Réforme des retraites : Emmanuel Macron et le gouvernement à l’heure des choix
POLITIQUE FRANÇAISE
Le président Emmanuel Macron et la Première ministre Élisabeth Borne, le 13 juillet 2022, au ministère des Armées à Paris.
Le gouvernement doit trancher dans les prochains jours les questions liées à la réforme des retraites, en particulier celle de la méthode, alors que plusieurs figures de la majorité ont mis en garde contre un "passage en force".
Semaine décisive pour l’exécutif. Après une longue séquence où chacun – partis de la majorité comme partis d’opposition – a pu prendre position sur la réforme des retraites voulue par l’Élysée et Matignon, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne devraient trancher dans les jours à venir sur la méthode.
Le président de la République et la Première ministre réuniront ainsi la semaine prochaine les chefs de la majorité et les ministres concernés pour faire le point sur la manière d'engager la réforme des retraites, a annoncé, samedi 24 septembre, l'entourage du chef de l’État.
À l'issue d'un déjeuner à l’Élysée, vendredi, entre les deux têtes de l’exécutif, "toutes les options restent sur la table", a assuré l'entourage présidentiel à l'AFP, alors que la réforme divise au sein même de la majorité.
>> À lire aussi : "Énergies renouvelables : mauvaise élève, la France passe au rattrapage"
"Le président et la cheffe du gouvernement sont alignés sur un principe fondamental : cette réforme doit voir le jour à l'été 2023", souligne-t-on dans l'entourage d’Emmanuel Macron. "Le président considère que, tout comme les députés de sa majorité, il a un mandat très clair des Français pour réformer", ajoute-t-on de même source.
Pourtant, selon un sondage Elabe pour BFMTV, diffusé jeudi, seuls 13 % des personnes interrogées se disent favorables à une réforme des retraites "en urgence", contre 51 % qui demandent "le temps de la concertation et du débat" et 36 % qui ne l'estiment pas nécessaire. Ils ne sont que 21 % à vouloir retarder l'âge de départ à la retraite contre 46 % pour le maintien à 62 ans et 33 % pour son abaissement.
De leur côté, l’ensemble des syndicats promettent un automne noir si le gouvernement impose une nouvelle réforme des retraites dès cette année. La CGT a d'ores et déjà appelé à la grève contre la future réforme jeudi 29 septembre.
Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a fait savoir le 15 septembre que les dépenses du système des retraites, même si elles étaient contrôlées sur le long terme, n’étaient pas compatibles avec la trajectoire de réduction des dépenses publiques envisagée par le gouvernement pour 2027.
Le Comité de suivi des retraites a de son côté alerté, jeudi 22 septembre, sur le risque de "déséquilibres résiduels significatifs à court et moyen termes" qui pourraient être amplifiés en cas de croissance dégradée dans les années à venir et recommande au législateur de "trouver une réponse aux problèmes d’équilibrage" du système, sans toutefois prendre parti pour une mesure d’âge.
>> À voir : "Emmanuel Macron : 'On doit progressivement décaler l'âge de départ à la retraite jusqu'à 65 ans'"
Entre recul de l’âge de départ, hausse des cotisations, augmentation du nombre d’années de cotisation, diminution du niveau des pensions, il s’agit de faire un choix politique. Exit la réforme envisagée il y a trois ans avec la mise en place d’une retraite par points. Durant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron proposait plutôt de maintenir le système actuel en reculant l’âge de départ légal à la retraite – de 62 ans actuellement – à 64 ou 65 ans. L’exécutif pourrait également accélérer la réforme de 2014 qui prolonge la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein.
"La grosse différence avec tous nos partenaires et tous nos voisins, et d'ailleurs avec la plupart des pays occidentaux, c'est cet âge de départ à la retraite, c'est cette durée de travail", a expliqué vendredi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran.
"On est en train de parler de rééquilibrer progressivement les choses (...) parce que pour nous, c'est un dogme, un socle, et on ne reviendra pas dessus : on n'augmentera pas les impôts, on veut les baisser, et on ne veut pas davantage augmenter la dette, sinon c'est nos enfants qui la paieront."
