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Insolite et Faits divers

DOCUMENT FRANCEINFO. Le 13-Novembre d'un policier entré au Bataclan : "Je suis fier d'avoir participé à l'enquête, pour les victimes"

À l'approche du procès des attentats du 13 novembre 2015, franceinfo révèle une série de documents inédits. Ils sont victimes, témoins, policiers, secouristes... ils racontent leur 13-Novembre. Mathieu Lejeune était parmi ces enquêteurs de la police judiciaire qui ont passé la nuit au Bataclan à relever tous les indices. . Il est plus d’une heure du matin, la nuit des attaques du 13 novembre 2015, quand la police judiciaire parisienne reçoit enfin le feu vert de la brigade de recherche et d’Intervention (BRI) et des équipes de déminage. Plus de trois heures après l’attaque, la salle du Bataclan est enfin sécurisée. Les constatations peuvent débuter pour identifier les 90 victimes, les terroristes mais aussi retrouver des éléments utiles à l’enquête. Parmi ces policiers, il y a Mathieu Lejeune de la brigade criminelle du 2e district de police judiciaire, appelé en renfort comme tous ses collègues de PJ. Devant le Bataclan puis à l’intérieur de la salle de concert, le brigadier-chef va enchaîner des heures de travail sans faire de pause pour relever tous les indices à sa disposition et les consigner. "La plus longue nuit de ma carrière" reconnait encore aujourd’hui Mathieu Lejeune. C'est à l'extérieur de cet enfer que ce policier aussi discret que déterminé va retrouver au petit matin, et presque par hasard, le téléphone de l'un des kamikazes. Une découverte qui va accélérer la traque des terroristes.  Avertissement : les témoignages qui suivent relatent des événements particulièrement dramatiques et violents, susceptibles de choquer.  Mathieu Lejeune : J'étais avec ma femme en train de préparer un bon petit repas, on était en train de se détendre quand, tout d'un coup, j'ai reçu un message nous disant de regarder les chaînes d'info. Moi, je ne regardais pas la télé, je ne regardais pas le match de foot, rien du tout. Mais dès que j'ai vu les chaînes d'info, j'ai dit : bon, c'est un attentat. Vu l'expérience qu'on avait avec les attentats comme ceux de Charlie Hebdo, de l'Hyper Cacher à la Porte de Vincennes, tout de suite, on sait que c'est quelque chose de grave, qu'il faut qu'on se rende sur place. J'étais enquêteur criminel au 2e DPJ [département de police judiciaire]. On est chargé de faire les constatations. J'ai été prendre une douche et j'ai dit à ma femme : ça ne va pas tarder, on va partir. Et j'ai reçu un appel de ma cheffe de groupe qui m'a donné rendez-vous rue Louis-Blanc, dans le 10e [le commissariat de l'arrondissement où se trouvent les premières terrasses touchées par le commando de jihadistes].  Quand on est arrivés devant le Bataclan, il devait être 23h30, à peu près. Je me souviens très bien, il y avait tous les agents des sous-directions de la police judiciaire des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, tous les légistes disponibles, la brigade criminelle, tous les collègues du RAID, de la BRI... On a attendu la fin de l'intervention du déminage, la sécurisation des lieux et que les secours terminent. On attendait qu'on nous dise : c'est bon, c'est sécurisé.  Pour faire les constatations, on crée des carrés. C'est impossible de constater dans un lieu aussi immense que le Bataclan, il faut séparer. Chacun avait un rôle. On m'a demandé de faire les constatations devant le café-bar Bataclan, jusqu'à la petite rue où il y a les sorties de secours. Il y avait des ogives, pleins de balles partout parce que ça a tiré de partout. Il y avait le vigile qui est décédé, dès l'entrée, avec une couverture sur lui. Il y avait une jeune fille, allongée et recouverte, elle aussi, devant le Bataclan, le café. Et on se dit : qu'est-ce que ça va être à l'intérieur ? D'autres équipes du 2e DPJ nous tiennent au courant, eux sont partis sur les bars et ils nous disent : "C'est une tuerie". Mais pour l'instant, on est dehors. On se dit que c'est une salle de spectacle, qu'il y avait beaucoup de monde... Comment ça va être ? On ne sait pas s'il y a encore des terroristes dans Paris. Donc, on est tous avec nos gilets pare-balles, on est tous aux aguets. On a l'habitude de voir les morts, de voir du sang. On est formés pour ça. On fait abstraction de ce qu'il y a autour. On fait abstraction de tout pour faire notre travail. Les constatations, ça s'apprend. On a une technique, on sait comment faire, où aller, ce qu'ont doit récupérer, ce qu'on doit laisser. J'étais en binôme avec un collègue de la 2, et avec un légiste. Tu prends ça, tu fais ci, tu fais ça... On place tout sous scellé au fur et à mesure. On est tous en combinaison, puisqu'il faut préserver les traces ADN. On termine les investigations qu'on avait à faire à l'extérieur, et on rend compte au chef du dispositif qui nous dit : "Vous allez aider vos collègues à l'intérieur". Quand je rentre dans le Bataclan, tout de suite, c'est impressionnant. Vous passez les deux portes d'entrée, vous avez le vestiaire et il y a déjà une personne allongée, décédée, une femme. Notre carré de constatations commençait au pied du bar qui se trouve sur la gauche, jusqu'à la coursive sur la droite. Là, il y a une barrière et un entassement de personnes décédées. Toutes entassées, comme ça. On était à l'entrée et le concert