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Insolite et Faits divers

DOCUMENT FRANCEINFO. Le 13-Novembre de la mère d'une victime du Bataclan : "On rejoint un autre rivage, avec ceux qui ont vécu le même drame"

Le 13-Novembre de la mère d'une victime du Bataclan : "On rejoint un autre rivage, avec ceux qui ont vécu le même drame" À l'approche du procès des attentats du 13 novembre 2015, franceinfo révèle une série de documents inédits. Ils sont victimes, témoins, policiers, secouristes... ils racontent leur 13-Novembre. Pour Nadine Ribet-Reinhart et sa famille, l'angoisse de ces heures interminables à tenter de retrouver Valentin, avec l'espoir qu'il est encore en vie. Le 13 novembre 2015, Nadine Ribet-Reinhart est chez elle, avec son mari Olivier. Cette médecin de santé publique vient de changer de poste, elle a beaucoup de travail, la tête pleine de nouvelles données à maîtriser. À 54 ans, elle est une professionnelle heureuse, une mère de famille comblée. Avec son mari Olivier, ils ont eu trois enfants, deux fils et une fille, âgés de 26, 24 et 21 ans. Mais cette nuit-là, leur vie va basculer. Valentin, leur aîné, est au Bataclan avec "son amoureuse", pour un concert des Eagles of Death Metal. Nadine Ribet-Reinhart l'ignore jusqu'à ce que son cadet rentre de l'étranger et la prévienne qu'il y a une prise d'otage dans la salle de concerts. Et que Valentin y est. Il est 22h30. Le tout jeune avocat ne répondra jamais au dernier SMS angoissé de sa mère : "Où es-tu, donne-nous de vos nouvelles !" Valentin fait partie des 90 victimes du 13-Novembre au Bataclan. Avertissement : le témoignage qui suit relate des événements particulièrement dramatiques et violents, susceptibles de choquer.  Nadine Ribet-Reinhart : Le 13 novembre 2015, Valentin venait de fêter ses 26 ans. Il était évidemment indépendant et il ne vivait plus à la maison depuis longtemps. Comme beaucoup de jeunes, il vivait sa vie. Et bien sûr, nous ne savions pas, son père et moi, qu'il assistait à ce concert avec son amoureuse. On a découvert par hasard qu'il était au Bataclan. C'est son frère qui nous a appris en arrivant ce soir-là à la maison, tardivement, vers 22h30, car il arrivait de l'étranger, qu'il y avait un attentat, une prise d'otages au Bataclan. Et que Valentin et son amoureuse y étaient. C'est comme ça qu'on l'a appris, en trente secondes. J'entends encore la voix de notre fils cadet nous annonçant ça. Évidemment, ça nous fait jaillir de notre torpeur du vendredi soir, parce qu'on terminait une semaine de travail bien remplie. Je venais de prendre un nouveau poste depuis quinze jours, avec la tête pleine de nouvelles informations. Là, tout disparaît. Il ne reste plus qu'une chose, un seul but : avoir des nouvelles de Valentin et de son amoureuse pour comprendre s'ils sont sains et saufs, et qu'est-ce que c'est que cette prise d'otages. On n'est pas devant notre télévision, qui a, en plus, tendance à ne pas fonctionner. On a fait ce qu'ont fait la plupart des parents ce soir-là : on a pris notre portable et on a appelé Valentin et son amoureuse. On commence à réfléchir, on essaie de prendre des nouvelles. J'envoie donc plutôt un SMS. Le même que des milliers de Français ont dû envoyer ce soir-là : "Où es-tu ? Où êtes-vous ? Donnez-nous des nouvelles." C'est le seul SMS que j'ai évidemment gardé dans mon portable, puisque je n'aurai jamais de réponse à cette question. La soirée va avancer et on commence à comprendre qu'il y a eu des attentats à Saint-Denis, sur les terrasses des cafés, des restaurants du 10e et du 11e arrondissements, qu'il y a eu des explosions et que quelque chose de terrible est en train de se passer au Bataclan. Et que nos enfants y sont. Aidés de nos deux enfants qui ont 21 et 24 ans à l'époque, on commence à chercher à avoir des nouvelles en passant par les réseaux sociaux, par Facebook. On essaie de comprendre ce qui s'est passé. Et à ce moment-là, on apprend par des relations, des amis d'amis, que son amoureuse est gravement blessée, mais qu'elle est actuellement réfugiée chez quelqu'un. Ça donne de l'espoir : on ne sait pas ce qui se passe à ce moment-là. On sait que quelqu'un a pu se sauver, donc on se dit que peut-être que Valentin aussi va s'en sortir. Finalement, on a les parents de son amoureuse qui se rendent à l'hôpital pour voir leur fille et... (sa voix s'étrangle) On ne peut pas réaliser ce qui se passe à ce moment-là (Elle s'arrête un instant). On ne peut pas réaliser parce que c'est... (Un silence) Comme ce qui se passe à Paris et à Saint-Denis est inimaginable, on se raccroche et on se dit que l'impossible va être possible. Et que peut-être Valentin sera sain et sauf. Voilà : on n'y croit pas. On ne peut pas réaliser à ce moment-là que dans cette salle de spectacle, on va trouver 90 