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Insolite et Faits divers

DOCUMENT FRANCEINFO. Le 13-Novembre d'un urgentiste : "Je suis seul médecin et je comprends très vite qu'il n'y aura pas de renforts"

À l'approche du procès des attentats du 13 novembre 2015, franceinfo révèle une série de documents inédits. Ils sont victimes, témoins, policiers, secouristes... ils racontent leur 13-Novembre. Ce soir-là, l'urgentiste Thomas Nicol a dû faire face à l’explosion d’un terroriste au Comptoir Voltaire, dans le 11e arrondissement. Le soir des attentats du 13-Novembre, Thomas Nicol était de garde, dans un camion du Smur (structures mobiles d'urgence et de réanimation) de la Pitié-Salpêtrière à l'AP-HP, avec son équipe, un ambulancier et un infirmier. A l'époque le médecin a 36 ans, il exerce le métier d'urgentiste depuis plusieurs années, mais ce qu'il va affronter ce soir-là, va le marquer profondément. À 21h26, alors qu'il intervient sur un patient, dans le quartier de la Bastille, il entend sur les ondes radio des pompiers la fusillade rue Alibert, dans le 10e arrondissement de Paris. Mis en alerte par le Samu, Thomas Nicol va se poster devant la mairie du 11e arrondissement pour intervenir dès qu'il aura le feu vert de sa hiérarchie, en attendant que les lieux soient sécurisés. Entre temps, à 21h36, les terroristes mitraillent la Belle Equipe, pas très loin, faisant 19 morts, avant de terminer leur course à 21h40 au Comptoir Voltaire, où le kamikaze Brahim Abdeslam, le frère de Salah Abdeslam, l'unique survivant des commandos, se fait exploser sur la terrasse. C'est dans ce café situé boulevard Voltaire que Thomas Nicol va prodiguer les premiers soins. Quinze personnes sont blessées, dont trois grièvement par des souffles d'explosion, le blast. C'est une première pour l'urgentiste qui n'avait vu cela que dans les livres de médecine. Une attaque passée longtemps inaperçue, parce que moins meurtrière que le Bataclan ou les fusillades des terrasses, mais tout aussi traumatisant. Thomas Nicol a choisi franceinfo pour livrer pour la première fois son témoignage. Avertissement : le témoignage qui suit relate des événements particulièrement dramatiques et violents, susceptibles de choquer.  Thomas Nicol : J'ai un souvenir très précis de cette soirée. J'étais place de la Bastille en intervention avec mon équipe auprès d'un patient, qu'on prend en charge de manière classique et qui ne nécessite pas qu'on l'emmène jusqu'à l'hôpital. Et en me libérant de l'intervention – ce sont les termes qu'on utilise – on entend via le canal radio des pompiers qui sont avec nous à ce moment-là les premiers messages concernant la rue Bichat. On a des informations très parcellaires, mais on a la notion qu'il y a déjà une dizaine de victimes. Des gens décédés, dans Paris. Et c'està 500 mètres de Bastille. Je reste disponible pour la régulation, à proximité et en stand-by, en attente d'avoir plus d'informations. J'ai rapidement l'info qu'une équipe de Lariboisière, qui est le Smur à proximité, se rend sur place. Et je décide, avec l'accord de la régulation, de me rapprocher de la rue Bichat. On repart via l’avenue Ledru-Rollin sur la rue du Faubourg Saint-Antoine, qu'on remonte jusqu'à Nation. Sans rien voir. Il ne se passe rien. On ne voit rien, mais on se doute que les informations sont très parcellaires, même pour la régulation, où ils sont obligés de recouper : avec des appels qui arrivent dans tous les sens, on sait que ce n'est pas forcément facile... À Nation, on voit de l'activité au début du boulevard Voltaire : on s'engage. Et c'est là qu'on arrive sur l'attentat du Comptoir Voltaire. Je me refuse presque à imaginer que j'ai croisé les terroristes, mais en reprenant le timing, peut-être que oui. Je ne saurai jamais. Je pense que je ne veux pas le savoir. C'est vrai que c'est quelque chose qui, a posteriori, était très difficile. On était possiblement en danger, sur la place Voltaire en stand-by, à la merci d'un terroriste potentiel. Je ne sais pas... A posteriori, on s'est dit que c'était probablement des policiers de la BAC qui avaient débarqué de manière un peu rapide. Mais il n'y avait pas de cordon et rien n'était identifié, donc c'était très choquant de voir ces civils en armes. On a vite compris qu'ils étaient du bon côté mais c'était une ambiance très particulière. On se rend vers les victimes et c'est à ce moment-là qu'on a l'information qu'il y a une bombe qui n'aurait pas encore explosé dans le café. Avant de vivre ça, on n'en a aucune expérience. Mais cela faisait quand même quelques années déjà que je faisais ce métier : j'avais été formé à la médecine de catastrophe, j'avais fait plusieurs ateliers de simulation, de mises en situation. Donc, très vite, je sais que le plus important, c'est la sécurité des équipes. J'interdis donc à mon équipe de s'approcher du Comptoir Voltaire et on reste groupés. On se dirige vers le premier point de ralliement des victimes qui avait été instauré par les secouristes sur place, sur une cour d'immeubles jouxtant le Comptoir Voltaire, rue de Montreuil. A Paris, les moyens médicaux sont très importants, dès qu'il se passe quoi que