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La loi Climat confrontée à un procès en légitimité avant son examen parlementaire

Des manifestants présents à la marche pour le climat à Nantes, organisée par le mouvement Youth for Climate, le 19 mars 2021. Considérant que le projet de loi Climat et Résilience ne permettra pas à la France de tenir ses engagements climatiques, plusieurs ONG appellent à manifester dimanche pour réclamer "une vraie loi climat". Le gouvernement estime au contraire que son texte, dont l’examen commencera lundi à l’Assemblée nationale, aboutira à un changement de société. Le mot d’ordre se veut direct : les manifestants qui défileront, dimanche 28 mars, à l'appel de certains membres de la Convention citoyenne pour le climat et de plusieurs associations luttant pour la protection de l'environnement, à Paris et dans le reste de la France, réclameront "une vraie loi climat". Selon eux, le projet de loi Climat et Résilience de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, qui sera examiné en séance plénière à l’Assemblée nationale à partir de lundi, n’est pas assez ambitieux. Au point de ne plus être légitime aux yeux des ONG et des activistes œuvrant pour la défense du climat. "Ce projet de loi ne permettra pas à la France d’atteindre ses objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. On voit pourtant les impacts du réchauffement climatique tous les jours. On ne comprend pas que le gouvernement et les parlementaires ne réalisent pas que nous sommes face à un péril imminent", regrette, dans un entretien à France 24, Anne Bringault, coordinatrice des opérations au Réseau action climat, qui fédère les associations impliquées dans la lutte contre les changements climatiques. Pour respecter ses engagements, la France doit réduire d’ici 2030 ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % par rapport à 1990. Emmanuel Macron a mis sur pied en 2019 une Convention pour le climat réunissant 150 citoyens tirés au sort et ayant pour mission de formuler des propositions permettant d’atteindre cet objectif, le tout avec un souci de justice sociale. Le projet de loi Climat et Résilience, présenté mi-février en Conseil des ministres et examiné du 8 au 19 mars en commission spéciale à l’Assemblée, reprend une partie des mesures présentées par la Convention citoyenne à l’été 2020. Problème : l’ensemble des acteurs de l’environnement a jugé sévèrement le projet de loi gouvernemental. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese), le Haut conseil pour le climat (HCC), l’ensemble des ONG et même la Convention citoyenne pour le climat ont rendu des avis très négatifs sur le contenu du texte. "C’est une loi qui continue de faire des petits pas, qui contient beaucoup de mesures incitatives mais pas contraignantes et qui remet à plus tard certains objectifs primordiaux, notamment la sortie des énergies fossiles en matière de transports", estime Anne Bringault. "On est encore une fois dans des faux-semblants" L’examen du projet de loi en commission spéciale a par ailleurs été mal vécu par l’opposition, qui a vu l’essentiel de ses amendements rejetés sans le moindre débat car jugés non conformes. La députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho, a ainsi vu ses amendements reprenant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat être repoussés les uns après les autres. Pire, elle estime que la version du projet de loi Climat et Résilience est, à l’issue des deux semaines de travaux de la commission spéciale, encore moins ambitieuse que celle présentée en Conseil des ministres. "Barbara Pompili avait dit qu’elle n’accepterait aucun recul en commission : or il y a bien eu des reculs sur la rénovation thermique des logements, sur la publicité ou sur l’artificialisation des sols, énumère l’ancienne ministre de l’Écologie de François Hollande, contactée par France 24. On est encore une fois dans des faux-semblants. Sur tous les sujets difficiles, comme le gazole routier ou les engrais azotés, les articles n’ont aucune portée normative. Et pour éviter de trancher, de prendre des décisions, 19 rapports ont été commandés !" Au ministère de la Transition écologique, on préfère voir le verre à moitié plein. "On est persuadés que c’est un texte qui porte une écologie ambitieuse mais aussi rassembleuse, assure l’un des conseillers de Barbara Pompili, contacté par France 24. Nous avons été capables de trouver l’équilibre entre la nécessité de pousser les curseurs au maximum tout en assumant le fait de prendre en compte un certain nombre d’enjeux économiques et sociaux." Ce conseiller cite comme exemple d’une réelle avancée la rénovation thermique des bâtiments. "On ne laissera pas dire que ce n’est pas ambitieux, lance-t-il. On a inscrit dans la loi la fin des locations des passoires thermiques en 2028, et en 2040, on interdit à des propriétaires de vivre dans des passoires thermiques. On est typiquement sur un sujet où on considère que notre méthode va permettre d’obtenir des résultats. On enclenche quelque chose." Sur les 37 millions de logements que compte la France, environ 5 millions sont considérés comme des passoires thermiques, classés F et G dans le diagnostic de performance énergétique (DPE). La proposition de la Convention citoyenne pour le climat, quant à elle, demandait la rénovation globale (toit, isolation, fenêtre, chauffage et ventilation mécanique contrôlée) de 20 millions de logements. Un contre-projet "pour une vraie loi