Interrogé, jeudi 22 septembre, par BFMTV à bord de l'avion présidentiel qui le ramenait de New York, Emmanuel Macron a défendu son projet de réforme du système des retraites, expliquant vouloir dégager des marges de manœuvre budgétaires pour financer les autres grandes réformes sociales du pays, préserver l'indépendance de la France et favoriser la transition écologique.
"Je suis convaincu que c’est une nécessité. Pourquoi ? Parce que nous voyons qu'aujourd'hui, le défi qui est le nôtre est d’être plus indépendant en européen et en franco-français", a dit Emmanuel Macron, soulignant que "notre indépendance n’est pas de vivre à crédit".
Le gouvernement a choisi de protéger les Français de l'inflation grâce au bouclier tarifaire, de soutenir l’économie pendant la crise sanitaire, et veut mener une réforme de l'hôpital, de l'éducation et de la sécurité tout en préparant la transition écologique, a-t-il développé.
"Ça coûte de l’argent. Est-ce qu’on peut le financer par le déficit ? Non. Nous sommes un des pays qui ont le plus grand déficit en Europe. Peut-on le financer par plus d’impôts ? Non. Nous sommes le pays parmi ceux taxant le plus en Europe."
"La vérité, c’est qu’il nous faut travailler plus et produire plus de richesses dans notre pays si nous voulons protéger, avoir une politique de justice sociale et défendre le modèle social français, sa force et son avenir", a-t-il ajouté.
C’est la question qui fâche au sein de la majorité. Le gouvernement a évoqué le dépôt d'un amendement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Une méthode qui lui permettrait d’aller vite, mais qui aurait le grand défaut d’être considérée comme un "passage en force", en totale contradiction avec la "nouvelle méthode" de gouvernance prônée par Emmanuel Macron, notamment lors du lancement du Conseil national de la refondation.
"On n'est pas aux pièces", a insisté dimanche un poids lourd de la majorité, le président du MoDem François Bayrou, en clôture de l'université de rentrée du parti à Guidel. "Prendre trois ou quatre mois pour réfléchir ensemble et mettre sur la table des options et des propositions, je pense que cela serait bon, pas seulement pour la paix civile – ça compte – mais pour la réforme elle-même."
>> À lire aussi : "Emmanuel Macron lance le Conseil national de la refondation, boycotté par l'opposition"
François Bayrou avait déjà mis en garde l’exécutif, le 17 septembre, à propos d'une réforme ne pouvant "se faire au détour d'un amendement", une méthode qui serait selon lui un "passage en force". "Si on se lance dans cette voie-là, alors nous sommes certains de coaliser d'abord les oppositions entre elles, puis de diviser la société française", a averti le président du MoDem, en appelant à prendre "le temps de la pédagogie".
Dans la foulée, le patron du groupe centriste, Jean-Paul Mattei, a annoncé mardi que les députés MoDem voteraient "certainement" contre une réforme des retraites par amendement au projet de budget de la Sécurité sociale.
Jeudi 22 septembre, une autre personnalité importante de la majorité, la présidente (Renaissance) de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a embrayé. "Les amendements du gouvernement ne doivent pas porter en eux-mêmes une réforme substantielle", a-t-elle prévenu sur franceinfo, appelant à "prendre le temps de la concertation avec les groupes politiques et avec les partenaires sociaux (...) pour une réforme globale qui doit paraître équitable à nos concitoyens".
Du côté des oppositions, reçues cette semaine à Matignon, la confrontation est beaucoup plus frontale. À la sortie de son rendez-vous avec Élisabeth Borne, jeudi, Marine Le Pen a brandi la menace d'une motion de censure.
"Je lui ai clairement dit que s'ils entendaient faire passer la réforme des retraites par l'intermédiaire d'un amendement au projet de loi de finance de la Sécurité sociale, et en utilisant le 49.3, alors nous déposerions une motion de censure et nous voterions les motions de censure qui seraient déposées, quelle que soit leur origine", a déclaré l'ancienne candidate à la présidentielle.
Mardi, la présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, avait averti que son groupe déposerait une motion de censure en cas d'utilisation du 49.3 pour faire passer un amendement retraite dans le PLFSS.
Et même chez les Républicains, pourtant favorables sur le fond à la réforme des retraites, la pilule a du mal à passer. "Un amendement tombé du haut sur le PLFSS, c'est inacceptable", a critiqué sur France Inter le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau.
Avec AFP et Reuters