Une journaliste de Disclose remise en liberté après une garde à vue qui a indigné la profession
La journaliste française Ariane Lavrilleux est libre. Entendue par la DGSI dans le cadre d'une enquête pour "violation du secret de la défense nationale", elle a annoncé mercredi sur les réseaux sociaux être ressortie libre après 48 heures de garde à vue à l'hôtel de police de Marseille.
Manifestation devant l'hôtel de police de Marseille en soutien à la journaliste Ariane Lavrilleux, le 20 septembre 2023.
La journaliste d'investigation Ariane Lavrilleux a annoncé sur X mercredi 20 septembre être "libre", photo à l'appui, après 48 heures de garde à vue dans une enquête portant sur ses articles sur un possible détournement par l'Égypte d'une aide militaire française.
Me Virginie Marquet, avocate de la journaliste, ainsi qu'une source proche de l'enquête ont confirmé à l'AFP cette levée de garde à vue mercredi soir, sans poursuites à ce stade. La seconde source a précisé qu'un ancien militaire également retenu depuis mardi allait lui être présenté à un magistrat en vue de possibles poursuites.
Plus tôt dans la journée, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées à Paris, Marseille et Lyon pour réclamer la "libération immédiate" d'Ariane Lavrilleux.
"Cela fait 37 heures qu'elle est en garde à vue (...), c'est énorme", avait déclaré à l'AFP Magali Serre, présidente de Disclose, média qui avait publié son article.
"Il y a une volonté de découvrir sa source et de nuire à (...) la liberté d'informer", a-t-elle poursuivi lors du rassemblement convoqué en fin d'après-midi place de la République à Paris par Reporters sans Frontières (RSF), les syndicats de la profession et Disclose.
"C'est surtout un message limpide à l'égard de tous les journalistes français, de (la part de) l'État, qui leur dit : si vous enquêtez sur des secrets d'État, vous risquez de terminer comme Ariane Lavrilleux, en garde à vue".
"Nous sommes face à une intimidation comme on n'a jamais vue ces dernières années", a dénoncé Emmanuel Poupard, au nom de l'intersyndicale journalistes.
"Constitutionnaliser le droit à la protection des sources"
Le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, présent aux côtés des députés Julien Bayou (EELV) et Raquel Garrido (LFI), a appelé à "constitutionnaliser le droit à la protection des sources". "C'est ce que nous défendrons dans les prochaines semaines".
À Marseille, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées devant l'hôtel de police, a constaté une journaliste de l'AFP. "Ici journaliste au cachot", "Info derrière les barreaux", pouvait-on lire sur des pancartes.
"Ariane n'a fait que son métier de journaliste, pour ce travail-là, elle se retrouve en garde à vue, ce qui est absolument intolérable", a lancé Pierre Isnard-Dupuy (collectif Presse papier), tandis que le rédacteur en chef de La Marseillaise, Leo Purguette, a dénoncé une "atteinte très grave au droit d'être informé" pour les citoyens et réclamé "l'arrêt des poursuites à son égard".
À Lyon, une trentaine de personnes se sont réunies devant la préfecture pour marquer "leur solidarité", a confié à l'AFP Jean-Pierre Vacher, président du Club de la presse de Lyon.
Secret défense
Sa garde à vue a également suscité des protestations d'Amnesty international, qui a déploré "une attaque contre les journalistes (...) qui tentent d'exposer les actions opaques des services de renseignement français".
Disclose avait affirmé dans un article publié en novembre 2021 que la mission de renseignement française "Sirli", entamée en février 2016 au profit de l'Égypte au nom de la lutte antiterroriste, avait été détournée par l'État égyptien qui se servait des informations collectées pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-libyenne.
À la suite de cette publication, le ministère français des Armées avait porté plainte pour "violation du secret de la Défense nationale".
Une enquête préliminaire avait été ouverte en novembre 2021 avant qu'une juge d'instruction ne soit désignée à l'été 2022.
Disclose a précisé mercredi sur X que, selon ses informations, "les enquêteurs de la DGSI reprochent à [la] journaliste d'avoir signé cinq articles sur les ventes d'armes françaises à l'étranger, publiés dans le média depuis 2019".
Outre celui portant sur l'opération "Sirli", Disclose cite des articles portant sur "la vente de 30 avions Rafale à l'Égypte", "les armes livrées à la Russie jusqu'en 2020", "la vente de 150 000 obus à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU)" et "le transfert d'armes illicite des EAU vers la Libye".
"Escalade"
Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a refusé mercredi de répondre à une question sur cette affaire, lors du compte-rendu du Conseil des ministres. Contacté par l'AFP, le ministère de la Culture n'a pas donné suite.
"Il y a une forme d'escalade dans les moyens mis en oeuvre (pour obtenir des informations sur les sources des journalistes), qui elle-même est inquiétante", a estimé Paul Coppin, de RSF.
À la fois média d'information et ONG, le site d'investigation Disclose a été fondé en 2018 par deux journalistes d'investigation. Son financement repose exclusivement sur les dons, garantissant son indépendance éditoriale, explique Disclose sur son site, où toutes ses enquêtes sont en libre accès.
Avec AFP