ce soit, il y a très vite beaucoup de renforts médicaux. Mais là, je suis seul et je comprends très vite qu'il n'y aura pas de renforts. Je sais rapidement qu'il y a trois UA (urgences absolues) dans cette cour d'immeuble. Je les fais déplacer très rapidement dans un endroit couvert, parce qu’on est en plein vent et même s'il fait chaud ce soir-là, on est dehors. Je les fais déplacer un peu plus loin, dans un endroit où on peut travailler de manière plus efficace avec mon équipe. Et on voit ce qui se passe. Avant d'accéder aux victimes, j'ai la notion qu'il y a une bombe, mais je n'en sais pas plus. Je ne sais pas s'il y a des blessures par balles. J'ai une vision très parcellaire de ce qui s'est passé. Et ça, je m'en rends compte à posteriori. Quand on arrive, les trois victimes sont conscientes et je comprends qu'elles sont polycriblées, mais je ne sais pas avec quoi. Ça, je ne le découvre que le lendemain, en regardant les radiographies des victimes. On ne sait pas faire, on n’a que les notions théoriques : les problématiques d'explosions, avec les blasts primaires, secondaires, etc. On a évidemment des notions théoriques, mais c'est la première fois que je prends en charge des victimes d'explosion. On est à nouveau médecins et on est détachés des circonstances. Et voilà comment ça se termine sur le Comptoir Voltaire : on reste peut-être trente ou quarante minutes sur place, maximum. Mais très très vite, on part. On sait qu'il y a des terroristes ce soir-là dans les rues de Paris, mobiles. Mais j'étais dans l'action, je voulais évacuer ces victimes et qu'elles soient vite à l'hôpital. Elles étaient stables, pour l'instant, et on était tout près de l'hôpital Saint-Antoine. Donc j'ai pris la décision de faire partir les camions de pompiers avec les deux premières victimes très rapidement. Après... Est-ce qu'il y a eu un risque couru sur ces transferts ? Je ne sais pas. Mais j'étais presque content que ce soit moi qui soit de garde ce soir-là, parce qu'il y avait pas mal de médecins plus jeunes et moins expérimentés dans l'équipe. La suite a prouvé que ça s'est plutôt bien passé pour ces trois victimes. C'est rassurant. J'ai pris de leurs nouvelles pendant très longtemps. Pas directement auprès d'elles, mais ce sont des dossiers que j'ai suivis... Il y a une espèce de goulot, à l'entrée du service du réveil de la Pitié, qui prend une somme énorme de victimes. Là, je souffle : je suis de retour à la maison, avec des interlocuteurs que je connais. Les premiers renforts arrivent. Des gens de l'équipe, ambulanciers, infirmiers et médecins, qui se présentent spontanément pour donner un coup de main, pour être disponibles. Et puis, il y a aussi des équipes de la région entière qui viennent : un "plan camembert" est prévu pour ce genre d'évènement, avec des renforts de toute l'Ile-de-France qui peuvent converger vers Paris. Et ce soir-là, c'est ce qui avait été mis en place. On est donc de retour au local avec plein de gens, en équipes, prêts à intervenir. Avec des collègues qui sont revenus spontanément filer un coup de main aux urgences. Moi, je ne pouvais pas. J'étais complètement sidéré. Je suis incapable d'agir, de faire plus, j'ai besoin de m'isoler, de digérer, certainement. Ce que je n'ai pas fait ce soir-là, évidemment, mais... Je me sentais incapable. Au petit matin, j'ai refait une intervention, mais qui n'avait rien à voir avec les attentats. Là, c'est la médecine de tout venant, donc je l'ai fait, pas machinalement, mais presque, jusqu'au petit matin où j'ai terminé ma garde à 8 heures. Je suis ensuite revenu travailler le dimanche, pendant 24 heures. Ça, c'était de la folie, je pense. C'était une erreur. Mais dans ces cas-là, on n’a pas envie de lâcher l'équipe, on a envie de rester. On est dans un secteur où l'activité ne manque pas et le quotidien reprend le dessus. Je crois que ce soir-là m'a permis de me détacher de mon travail. J'aime mon travail et je pense le faire de manière très consciencieuse et professionnelle, mais je crois que c'est là où j'ai compris que c'était... un travail. Pour beaucoup de gens, la médecine n'est pas un travail, ça fait partie de leur vie. Et je crois que ça m'a fait évoluer là-dessus. Je sais qu'il y a eu plein de services, notamment les services des urgences parisiennes, qui ont été débriefés. Nous, le Smur de la Pitié, on a été oubliés. Je ne sais pas ce qui s'est passé au Samu, mais nous on a clairement été oubliés. On n'avait d’ailleurs pas de psychologue référent sur le service, et ce n'est toujours pas le cas. On fait des métiers où au quotidien, on est amenés à voir des choses très dures. Mais c'est toujours ce dogme qu'on nous apprend depuis qu'on est tout petit : "T'es médecin, tu encaisses et tu fais avec. Tu encaisses sans pleurer, sans geindre..." C'est au départ vu comme une faiblesse de solliciter une aide. C'est un défaut d'éducation dans nos études, avec des aînés qui nous ont inculqué ça. J'espère qu'on y revient. Et je pense qu'on y revient : après des évènements comme ça, il y a une réflexion autour de ça et on essaie de faire plus attention à nous.

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