Climat" Constatant l’écart entre ce que proposaient les 150 citoyens et le contenu du projet de loi Climat et Résilience, les députés Delphine Batho et Matthieu Orphelin ont déposé le 23 mars une proposition de loi intitulée "pour une vraie loi Climat", reprenant le mot d’ordre des manifestations prévues dimanche. Ce contre-projet n’a aucune chance d’être voté mais dans l’esprit de ses signataires, il s’agit de faire la démonstration d’une approche radicalement différente, qui permettrait selon eux d’être cinq à huit fois plus efficace en matière de réduction des émissions de GES que le texte gouvernemental. Delphine Batho et Matthieu Orphelin proposent ainsi la rénovation écologique de tous les logements, l’accompagnement des ménages les plus modestes pour acheter une voiture plus propre, un plan d’investissements ferroviaires ou encore la fin des investissements des banques dans les énergies fossiles. "Notre proposition de loi est centrée sur les mesures les plus efficaces pour réduire les gaz à effet de serre dans le respect de la justice sociale, affirme Delphine Batho. Nous avons voulu montrer qu’il est possible, avec des mesures concrètes, accessibles, à portée de main, de tenir les engagements de la France, ce que ne fait pas le gouvernement." Car pour les critiques du gouvernement, le projet de loi Climat et Résilience ne permettra pas, à lui seul, de diminuer de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, d’où le procès en légitimité qui lui est fait. De son côté, le ministère de la Transition écologique répond qu’il faut prendre en compte la totalité de l’action gouvernementale depuis 2017 pour juger de la trajectoire française en matière de réduction des émissions de GES. "Je peux vous affirmer que la loi Climat et Résilience, ainsi que toutes les lois précédentes – la loi d’orientation des mobilités, la loi sur l’économie circulaire, la loi Égalim (agriculture et alimentation), la loi Énergie-Climat – nous permettront d’atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone", a ainsi répondu Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement auprès de Barbara Pompili, à Matthieu Orphelin, le 23 mars, lors des questions au gouvernement. Avant d’ajouter : "La vraie loi Climat, elle existe déjà." La ministre déléguée a mentionné dans sa réponse l’évaluation du Boston Consulting Group (BCG) commandée par le gouvernement. Celle-ci indique en effet que le potentiel de réduction des émissions de GES visé par l’ensemble des mesures prises au cours du quinquennat est "globalement à la hauteur de l’objectif de 2030", mais seulement, ajoute-t-elle, "sous réserve de leur exécution intégrale et volontariste". "Il n’y a jamais eu autant d’argent pour l’écologie qu’aujourd’hui" Cette dernière observation du BCG a son importance puisque, dans le détail, l’étude souligne que "seule une faible partie du potentiel", représentant environ 21 millions de tonnes de réduction d’équivalent CO2 sur un objectif total de 107 millions de tonnes, "paraît probablement atteinte" grâce aux mesures du quinquennat. A contrario, un potentiel d’environ 29 millions de tonnes de réduction d’équivalent CO2 "semble difficilement atteignable compte tenu des mesures actuelles". "On partage ces craintes, reconnaît le conseiller de Barbara Pompili. La transition écologique, ce n’est pas une mince affaire. Ça remet en cause notre façon de vivre. Mais la ministre poussera toujours pour faire plus. C’est quand même ce gouvernement qui aura fait l’essentiel du boulot, il n’y a jamais eu autant d’argent pour l’écologie qu’aujourd’hui." Cette vision optimiste affichée par le gouvernement ne suffit pas aux citoyens de la Convention pour le climat, réunis depuis la fin de leurs travaux au sein de l’association "Les 150". Ceux-ci viennent de lancer un "serment pour le climat" pour inciter les Français à adapter leurs modes de vie aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. "On a compris que la loi Climat et Résilience n’atteindrait pas l’objectif pour lequel on est venu nous chercher, donc on souhaite désormais s’adresser directement aux Français", explique William Aucant, l’un des membres de la Convention pour le climat, contacté par France 24. "À partir du moment où le citoyen prend conscience de la catastrophe que représente le réchauffement climatique, le politique peut aller plus loin", ajoute-t-il. Pour faire pression sur les parlementaires, "Les150" appellent eux aussi à manifester dimanche. Après plusieurs mois de concertation et de dialogue avec l’exécutif et les parlementaires, la rue représente désormais le dernier levier disponible dans le rapport de force qui les oppose aux politiques. "On voit que ce sont les politiques qui bloquent les transformations nécessaires, alors qu’il y a une forte attente des citoyens, juge Anne Bringault. Cette loi, c’est la dernière occasion dans ce quinquennat pour changer notre trajectoire. Or, il n’y a quasiment aucune chance qu’il y ait des avancées en séance plénière. Encore une fois, c’est l’économie et le court terme qui l’emportent." Le ministère de la Transition écologique promet quant à lui des améliorations, notamment sur la rénovation thermique ou la publicité. "Dire que ce texte n’est pas une vraie loi Climat est malhonnête. Aucun autre pays au monde n’est en train de lancer autant de chantiers en même temps. Ce sera une loi de changement de société", veut croire le conseiller de Barbara Pompili.

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