personnes assassinées, après l'assassinat au Stade de France, après les 39 personnes qui vont être assassinées sur les terrasses des cafés. On n'est pas dans ce décompte macabre : on est dans une histoire individuelle pour deux personnes qu'on chérit énormément, qui viennent de fêter leurs 26 ans et qui sont parties à un concert. On va chercher comme ça toute la toute la nuit, faire la tournée des hôpitaux, tôt le matin, avec des amis et des collègues de Valentin, ses amis proches. On se téléphone partout. On va même au domicile de Valentin, en se disant qu'il est peut-être rentré en état de choc. Qu'il n'a plus son portable. On se raconte des histoires et à 9 heures du matin, on y croit encore. Et puis, par un concours de circonstances, la reconnaissance de Valentin se fera à l'institut médico-légal par un enquêteur qui prévient mon frère, qui est avocat et qui a activé lui-même, toute la nuit, toutes les personnes possibles. Je lis en ce moment le livre de Delphine Horvilleur [Vivre avec les morts] et il y a un passage, que je n'ai pas encore relu suffisamment, où elle parle des parents qui ont perdu un enfant. Et elle explique dans son livre, sur une courte page, comment on va vivre dans un monde différent. Et je trouve que ce qu'elle exprimait est très, très fort. C'est à la fois la douleur et puis, c'est vrai, six ans après, c'est un autre monde. Une autre manière de vivre. On ne pourra plus être comme avant, comme les autres parents. On entre dans une autre communauté de parents qui ont vécu ce même drame. On ne s'en rend pas compte : j'en parle six ans après, mais sur le moment, on n'a plus rien. On est tous les quatre à la maison, avec mon mari, avec mes deux enfants cadets, mais il n'y a pas de sentiment. Il n'y a rien à rien : c'est le vide. C'est un abîme sans fin dans lequel on tombe. Et qui ne s'arrête pas. Enfin si, qui s'arrête mais... Et puis il y a ces circonstances dans lesquelles est décédé Valentin. C'est un assassinat, un attentat de masse dans Paris. Et cela bouleverse certaines choses puisque toutes les informations vont très vite et c'est un traitement différent, encore. Il n’y a pas de temps de pause. On a choisi, nous, de rester tranquillement à la maison parce qu'on attend une officialisation du décès de Valentin. On n'a qu'une envie, c'est d'aller à l'institut médico-légal, puisque c'est là qu'il est avec les 129 autres personnes qui sont décédées ce jour-là. Et là, on comprend que ça ne va pas être simple. On n'a pas d'informations. Quelqu'un nous appelle officiellement et nous demande de venir à l'institut médico-légal. On y va. Mon mari répète en boucle : "Mais moi, je veux voir Valentin." C'est l'institut médico-légal, donc. Avec, dans ses locaux, 130 personnes décédées. On se retrouve au milieu d'un univers complètement dingue. On sort le précieux livret de famille, qui est bafoué, puisqu'on va remplir la page d'en bas, plus la page d'en-haut. C'est le temps de la première souffrance. Car il y a plusieurs souffrances quand sa famille est victime d'un accident, et là, d'un attentat. Après s'écrira un dictionnaire de la souffrance : vous avez la souffrance parce que c'est un évènement public. Vous avez la souffrance parce qu'on vous prive de certaines choses. Vous avez la souffrance parce que le temps va devenir très long, avec le début du processus de vérité, l'enquête. Nous, on ne la suit pas ça, à ce moment-là. On est dans notre deuil, notre chagrin, on ne sait plus articuler trois mots. Moi, je me suis focalisée sur la perte de notre fils, du frère de deux enfants, du cousin, du petit-fils. On a donc complètement oublié le côté médiatique et on s'est concentrés là-dessus. Et après, on reste un couple et on est encore des parents : il faut montrer que l'on est là. Ce sont les premiers signes de résistance, puisqu'il va falloir composer avec la souffrance, la douleur, le chagrin, les nuits sans sommeil, la fatigue. L'immense fatigue. La quête de vérité est apparue après mi-décembre parce qu'il y a eu des bribes d'informations. On a commencé à comprendre qu'il y avait une cellule terroriste qui était organisée en Belgique, que tout cela n'était pas très surveillé. C'était important parce que c'était le début de la vérité. Et puis le début de la solidarité et la fraternité, qui sont arrivées début janvier 2016 quand on a appris la création d'une association de victimes : Fraternité et Vérité 13Onze15, créée par un papa endeuillé, Georges Salines, entouré d'un groupe à qui on doit beaucoup et qu'il a fédéré. Il y avait aussi une autre association de victimes, Life for Paris. Nous, on a été séduits par l'approche de Fraternité Vérité, par son nom. Et puis parce que ça allait devenir des nouveaux camarades de combat, des amis avec qui on allait partager. Et c'était vraiment un grand