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Échecs : le champion du monde se pose en chevalier blanc de la lutte anti-triche

jeu à l'aveugle Le champion du monde d'échecs Magnus Carlsen a officiellement accusé, lundi, le jeune grand maître américain Hans Niemann de triche. Une nouvelle escalade dans l’un des plus grands scandales a avoir secoué le milieu. Pour les uns, Magnus Carlsen a raison de tirer la sonnette d’alarme, tandis que d’autres l’accusent de détruire la carrière d’un jeune talent sans preuve solide. Il y a quelque chose de pourri au royaume des échecs. Le champion du monde, le Norvégien Magnus Carlsen est sorti du silence, lundi 26 septembre, pour accuser officiellement un autre joueur, l’Américain Hans Moke Niemann de tricher. Ces allégations viennent relancer un scandale qui ébranle le monde des échecs depuis près d’un mois, et semble fasciner les médias du monde entierbien au-delà des experts des 64 cases. “Je pense qu’Hans Niemann a triché plus souvent - et plus récemment - qu’il ne l’a lui-même admis. [...] Durant notre partie, j’ai eu l’impression qu’il n’était pas vraiment concentré a des moments critiques, tout en me dominant comme seul un nombre très restreint de joueurs peuvent le faire”, a indiqué Magnus Carlsen, qui cumule cinq titres de champion du monde.. “Je ne veux plus jouer contre Hans Niemann”,a-t-il ajouté dans son communiqué. David contre Goliath ou simple triche ? Une mise au point de Magnus Carlsen très attendue par la communauté des joueurs, prise au dépourvu par le comportement sans précédent du champion du monde à l’égard du jeune grand maître américain de 19 ans, qui a eu le malheur de le battre à l’occasion d’un tournoi début septembre. Tout a commencé à Saint-Louis, aux États-Unis, où s’est déroulé le très prestigieux tournoi Sinquefield Cup du 1er au 13 septembre. À la troisième journée de cette compétition, qui a rassemblé la crème des grands maîtres internationaux (GM), Hans Niemann, le moins bien classé du tournoi dans le système Elo qui permet d'estimer le niveau des joueurs, terrasse l’incontestable champion du monde depuis 2013. Et, de l’avis des nombreux observateurs, la partie n’était même pas accrochée : l’outsider américainn’a fait qu’une bouchée du géant norvégien. Un exploit à la David contre Goliath qui avait de quoi enflammer les fans d’échecs. Après tout, Magnus Carlsen n’avait plus perdu une seule partie depuis plus de deux ans. Mais de triomphe mythique, cette victoire s’est transformée en “ground zero” du plus grand scandale échiquéen depuis des décennies. Le lendemain de sa défaite, Magnus Carlsen annonce qu’il se retire du tournoi. Une décision sans précédent pour le champion du monde, qu’il ne daigne pas justifier. Tout juste ajoute-t-il à son tweet de retraitune vidéo de l’entraîneur de football José Mourinho déclarant, en 2014, “si je parle je vais avoir des problèmes”. Un sous-entendu bien compris dans le monde des échecs. Très vite, les commentateurs soupçonnent que le roi de l’échiquier a pris cette décision drastique parce qu’il estime avoir été victime de Hans Niemann “le tricheur”. Les organisateurs ont d’ailleurs renforcé les mesures contre les tricheries, en mettant en place, par exemple, une fouille plus poussée au détecteur de métaux. Et les langues commencent aussi à se délier. Hikaru Nakamura, l’une des personnalités les plus populaires parmi l’élite des échecs (il a près de 1,5 million d’abonnés sur sa chaîne Twitch où il joue en direct), sous-entend qu’Hans Niemann a un passif de tricheur. Niemann, tricheur repenti Il aurait été “plus qu’impressionnant [contre Magnus Carlsen]”, ajoute dans un sourire entendu Ian Nepomniachtchi, le dernier challenger malheureux de champion du monde, au lendemain de la performance du jeune américain. Le joueur russe précisera, quelques jours plus tard, qu’il avait demandé des mesures de sécurité supplémentaires en apprenant la participation de Hans Niemann. Ce dernier avait, en effet, été retenu à la dernière minute en remplacement d’un autre joueur qui avait déclaré forfait. Une manière de suggérer que le recours à la triche par Hans Niemann était un secret de Polichinelle dans le milieu des échecs. Ce dernier ne le conteste d’ailleurs pas… Sauf qu’il assure n’avoir triché