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Insolite et Faits divers

DOCUMENT FRANCEINFO. Le 13-Novembre du commissaire du 10e : "Ce soir-là, on était le phare dans l'obscurité"

A l'approche du procès des attentats du 13 novembre 2015, franceinfo révèle une série de documents inédits. Ils sont victimes, témoins, policiers, secouristes... ils racontent leur 13-Novembre. Ce soir-là, Julien Miniconi était le commissaire central du 10e arrondissement.  Le soir des attentats du 13-Novembre, Julien Miniconi est commissaire central du 10e arrondissement avec près de 450 policiers sous ses ordres. Il a été nommé quelques mois plutôt. Il va avoir 40 ans. Des cités sensibles d’Ile-de-France à l’organisation de grands événements comme le G20, ce Niçois a grimpé un à un les échelons pour devenir commissaire divisionnaire. Il jouit alors d’une solide et riche expérience en sécurité publique. Pourtant rien ne le prépare aux événements de la nuit. A 21h24, c’est dans son arrondissement, à l'angle des rues Bichat et Alibert, qu’a lieu la première attaque des terroristes contre les terrasses parisiennes. Le commando de trois hommes dirigé par Abdelhamid Abaaoud mitraille la clientèle du Petit Cambodge et du Carillon, faisant 13 morts et des dizaines de blessés. Une scène de guerre sans précédent pour les policiers de la préfecture de police de Paris depuis la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui sous-préfet de l’Orne, l’ex-commissaire a choisi franceinfo pour livrer son témoignage sur ces événements qui l’ont marqué, comme tous ses collègues en uniforme à Paris. "Être policier, dit Julien Miniconi, c'est être le premier et le dernier rempart de la République. Le dernier rempart face à la barbarie et face à l'indicible. On était le phare dans l'obscurité ce soir-là." Avertissement : les témoignages qui suivent relatent des événements particulièrement dramatiques et violents, susceptibles de choquer.  Julien Miniconi : Je suis chez moi, j'ai dîné, j'ai couché ma grande fille. Avec mon épouse, on regarde le match de foot France-Allemagne, et j'ai dans mes bras ma  deuxième fille, qui a deux mois. On lui donne le biberon. Là, j'entends dans la bande-son du match un premier "boum". Je me dis que là, quand même, le service de sécurité du Stade de France abuse un peu, parce qu'ils ont laissé entrer une bombe agricole. Après le deuxième "boum" je me dis : quand même, deux fois d'affilée, ça commence à faire beaucoup... On sent que ça commence un peu à bouger Quelques minutes après, je reçois un coup de fil sur mon téléphone professionnel. C'est Rémi Féraud, le maire du 10e arrondissement à l'époque. Il me dit : "Monsieur le commissaire, il se passe quelque chose près du Carillon et du Petit Cambodge". Il n'habite d'ailleurs pas loin, il entend des coups de feu. Il me demande si je peux me renseigner. J'appelle tout de suite ma salle de commandement rue Louis-Blanc, au commissariat du 10e. J'habitais dans le 5e arrondissement à l'époque. Je pense que je n'ai jamais traversé Paris aussi vite. On part sur quelque chose mais on ne sait pas ce que c'est. On ne pense pas à une attaque jihadiste, on pense à un règlement de comptes, à quelqu'un qui aurait pété un boulon... On ne sait pas du tout. Malgré le fait qu'on ait eu l'attentat de Charlie Hebdo en janvier, quelques mois auparavant, on ne part pas du tout là-dessus.  J'arrive sur place. Et là, c'est la vision d'horreur. On ne sait pas encore ce qui se passe. Le préfet de police est déjà présent, ce qui est complètement improbable. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on a effectivement cette scène de crime, que personne n'est interpellé. On ne sait pas encore ce qui se passe. Le problème, c'est qu'entre le 10e et le 11e arrondissement, ce sont deux stations radio différentes : on n'entend pas ce qui se passe dans le 10e et le 11e en même temps. C'est-à-dire qu'on arrive sur le 10e et on ne sait pas que les terroristes sont déjà en train de partir sur le 11e. Là, je tombe sur l'officier de nuit. Il est calme, ça aide par rapport à ce qu'on voit par terre. Des gens déchiquetés. On leur a tiré dessus à la 7,62, ce n'est pas du petit calibre. Des gens avec des jambes qui ne sont pas dans le bon angle. Des gens avec des trous. Des gens avec des moitiés de visage qui n'existent plus. Une vision d'horreur. Il y a des corps partout, du sang partout, des gens qui courent dans tous les sens. C'est la panique totale. C'est stressant. Si ça trouve, ils sont dans les étages, ils ont mis des bombes dans les bagnoles à côté, ils sont en train de sniper quelque part... On ne sait pas. On donne des ordres, à la voix, parce que si on passe par les ondes radios, elles sont saturées. Il y avait du vent ce soir-là. Je me souviens de pans de linceuls qui se soulèvent au gré du vent. Ça fait un peu poétique, mais c'est vraiment terrible, parce qu'on ne peut pas s'empêcher d'avoir le regard attiré par ces draps qui s'envolent et ces corps qui se révèlent. Et toutes les personnes qui sont présentes remettent les draps... J'ai ce souvenir-là : qu'on remet les draps. Pour ne pas que l'on voit le visage de la mort, et qu'on puisse être concentrés sur notre boulot.  