Stratégie de campagne (1/2) : pour Ensemble !, dénoncer le "danger" Nupes pour la République
LÉGISLATIVES 2022
Ensemble ! et la Nupes ont chacun adopté une stratégie de campagne avant le second tour des législatives. La coalition présidentielle a fait le choix d’amplifier la diabolisation de l'union de la gauche en agitant la menace du péril rouge que celle-ci représenterait. La voix du président Emmanuel Macron s’y est ajoutée mardi : "Aucune voix ne doit manquer à la République", a-t-il affirmé.
Législatives 2022 © Studio graphique FMM
Quoi d’autre que la parole d’un chef de guerre pour brandir la menace d’une nation en danger ? "Parce qu’il en va de l’intérêt supérieur de la nation", le président de la République, Emmanuel Macron, a exhorté les Français, mardi 14 juin, sur le tarmac de l’aéroport d’Orly avant son envol pour la Roumanie, à "donner dimanche une majorité solide au pays " qui lui permettrait d’"assurer l’ordre à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières".
"Rien ne serait pire que d'ajouter un désordre français au désordre mondial", a-t-il prévenu, appelant à porter "avec force et fermeté la liberté, l'égalité, la fraternité, la laïcité". "Il nous faut défendre nos institutions face à tous ceux qui les contestent et les fragilisent", a-t-il encore ajouté. Avant de conclure son allocution visant à dramatiser l’enjeu du second tour des élections législatives : "Dimanche aucune voix ne doit manquer à la République."
Comme en 1936 lorsque le Front populaire était présenté par ses opposants comme étant aux ordres de Moscou et comme en 1981 lorsque l’éventuelle victoire de François Mitterrand faisait dire à la droite qu’elle entraînerait la présence de "chars soviétiques place de la Concorde", le péril rouge est à nouveau brandi par Emmanuel Macron et la coalition présidentielle.
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L’objectif est simple : marteler l’idée que Jean-Luc Mélenchon et la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) représenteraient une extrême gauche risquant de mettre en danger l’économie française. Pire, aux inquiétudes sur l’économie, s’ajouteraient celles sur les valeurs et la laïcité. "Nous avons des valeurs communes", disait pourtant le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, au soir du premier tour de l'élection présidentielle.
Des ministres en sursis versant dans la caricature
La stratégie était déjà utilisée depuis la création de la Nupes mais a drastiquement été amplifiée depuis l’annonce des résultats du premier tour des législatives. Et le virage est particulièrement prégnant chez les ministres-candidats en sursis, pour lesquels une défaite serait synonyme de départ du gouvernement.
La ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Amélie de Montchalin, arrivée deuxième (31,46 %) dans la 6e circonscription de l’Essonne derrière le candidat Nupes et ancien député socialiste Jérôme Guedj (38,31 %), a ainsi tiré à boulets rouges sur l’union de la gauche, qu’elle accuse d’avoir pour programme "le désordre, l’anarchie, l’insoumission".
"Je lance un appel à tous les Républicains", a-t-elle dit lundi matin sur CNews. "Hier nous avons eu une participation qui était très faible. Ça ouvre un boulevard à ceux qui, en se repeignant de vert et rose, sont des anarchistes d’extrême gauche. (…) Nous pouvons dimanche prochain faire un barrage très clair, au fond, presque un référendum pour l’Europe et contre la désobéissance, un référendum pour l’ordre contre le désordre dans la rue, contre la Nupes. Contre ces candidats, qui se sont alliés dans un accord électoral qui n’est pas un accord de fond et qui promet aux Français le désordre et la soumission."
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Même tonalité dans les propos du ministre délégué à l’Europe, Clément Beaune, en difficulté dans la 7e circonscription de Paris où il est arrivé deuxième (35,81 %) derrière la candidate Nupes Caroline Mécary (41,40 %), pour qui "chaque député Nupes, surtout quand il vient de La France insoumise, sera une source d’agitation et de provocation".
"C’est ça aujourd’hui La France insoumise : c’est la désobéissance et l’insoumission. Ce n’est pas, malheureusement, la participation constructive à notre démocratie. Donc tout député Nupes sera un député qui n’agit pas au service du pays et qui ne participera pas à une majorité législative", a-t-il affirmé lundi matin sur LCI.
Nupes et Rassemblement national renvoyés dos à dos
Dans cette stratégie de diabolisation, les candidats Ensemble ! renvoient ainsi dos à dos Nupes et Rassemblement national, tous deux qualifiés d’"extrêmes". Au point d’appeler, comme l’a fait sur Twitter l’ancienne ministre des Sports, Roxana Maracineanu, arrivée deuxième (23,77 %) dans la 7e circonscription du Val-de-Marne derrière la femme de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles et candidate Nupes Rachel Keke (37,22 %), à "un front républicain" pour "faire barrage à l’extrême gauche".
Ce faisant, la coalition présidentielle pose un signe égal entre ses deux principaux adversaires politiques. La voie avait été montrée dès dimanche soir, lorsque la Première ministre Élisabeth Borne avait évoqué dans son discours, peu après l’annonce des résultats du premier tour, une "confusion inédite entre les extrêmes".
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Une manœuvre qui pourrait avoir comme conséquence à terme "le triomphe du fascisme", selon le politologue du Cevipof Samuel Hayat, qui souligne sur Twitter que "les défenseurs du capitalisme sous-estiment les effets dépolitisants de leurs outrances sur les gens (qualifier la Nupes d'anarchiste, c'est détruire le sens des mots et la possibilité même d'un débat politique), ainsi que le risque que pose l'extrême droite".
Par ailleurs, les attaques sur les risques que ferait courir à l’économie française le programme de l’union de la gauche passent sous silence le soutien apporté à ce dernier par 300 économistes, parmi lesquels Thomas Piketty, Gabriel Zucman ou Julia Cagé. Ceux-ci ont récemment rappelé dans une tribune publiée dans le Journal du Dimanche qu’une alternative à la politique de l’offre menée par Emmanuel Macron existe et qu’il est "mensonger" de prétendre le contraire.
Mais l’essentiel, pour Ensemble !, est ailleurs. Il s’agit avant tout de convaincre l’électorat de droite ayant choisi un candidat Les Républicains au premier tour, mais aussi les électeurs de centre-gauche pas convaincus par l’alliance entre le Parti socialiste, Europe Écologie-Les Verts, le Parti communiste et La France insoumise, de voter pour la coalition présidentielle au second tour. Reste à savoir si cette stratégie qui consiste à jouer sur les peurs sans faire campagne sur des propositions suffira pour assurer une majorité absolue à Emmanuel Macron.