Présidentielle française : l’Arménie au cœur de la stratégie de campagne à droite
Le candidat d'extrême droite Éric Zemmour aux côtés de Philippe de Villiers, lors d'une visite du monastère de Khor Virap, près de la frontière entre l'Arménie et la Turquie, à quelque 50 km de Erevan, le 12 décembre 2021.
L’Arménie s’est invitée inopinément dans la campagne présidentielle française. Ces derniers jours, deux candidats de droite, Éric Zemmour et Valérie Pécresse, ont chacun manifesté leur intérêt pour ce petit pays enclavé dans le Caucase. Éric Zemmour, d’abord, est arrivé en Arménie, samedi, pour une visite de quatre jours. Valérie Pécresse prévoit, quant à elle, de s’y rendre avant Noël. Symboles et stratégie électoraliste au menu.
Quoi de mieux qu’une terre chrétienne qui affronte depuis plusieurs siècles les assauts de ses voisins musulmans pour illustrer le déclin civilisationnel dont Éric Zemmour se veut le chantre ? Arrivé samedi 11 décembre en Arménie, le candidat d’extrême droite s’est rendu, au cours de son déplacement de campagne, dans des hauts lieux chrétiens ainsi qu’au mémorial du génocide arménien à Erevan pour asseoir ses thèses déclinistes. "Vous êtes ici à l’aube de l’humanité, de la première nation chrétienne. Il faut venir dans des endroits comme cela pour comprendre les origines de notre civilisation", a-t-il martelé au détour de sa visite du premier monastère chrétien de Khor Virap.
"Ce déplacement est avant tout une manière pour le candidat d’extrême droite de séduire l’électorat de la droite française catholique pratiquante particulièrement sensible au sort des chrétiens d’Orient", note Arnaud Benedetti, professeur associé à l'Université Paris-Sorbonne et spécialiste de la communication politique dans un entretien à France 24. D’ailleurs, pour l’accompagner lors de ce premier déplacement hors de France, Éric Zemmour a choisi de s’entourer du souverainiste et catholique conservateur Philippe de Villiers.
Opération séduction des catholiques
Même stratégie déployée dans le camp de Valérie Pécresse qui doit se rendre en Arménie dans quelques jours. "La candidate s’inscrit dans les pas de François Fillon en 2017 qui s’était également rendu au chevet des chrétiens d’Orientlors de sa campagne", poursuit le politologue. C’est d’ailleurs le sénateur vendéen Bruno Retailleau, proche de François Fillon, qui organise le voyage de la candidate Les Républicains.
Le calendrier ne doit d’ailleurs rien non plus au hasard. "Les deux candidats ont choisi de faire ce déplacement en pleine préparation des fêtes de Noël, à l’heure où l’esprit des chrétiens est davantage tourné vers la religion". Pour Valérie Pécresse comme pour Éric Zemmour, cette visite hors des frontières hexagonales a également "pour but de leur conférer une stature de responsable politique international, indispensable à tout candidat à la présidentielle", observe Arnaud Benedetti.
L’électorat arménien
Il s’agit aussi pour les deux candidats de séduire les Arméniens et descendants d’Arméniens vivant en France. Cette communauté, qui a la particularité d'être à la fois intégrée et attachée à ses racines, sa culture, sa langue et sa religion orthodoxe, est particulièrement présente à Marseille, à Lyon et à Valence, ainsi qu’en région parisienne, à Alfortville et Issy-les-Moulineaux. En tout, la communauté arménienne en France représenterait environ 600 000 personnes dont 400 000 électeurs, selon les chiffres du Comité de défense de la cause arménienne (CDCA) et le Centre de recherches sur la diaspora arménienne (CRDA). Un réservoir de vote non-négligeable dans une campagne qui s’annonce serrée. "On peut penser que les Arméniens qui sont affectés par les tensions et qui demeurent en France soient également sensibles à ce déplacement et aux prises de positions des deux candidats", estime le professeur.
Mais contrairement à Valérie Pécresse, Éric Zemmour a inscrit ce séjour dans la perspective du choc civilisationnel, évoquant dès dimanche le "grand affrontement" entre la chrétienté et l’Islam. "L'Arménie, une nation chrétienne qui entend le rester au milieu d'un océan islamique, nous donne vraiment un exemple magnifique de résistance", a déclaré l’essayiste, faisant allusion à la guerre sanglante qui a opposé l’Arménie, majoritairement chrétienne, à l'Azerbaïdjan, voisin majoritairement musulman, à l'automne 2020 pour le contrôle de la région séparatiste du Haut-Karabakh, qui a fait 6 500 morts. Sauf que ce conflit entre Bakou, soutenu par la Turquie, et Erevan, qui fait partie d'une alliance menée par la Russie, n'a jamais pris de caractère religieux, l'Azerbaïdan étant l'un des pays les plus laïques du monde.
Récupération politique ?
Bien qu’il s’agisse d’une guerre de territoire, une partie de l'extrême droite française a fait du Karabakh le symbole de la défense de l’occident chrétien, à l’instar du mouvement d’extrême droite "Les Zouaves". Son leader, Marc de Cacqueray-Valmenier, s’y est d'ailleurs rendu en 2020 pour participer à la guerre et a tenté d'y créer une brigade de volontaires étrangers. Ce sont aussi des membres de ce groupuscule qui se sont battus contre des militants de SOS Racisme au meeting d'Éric Zemmour à Villepinte. Le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, a d’ailleurs annoncé, dimanche, le lancement d’une procédure de dissolution contre ce groupuscule d'ultra-droite.
Dans ce contexte de récupération politique, les voix de certains Arméniens s’élèvent. À son arrivée à l’aéroport d’Erevan, l'ancien essayiste a été fraîchement accueilli sous les huées d’une poignée de manifestants hostiles, brandissant des pancartes "Raciste !" ou encore "Pas bienvenu, Éric Zemmour". "Sa visite est une manipulation pour obtenir plus de voix de Franco-Arméniens lors de la présidentielle", a pour sa part assuré Gueorgui Vardanian, biologiste arménien de 31 ans. À ses côtés, Chiriné Orguekian, une Française de 25 ans. "On est là pour informer les Arméniens de qui est Éric Zemmour. C’est un homme très dangereux, c’est un fasciste." Que ces manifestants se rassurent, Éric Zemmour achève mardi son séjour.