pas pour nous d'adhérer à cette association, de se sentir soutenus. Je reviens sur le livre de Delphine Horvilleur : on rejoint une île, un autre rivage, avec ceux qui ont vécu le même drame, la même souffrance, la même quête de savoir où était leur enfant ce soir-là, et qui un jour l'ont retrouvé plus ou moins tardivement à l'institut médico-légal. Et quand ces gens-là parlent, ils sont l'écho de notre propre souffrance, et de l'individuel, on passe au collectif, et quand on est un collectif, on peut être plus forts ensemble. C'est une communauté qui nous permet ensuite d'avancer. Il y a un temps plus individuel pour moi : grâce à ma famille, j'ai pu lire tout ce qui s'est passé entre la France et la Belgique. Ces lectures ont alimenté, au-delà de la souffrance et de la peine, ma révolte, ma colère. Après, on a eu la commission d'enquête parlementaire, qui s'est créée quand même assez tardivement, en mars. Là, le rapport nous a donné accès à beaucoup d'informations. On apprend des choses et c'est pas joli-joli : la non-coopération des services européens, la non-coopération des services français entre l'intérieur et l'extérieur, la DGSE, la DGSI. Avec des alertes qui n'ont peut-être pas été entendues. Je ne deviens pas du tout une experte du sujet, mais quand même. Comme le dit une de mes amies de Fraternité et Vérité, Dominique Kielemoes, quand je lui dis qu'il y a eu des trous dans la raquette, elle me répond : "Non, Nadine, il n'y avait pas de raquette." J'espère que le procès éclaircira toutes les zones, y compris les zones d'ombre, que peut-être on n’aimerait pas mettre sur la table : ce n'était pas des loups solitaires. Ils étaient en bandes et ils étaient super bien organisés. Qui organisait ça ? À quel moment ? D'où ça venait ? Quels étaient les ordres ? Qui venait ? Qui était en Syrie ? Comment ça s'est passé ? Depuis quand c'était préparé ? Que savaient les services secrets ? Quelles étaient les alertes ? Je réfléchis comme je peux, mais je fais l'analogie : il y a eu la guerre, 14-18 et 39-45. Nous, il y a eu 2015 et 2021. Et 2021 ce n'est pas la Libération, c'est le procès. On en attend beaucoup : la vérité, des témoignages. Peut-être les auditions des 14 personnes qui sont inculpées. Pour nous c'est surtout notre procès, celui qui va nous permettre d'écrire une page. Je n'ai pas dit de "tourner" la page, mais "écrire" une page. Ce sera passé et après, on aura d'autres projets. Il y aura le musée-mémorial du terrorisme, qui va permettre de construire une mémoire avec les travaux des historiens, comme Henry Rousso. C'est important de participer à ce procès. C'est un temps de justice. Mais c'est entouré aussi d'initiatives très importantes : c'est quand même sur notre territoire une part de l'humanité qui avait disparu ce soir-là et qu'on essaie de reconstruire, en essayant de rester debout. Et puis, en essayant aussi de ne pas être figé dans la douleur. La douleur, elle est là. Le chagrin, il est là. Tout ça, on l'a. C'est bon. Il est là, mais il faut aussi apprendre à se relever. Et puis, quand on n'a plus de force, il faut savoir le reconnaître. Mais il faut aussi profiter, se tourner vers les autres, s'émerveiller de tout ce qui peut se passer de bien. Et ne pas fléchir. Nadine Ribet-Reinhart. Elle est ici photographiée par David Fritz-Goeppinger, qui était l'un des otages du Bataclan, le 13 novembre 2015. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO) Leur 13-Novembre Victimes, policiers, médecins, voisins... Ils racontent leur nuit du 13 novembre 2015, lorsque des commandos jihadistes font 130 morts et 350 blessés à l'extérieur du Stade de France près de Paris, sur des terrasses de la capitale et dans la salle de spectacle du Bataclan. • La nuit du 13-Novembre racontée par les appels au Samu : "J’ai vu un mec avec une kalachnikov sortir d’une voiture" • Le 13-Novembre du magistrat qui a suivi le dossier des attentats jusqu'au procès : "Tout le monde a eu conscience de l'enjeu" • Le 13-Novembre du commissaire du 10e : "Ce soir-là, on était le phare dans l'obscurité" • Le 13-Novembre d'un voisin descendu porter secours aux blessés "dès que les terroristes sont partis" • Le 13-Novembre d'un urgentiste : "Je suis seul médecin et je comprends très vite qu'il n'y aura pas de renforts" • Le 13-Novembre de deux rescapés du Bataclan, qui ne seraient "pas là l'un sans l'autre" • Le 13-Novembre des otages du Bataclan et des policiers qui les ont sauvés : "Il y a ceux qui étaient et ceux qui n'y étaient pas" • Le 13-Novembre d'un policier entré au Bataclan : "Je suis fier d'avoir participé à l'enquête, pour les victimes" • Le 13-Novembre de la mère d'ue victime du Bataclan : "On rejoint un autre rivage, avec ceux qui ont vécu le même drame"

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