avait débuté mais beaucoup de monde se rapprochait du bar, ils sont tous tombés sur la rambarde. En gros, ça faisait un amoncellement de cadavres. Peut-être un peu moins de vingt, mais ça fait beaucoup. ça impressionne, beaucoup. Vous avez le vendeur de t-shirts, décédé. Et tout le long, des cadavres. Je vois ça, j'hallucine. Je me dis qu'ici, il y a une vingtaine cadavres. Et dans la fosse, vous en aviez partout. Partout, partout, des cadavres partout. C'est impressionnant, vous voyez sur les téléphones "maman", "papa", ça sonne... et la personne, elle est morte. Et là, c'est... (il souffle). L'Hyper Cacher c'était sanglant, mais c'était différent. Là, c'est vraiment une scène de guerre. Vous voyez ces films avec des gens décédés partout ? C'est pareil. Ça sent déjà un peu la mort, vous avez des cartouches partout, vous avez des morceaux de chair un peu partout. C'est hallucinant. C'est vraiment quelque chose d'horrible. Comme tout humain, on regarde et on se dit : est-ce qu'on connaît quelqu'un ? J'ai fait un tour d'horizon, et bon... Après, on se concentre sur le professionnel. On travaillait chacun dans sa zone. Il faut être concentré, il ne faut pas passer à côté de quelque chose. Il fait sombre, pour identifier les gens décédés, il faut trouver tous les éléments, ça peut être une boucle d'oreille... On ne s'occupe pas d'à côté : à côté, ils font la même chose. Chacun sa zone de constatations. Ça, ça dure toute la nuit. Je me souviens qu'il était tôt le matin. On est épuisés, on sort du Bataclan et il y a un café qui est resté ouvert toute la nuit pour que les policiers viennent boire un café, se détendre. On décide d'y aller. Avant d'être en groupe criminel, j'étais en groupe enquête et j'avais toujours pour habitude, comme mes collègues, de regarder dans les poubelles. On va boire ce café, on revient, on termine tous les papiers pour les enlèvements des corps. Et c'est à ce moment-là qu'on rentre au service et qu'on commence à écrire la procédure. Je me dis : tiens, il y a le téléphone, on va l'essayer. Je l'allume, pas de code de verrouillage. Et dedans, il y a six photos. Que du Bataclan : le plan du Bataclan, l'affiche du concert... Et sur WhatsApp, il y a un numéro belge qui apparaît et il y a deux ou trois messages. "Appelle-moi", à 17h40 et à 21h42 : "On est partis. On commence". C'est-à-dire le moment où ils donnent l'assaut au Bataclan. Là, ça m'interpelle tout de suite, bien sûr.  Je vais voir mon chef de service, et tout de suite, il me dit : "Vous faites un PV de découverte et on va faire conduire ça à la cellule de la crim, au 36" [le 36, quai des Orfèvres, siège de la brigade criminelle]. Effectivement, c'était l'un des téléphones des assaillants. Son analyse a permis par la suite de localiser des complices. Un coup de chance pour l'enquête. Deux heures après, les éboueurs de Paris passaient et ça aurait peut-être rendu plus complexes la procédure et puis l'enquête.  Je rentre chez moi le samedi soir. Toute la nuit, on a essayé de m'appeler, ma hiérarchie, mais j'étais tellement fatigué que je n'ai pas entendu mon téléphone. Je suis allé le dimanche matin au 36 me faire prélever l'ADN et les empreintes digitales puisque j'avais touché le téléphone sans précaution. Là, on redescend, on est fatigué, mais on pense à tout. Tout ça, j'en ai discuté, longtemps. Jusqu'à maintenant, dès que je vois des images, dès qu'on en parle... Je ne peux pas oublier ce genre de choses. Je vois exactement les scènes auxquelles j'ai assisté. Je n'oublierai jamais. C'est impossible.  C'est l'après... Bien sûr, ça a un impact. Avant, je remettais mon arme au coffre tous les soirs. Maintenant, j'ai toujours mon arme avec moi. Parce que ça peut arriver n'importe où, n'importe quand. Moi, je suis fier d'avoir participé à l'enquête. Notamment en découvrant ce téléphone, fortuitement peut-être, mais qui a fait avancer l'enquête. Et qui, surtout, a permis l'interpellation d'un des auteurs. Je suis fier de ça, c'est vrai. Mais je suis sûr que mes collègues de la BRI, du RAID, les pompiers, sont tous fiers d'avoir porté secours, ou d'avoir donné l'assaut. Ce n'est pas de la fierté mal placée, c'est de la fierté pour les victimes. C'est tout. Tout ce que l'on a récupéré sur les lieux, il fallait l'inventorier. Ça a duré quasiment une semaine entière, à tout répertorier, à tout mettre en place. Par la suite, chaque unité devait rendre les effets personnels aux victimes ou aux parents des victimes. Et là, ça fait des flashs. Vous faites le lien. Vous voyez la tête de la personne décédée et vous avez son ami en face, vous rendez les choses... Ça prend aux tripes, comme on dit. Après, on reprend le quotidien et ce sont des affaires sordides aussi, des assassinats, des tentatives d'homicides... On reprend le quotidien, toujours avec le même professionnalisme, parce qu'il n'y a pas de petites affaires. J'avais une collègue de mon groupe qui, elle, était sur le Petit Cambodge, je crois. Deux jeunes filles, deux cousines sont décédées à l'intérieur. Les parents sont venus récupérer leurs effets, bien sûr, et ils nous ont remis des dessins qu'elles faisaient, ces jeunes filles. Ces dessins sont restés dans le bureau de ma cheffe de groupe, ils y sont toujours. On y jette un petit coup d'œil de temps en temps. Ça fait remonter quelques souvenirs. 

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