Projet de loi contre le terrorisme : cinq questions sur la surveillance par algorithme, une technique de renseignement critiquée
Le gouvernement souhaite pérenniser cette technique de renseignement, autorisée par la loi depuis 2015. Mais son opacité est décriée par les défenseurs des libertés numériques.
La lutte contre le terrorisme passera-t-elle par l'intelligence artificielle ? C'est la volonté du gouvernement, dont le nouveau projet de loi contre le terrorisme est présenté mercredi 28 avril en Conseil des ministres. Le texte viendra entériner et renforcer des mesures déjà expérimentées et mises en place à titre temporaire.
Il doit notamment pérenniser la surveillance par algorithme. Franceinfo revient sur cette technique de renseignement particulièrement critiquée.
1Qu'est-ce que la surveillance par algorithme ?
Cette technique de renseignement permet le traitement automatisé des données de connexion dans le but de détecter des menaces terroristes potentielles. Le système fonctionne grâce à une intelligence artificielle, qui analyse une masse de données importante, et repère des comportements qui sortent de l'ordinaire selon des critères définis par les autorités. Les profils repérés sont ensuite signalés aux services de renseignement pour une investigation plus poussée.
La surveillance par algorithme permet par exemple de "détecter des individus inconnus à partir de leurs échanges sur internet" ou de repérer "qu'un individu en France a eu un contact avec un individu dans l'ouest syrien", selon Laurent Nuñez, coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Il a défendu la mesure lundi sur France Inter.
La pratique a été autorisée pour la première fois à titre expérimental par la loi renseignement de juillet 2015. Elle est opérationnelle chez les fournisseurs d'accès à internet (FAI) depuis 2017, rappelle 01.net. L'échéance de l'expérimentation, prévue à l'origine pour 2018, a été repoussée deux fois et doit désormais prendre fin le 31 juin 2021.
2Que prévoit le projet de loi sur ce sujet ?
Le gouvernement prévoit de pérenniser la surveillance par algorithme. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en a fait l'annonce, dans une interview au Journal du dimanche (article pour les abonnés). L'exécutif souhaite également élargir le dispositif. "Aujourd'hui, ces algorithmes ne concernent que les données téléphoniques, le projet de loi veut les étendre aux adresses URL, confie à franceinfo Loïc Kervran, député du groupe Agir ensemble (centre) et membre de la délégation parlementaire aux renseignements.
"Nous sommes face à un problème de massification des auteurs potentiels. Moins de choses dépassent, parce qu'il ne s'agit pas d'attentats pilotés ou inspirés de l'étranger. Les auteurs sont dans une logique autonome", assure le parlementaire. En pratique, l'algorithme pourrait par exemple envoyer une alerte aux services de renseignement si une personne se connecte sur un site de propagande jihadiste.
3Pourquoi cette mesure est-elle critiquée ?
Beaucoup s'inquiètent de l'opacité de l'application du champ d'application de la loi. "Il est tellement large, que l'on ne sait pas vraiment ce que la loi autorise, explique à franceinfo Arthur Messaud, juriste pour la Quadrature du net, une association de défense des droits et libertés fondamentales en ligne. On parle d'analyse de réseaux, mais on ne connaît pas la taille des réseaux dont on parle." Les conversations sur les messageries instantanées seront-elles traquées, l'internet français dans son ensemble sera-t-il concerné ? Rien ne permet de le savoir pour l'instant.
Les opposants à la technique de surveillance dénoncent depuis plusieurs années une dérive "liberticide" de la politique de protection des données en France. Cette dernière a d'ailleurs été rappelée à l'ordre en octobre 2020 par la Cour de justice de l'Union européenne, qui lui reproche d'obliger les FAI à conserver durant un an les données de connexion de leurs utilisateurs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La disposition a été finalement validée par le Conseil d'Etat le 21 avril, comme le souligne 01.net.
"Pour nous, il s'agit clairement de surveillance algorithmique, une mesure de surveillance de masse, poursuit Arthur Messaud. Emmanuel Macron joue à un jeu délirant, ce que fait la France n'est pas quelque chose de normal."
4Que répond le gouvernement ?
L'exécutif nie toute atteinte aux libertés. "Arrêtons avec cette naïveté ! Toutes les grandes entreprises utilisent des algorithmes. Et il n’y aurait que l’Etat qui ne pourrait pas les utiliser ?", s'est justifié Gérald Darmanin dans le Journal du dimanche. Toutefois, l'avocat Hugo Roy dénonce sur Twitter une comparaison "fallacieuse", le traitement des données étant "strictement encadré par la loi".
"Toutes les mesures que l'on prend visent à protéger les Français, mais elles se font dans le cadre de l'Etat de droit", a déclaré dimanche Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, sur franceinfo. "Il y a toute une série de pare-feux démocratiques, assure de son côté Loïc Kervran, qui ajoute que toutes les données sont anonymisées. "Pour lever l'anonymat, il y a besoin d'une autorisation, donnée par le Premier ministre après un avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, [la CNCTR, une instance administrative indépendante], complète le député, qui précise que les services de renseignement "ne sont de toute façon pas en capacité de traiter des milliers et des milliers d'adresses URL".
5La surveillance par algorithme a-t-elle permis d'appréhender des suspects ?
Difficile de répondre par l'affirmative à cette question. "Nous avons beaucoup de mal à connaître l'impact de cette mesure, explique Arthur Messaud. Nous avons essayé d'obtenir des réponses auprès du CNCTR, mais on nous a toujours répondu que les choses étaient couvertes par le secret-défense." Sur France Inter, Laurent Nuñez a, quant à lui, estimé que la technique avait "permis de détecter les auteurs de menaces", sans donner plus de précisions.
"Je ne peux pas vous donner de détails, puisqu'ils sont classés secret-défense, mais les résultats opérationnels auxquels nous avons eu accès sont très intéressants", affirme le député Loïc Kervran.