Et le boulot de la police à ce moment-là, c'est d'étanchéifier le dispositif. Il faut éviter que les gens pataugent dans la scène de crime, qu'on puisse récupérer les douilles, qu'on puisse voir les angles de tir. Tout ce qui fait l'enquête, a posteriori. Et surtout, qu'on sécurise vraiment les lieux. C'est la priorité absolue.  Il y a une solidarité, avec des gens qui descendent avec des couvertures, un altruisme de la part de tous les gens qui étaient là. On était toujours sous la menace d'un surattentat. Je n'avais qu'une seule crainte, c'était qu'une voiture garée soit piégée et qu'à un moment donné, ça explose. On a pris toutes les plaques des voitures garées à proximité, on les a toutes passées au fichier. Il n'y avait rien de particulier, mais ça aurait très bien pu être le cas. C'est pour ça qu'on essaye de faire rentrer le plus possible les gens, pour qu'ils ne restent pas sur la voie publique. Les policiers en patrouille dans le 10e arrondissement ont été les premiers intervenants. Ils auraient pu se faire tirer comme des lapins. L'îlotier, police-secours... À part Charlie Hebdo, forcément. Mais Charlie Hebdo, c'était tellement spécifique, tellement ciblé qu'on ne pensait pas que ça pouvait se reproduire. On était tous sidérés. Cela a galvanisé les troupes, aussi, parce qu'ils se sont sentis encore plus utiles que d'habitude. Parce qu'être policier, c'est être le premier et le dernier rempart de la République, le dernier rempart face à la barbarie et face à l'indicible. Ce soir-là, on était le phare dans l'obscurité. Une chose extrêmement marquante, c'est la fin de soirée. Vers 2, 3 heures du matin, vous avez des gens qui sont rentrés de soirée, qui étaient chez des potes et qui n'ont pas allumé la télé. Ils voulaient passer le périmètre de sécurité parce qu'ils habitaient juste derrière et comme ils étaient à moitié alcoolisés, voire carrément alcoolisés pour certains, on n'arrivait pas à leur faire comprendre que non, ils ne pouvaient pas passer parce qu'il y avait quinze morts, juste derrière... ils voulaient passer quand même. Il y a eu de très grosses tensions. Tout ce laps de temps m'a semblé extrêmement court alors qu'en fait, c'était très long. Jusqu'à 5 heures du matin. Toute la nuit s'est passée en un trait de temps. J'ai l'impression d'être arrivé et d'être aussitôt reparti. Ma première idée, le lendemain, c'était de parler. D'organiser la prise en charge psychologique des collègues qui avaient vécu ça. C'était tellement hallucinant. La semaine qui a suivi a été extrêmement bizarre. D'ailleurs, j'ai très peu de souvenirs, en fait. Tout ce que je sais, c'est que j'accompagnais ma fille à l'école et que j'étais armé, avec mon gilet pare-balles. On est beaucoup plus vigilants, quand on descend de voiture, devant la maison, on regarde à droite à gauche, on amène son arme à la maison... Ça nous a changé, ça m'a changé à vie. On s'aperçoit qu'on est peu de chose, qu'on est fragile. Je ne suis pas sorti indemne. J'ai subi un très gros choc psychologique qui a fait que j'ai perdu toute ma pilosité. Entre l'attentat et juin 2016, j'ai tout perdu. Ça fait partie de moi maintenant. Pour moi, c'est ça le stigmate de l'attentat. Cette perte de cheveux, de sourcils et de barbe. J'ai vu des médecins, un dermatologue, ils ne savent pas l'expliquer. Peut-être une accumulation de stress... Tout ça, on le vit à l'intérieur. Dans une vie de policier, il y a plein de premières fois. Le premier cadavre, la première fois qu'on se prend des cailloux. Mais là, c'est la première fois... ultime. Je ne pense pas qu'on puisse vivre pire que ça. Leur 13-Novembre Victimes, policiers, médecins, voisins... Ils racontent leur nuit du 13 novembre 2015, lorsque des commandos jihadistes font 130 morts et 350 blessés à l'extérieur du Stade de France près de Paris, sur des terrasses de la capitale et dans la salle de spectacle du Bataclan.

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