout à l'autre de la pièce pour écrire 'Omar m'a tuer' puis 'Omar m'a t'. J'ai essayé de le faire dans ma cellule des milliers de fois, dans le noir, c'est impossible !", assurait Omar Haddad en 2010, dans une interview accordée au JDD.
"Le tort d'être maghrébin"
Très vite, le cas d'Omar Raddad a pris une dimension sociale et politique. L'affaire télescope deux mondes que tout oppose. D'un côté, un immigré marocain issu d'un milieu modeste parlant difficilement le Français, de l'autre, une richissime famille de la côte d'Azur.
Le 2 février 1994, à l'issue du verdict qui condamne Omar Raddad à 18 ans de réclusion criminelle, son avocat, Jacques Vergès, provoque un tollé en comparant le cas de son client à l'affaire Dreyfus. "Il y a cent ans, on condamnait un officier qui avait le tort d'être juif, aujourd'hui on condamne un jardinier parce qu'il a le tort d'être maghrébin", avait déclaré le pénaliste réputé pour ses sorties médiatiques fracassantes.
À l'époque, certains voient dans la condamnation du jardinier le symbole des discriminations et des injustices dont sont victimes les immigrés en France. Lors du procès, certains propos du président, Armand Djian, surprennent par leur agressivité. Quand l'épouse d'Omar Raddad affirme que son mari était incapable de faire du mal à une mouche, le magistrat lui rétorque : "Oui, mais cela ne l'empêche pas de savoir égorger un mouton", rappelle l'avocate Najwa El Haïté, interrogée par France 24.
"Cette phrase est terrible. Il cible ici les musulmans en les faisant passer pour des meurtriers en puissance", explique cette militante qui, à travers son association Dynamic Maroc, se mobilise depuis plusieurs années pour obtenir un procès en révision pour l'ancien jardinier dont la vie de famille a été détruite par cette épreuve. "À l'époque, certains Français de confession musulmane se sont sentis concernés et se sont identifiés à Omar Raddad. Cette affaire a été comme un miroir des discriminations subies par certains."
Aujourd'hui, Najwa El Haïté croit dur comme fer à la perspective d'un nouveau procès. "Il y a des éléments nouveaux qui doivent permettre une saisine de la Cour de révision", estime-t-elle.
D'autres traces d'ADN ne correspondant pas à celles du jardinier avaient déjà été trouvées sur le lieu du crime, mais la Cour de révision avait refusé, en 2002, d'ouvrir à nouveau les plaies de l'affaire Omar Raddad. Depuis, une loi a assoupli, en 2014, les conditions de révision d'un procès criminel et ont permis de nouvelles investigations ces dernières années.
Cependant, les révisions de condamnations pénales restent rares en France dans les affaires criminelles : depuis 1945, une dizaine d'accusés seulement ont bénéficié de leur vivant d'une révision et d'un acquittement après un nouveau procès.