qu’en ligne - les échecs par Internet ont explosé ces dernières années - et seulement deux fois, à 12 ans et 16 ans. Depuis lors, il serait “propre”. Il a même proposé de venir jouer nu pour prouver qu’il ne cachait pas d’ustensile de triche, comme un micro ou un ordinateur de poche. Mais rien n’y fait. Deux semaines plus tard, Magnus Carlsen remet le couvert. Lors d’un nouveau face-à-face avec le jeune américain, cette fois-ci sur Internet, il joue un premier coup… puis abandonne. Pour Hans Niemann s’en est trop. Le joueur affirme que son illustre adversaire cherche à ruiner sa carrière naissante. Il craint de devenir persona non grata parmi l’élite des échecs alors qu’aucune preuve de sa prétendue triche n’a été apportée. D’autres voix illustres dans ce milieu vont d’ailleurs dans le même sens. C’est le cas du français Maxime Vachier-Lagrave, l’actuel champion du monde en partie rapide de 5 minutes, qui estime qu’il est un peu facile de laisserainsi planer le doute sur un joueur sans avancer la moindre preuve. Les organisateurs de la coupe Sinquefield ont, eux aussi, assuré n’avoir découvert aucun élément suggérant que Hans Niemann ait pu tricher. D’où l’importance de la mise au point de Magnus Carlsen. Sauf que son communiqué est loin de constituer l’échec et mat attendu. Le champion du monde n’y fait que s’appuyer sur “une impression” tout en affirmant qu’il ne veut pas jouer contre des adversaires ayant un passé de tricheur car “on ne sait jamais à quoi s’attendre”. Des déclarations qui ne vont probablement pas arrêter le moulin à rumeurs autour de méthodes “high tech” que Hans Niemann aurait pu utiliser pour tricher à Saint-Louis. Semelle ou plug anal connecté… La triche est, en effet, un problème récurrent dans le monde des échecs. En 2006, le prétendant au titre mondial Veselin Topalov avait accusé le champion sortant, Vladimir Kramnik, de tricher lorsqu’il allait aux toilettes durant leur match. En France, le Grand Maître Sébastien Feller avait été reconnu coupable, en 2010, d’avoir mis en place tout un réseau de triche qui lui avait permis de faire une performance hors norme lors des Olympiades d’échecs. Mais avec l’avènement de l’ordinateur roi, les joueurs craignent que la triche devienne de plus en plus sophistiquée. Dans le cas de Hans Niemann, les théories les plus folles ont circulé. D’aucuns ont avancé qu’il avait des semelles connectées qui lui permettaient de recevoir par pulsation les coups à jouer, transmis par un acolyte assis derrière un ordinateur. Une autre rumeur, encore plus farfelue et reprise par le milliardaire Elon Musk (qui est décidément de toutes les controverses), prétend que Hans Niemann était équipé d’un plug anal qui fonctionnerait un peu comme les semelles connectées… mais placé dans une autre partir du corps. C’est d’ailleurs ce détail qui a valu à ce scandale un large écho médiatique, alors même que la rumeur ne repose sur rien de concret. Pourtant, cette affaire illustre l’un des défis les plus importants pour un jeu - ou un sport pour certains - millénaire qui est en train de changer en profondeur. La puissance des ordinateurs en a chamboulé les pratiques, depuis la préparation avant-match assistée par ordinateur, jusqu’à l’analyse après les parties, grandement facilitée par la puissance de calcul des machines. Le coup d’éclat de Magnus Carlsen est aussi symptomatique d’une génération de joueurs qui réalise que leur monde n’est peut-être pas prêt pour faire face à la triche 2.0. Les mesures en place n’ont pas beaucoup évolué depuis l’époque où la principale menace au fair play était qu’un joueur s’isole aux toilettes avec un ordinateur portable. Le champion du monde qualifie d’ailleurs la triche, dans son communiqué,  “de menace existentielle” pour les échecs. Il appelle le milieu à se mettre au plus vite à la page des techniques modernes de triche. Un cri d’alerte qui peut se comprendre. Peter Svidler, une légende vivante des échecs russes, l’avait déjà évoqué durant la coupe Sinquefield qu’il avait commentée en direct. Il assurait qu’il était plus que temps d’avoir une discussion sur le sujet… Tout en se demandant si cela justifiait de sacrifier la carrière d’un jeune talent, sans preuve formelle.

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