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Insolite et Faits divers

DOCUMENT FRANCEINFO. La nuit du 13-Novembre racontée par les appels au Samu : "J’ai vu un mec avec une Kalachnikov sortir d’une voiture !"

À l'approche du procès des attentats du 13 novembre 2015, franceinfo révèle une série de documents inédits. Le premier est l'enregistrement des appels qui, cette nuit-là, ont transité par la plateforme du Samu de Paris. Témoins, victimes, services de secours, pompiers, police, hôpitaux... Toutes ces voix racontent leur 13-Novembre. C'est un document sonore exceptionnel, tiré des appels d’urgence du Samu de Paris, la nuit du 13 novembre 2015. Treize heures de bandes que nous a confiées le médecin urgentiste Nicolas Poirot, de garde ce soir-là, alors que la France va être frappée par l'attaque jihadiste la plus meurtrière de son histoire : 130 morts et 350 blessés à l'extérieur du Stade de France près de Paris, sur des terrasses de la capitale et dans la salle de spectacle du Bataclan. Ces enregistrements contiennent tous les appels qui ont transité par la plateforme du Samu cette nuit-là : témoins, victimes mais aussi les échanges de l’ensemble des services de secours, pompiers, police, hôpitaux, équipes sur places qui se sont mis en action ce soir-là pour sauver le plus de monde possible.  "Ça a été pour moi, jusqu'à présent, l'événement le plus marquant, professionnellement parlant", confie Nicolas Poirot, qui a dû prendre le commandement de la cellule de crise du Samu de Paris à l'AP-HP, dès les premiers appels d’alerte. C'est lui qui nous a confié les enregistrements. Il les gardait dans son ordinateur. Il a mis plus d'un an à les écouter et depuis, il les utilise pour former les urgentistes à travers la France. "Je voulais garder une trace, pour mon histoire et aussi pour l'Histoire". Des archives pour ne jamais oublier. Sur les treize heures de bande, nous avons opéré un énorme tri, mais certains passages sont encore difficiles à entendre. Nous sommes le 13 novembre 2015. Il est 21h26 au centre d'appel. Le médecin régulateur Nicolas Poirot s'apprête à vivre la nuit la plus difficile du Samu de Paris. Ce vendredi-là, il fait doux dans la capitale, l’atmosphère est à la fête, les terrasses sont bondées. Au siège du Samu de Paris, à l’hôpital Necker, c’est calme. "On a très peu d’appels, et pas mal de moyens disponibles", se souvient Nicolas Poirot. À 21h17, la première explosion entendue au Stade de France, à Saint-Denis, met en alerte les professionnels. Dans la foulée, les premiers appels pour une fusillade parviennent au centre d’appel du Samu 75. À 21h33, un témoin affolé décrit la scène à laquelle il vient d'assister : "J’ai vu un mec avec une Kalachnikov sortir d’une voiture, et il a tiré n’importe comment sur les gens, au McDonald's du 10e." Pour Nicolas Poirot, qui est aussi réserviste et formateur à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, aucun doute, c’est un attentat coordonné. D’autant qu’il participait le matin même à un exercice d’attaques multiples au fusil d’assaut, avec le même scénario. Très vite, le médecin réclame à ses équipes un tableau dédié, une carte pour comprendre le mouvement des terroristes dans Paris. Les appels se multiplient, impossible de tous les décrocher. Sur la musique d’attente, on entend les victimes s’impatienter, jurer, appeler au secours, s’énerver, hurler, souffrir. Ces moments ont été enregistrés. Vous ne les entendrez pas, nous avons choisi de les écarter. 21h37, une victime sous le choc joint la régulatrice du Samu : "Il y a eu un attentat au Petit Cambodge, j’ai des amis qui sont blessés, mais les secours n’arrivent pas !" Impossible d’envoyer ses collègues "au casse-pipe", se souvient Nicolas Poirot, c’est la base de la médecine de guerre : sécuriser d’abord les équipes. Mais les relations avec la police sont difficiles, car Samu et forces de l'ordre n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Pas de numéro d’appel direct, les policiers sont débordés. Au bout du fil, le professeur Pierre Carli, le patron du Samu de Paris, conseille de rapprocher les équipes des sites attaqués en attendant que les terroristes quittent les lieux. Tout le personnel est rappelé, les Samu des autres départements sont mis en alerte, les hôpitaux parisiens et limitrophes sont prévenus les uns après les autres. La capitale compte déjà des dizaines de morts et de nombreuses UA (urgences absolues). Comme d’autres hôpitaux, la Pitié-Salpêtrière fait rappeler tous les chirurgiens. L’administrateur de garde de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) laisse échapper un "nom de dieu", alors que le directeur de cabinet de Martin Hirsch, le patron de l’AP-HP, déclenche le Plan blanc, pour mettre à disposition le maximum de moyens. Pour les équipes du Samu, la soirée bascule dans une autre dimension. Nicolas Poirot quitte la régulation des appels de la cellule de crise et part sur le terrain avec un ambulancier et un infirmier. Autour du Bataclan, la situation est confuse, un camion de pompier a reçu des rafales, les tirs continuent et les équipe de secours ne peuvent pas approcher de la salle de concert. La police nationale prévient le Samu 75 que l’un des leurs est blessé à l'intérieur du Bataclan et appelle à la vigilance : "Les individus seraient toujours à l’intérieur et il y aurait toujours des coups de feu". D’autres victimes ont rejoint les porches des immeubles alentour, les appels se multiplient depuis les appartements où se réfugient les blessés. Par ici, un Anglais blessé au pied est pris en charge par un médecin qui habite là, au 6e étage. Sans nouvelles de son conjoint, une femme enceinte appelle pour savoir si elle peut prendre des anxiolytiques. À 00h20 l’assaut est donné sur la salle de concert. Les premiers bilans parviennent au centre de crise du Samu, une urgentiste sur place évoque le chiffre de 80 morts au Bataclan. Stupeur au bout du fil. Dans la salle de concert, les dernières victimes vivantes ont été évacuées. Lorsqu'il y pénètre, Nicolas Poirot fait face à l’indicible. À 02h33, l’urgentiste est rappelé au centre de régulation pour finir sa nuit de garde. La salle de crise est fermée, plongée dans le silence, il n’y a plus d’appels. Tous les blessés ont été transportés dans les hôpitaux, les décédés sont pris en charge par la police et l’identité judicaire. Pour le Samu de Paris, la mission est terminée. Il vient de vivre les pires heures de son histoire depuis sa création, en 1956. Nicolas Poirot. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

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