Primaire populaire : un projet citoyen utopique pour réunir la gauche et les écologistes
Des électeurs de la primaire de la gauche, le 22 janvier 2017 à Marseille, devant une affiche montrant l'ensemble des candidats.
Un mouvement citoyen a mis sur pied une primaire censée permettre de réunir la gauche et les écologistes derrière un candidat unique pour la présidentielle française de 2022. Beaucoup y voient un projet vouée à l’échec. Ses initiateurs veulent croire en une innovation démocratique permettant d’offrir une alternative au duel Macron-Le Pen.
Lassés des éternelles divisions à gauche et du duel annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022, des citoyens engagés ont décidé de bousculer le jeu politique avec une "primaire populaire".
Le collectif "Rencontre des justices", qui regroupe des activistes des luttes environnementales, féministes, antiracistes, sociales et même des Gilets jaunes, est à l’initiative de cette primaire. On retrouve parmi ses fondateurs des personnalités engagées comme Mathilde Imer, l’une des initiatrices de la Convention citoyenne pour le climat, ou Samuel Grzybowski, notamment connu pour avoir créé l’association Coexister, qui œuvre pour le dialogue interconvictionnel.
Ces citoyens ont reçu le soutien, vendredi 30 juillet, dans L’Obs, de 178 élus de gauche et écologistes, dont les députés Paula Forteza, Aurélien Taché et Guillaume Chiche. Ils sont également soutenus par diverses personnalités, parmi lesquelles l’ancien candidat des Verts à la présidentielle Noël Mamère, l’économiste Julia Cagé, la sociologue Dominique Méda, le climatologue Jean Jouzel, le réalisateur Cyril Dion ou encore l’actrice Juliette Binoche.
"Nous avons la volonté de dépasser les partis pour faire émerger une candidature de rassemblement qui pourra réunir tous les acteurs des grandes mobilisations du quinquennat Macron", explique Samuel Grzybowski, contacté par France 24.
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Les organisateurs de la primaire populaire estiment que ces citoyens mobilisés ces dernières années sont susceptibles de former ce qu’ils appellent un "bloc des justices" face aux blocs "identitaire" et "néolibéral" représentés par Marine Le Pen et Emmanuel Macron. "Ce 'bloc des justices' transcende le clivage gauche-droite et propose une société radicalement juste et égalitaire, entre les humains, et vis-à-vis du vivant qui l’entoure et dont il fait partie", affirment-ils sur le site Internet de la primaire populaire.
Taubira, Ruffin, Giraud : candidats malgré eux
"Nous nous sommes inspirés des grandes revendications de la société civile pour rédiger un socle commun de dix mesures de rupture", poursuit Samuel Grzybowski. Celles-ci sont nettement marquées à gauche : loi climat reprenant l’ensemble des propositions de la Convention citoyenne, revenu de solidarité dès 18 ans, réduction des écarts de salaire, congé parental égalitaire et obligatoire, restauration et modernisation de l’impôt sur la fortune, lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, diminution du temps de travail…
Au total, treize partis politiques – de La France insoumise à CAP21 en passant par Génération.s, le Parti socialiste ou Europe Écologie-Les Verts – ont participé à des réunions pour élaborer cette base programmatique, sans toutefois adhérer au principe de la primaire.
Les citoyens sont désormais appelés à proposer des candidats. "C’est quelque chose d’inédit puisque chaque citoyen, en s’inscrivant gratuitement sur notre plateforme, peut proposer la personne de son choix, qu’elle soit membre d’un parti politique ou non", souligne Samuel Grzybowski.
Cela donne pour le moment une liste de noms assez surprenante puisque l’essentiel des candidats le sont malgré eux. Ont ainsi été parrainés l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira (en tête avec 13 063 parrainages), le député LFI François Ruffin (8 963 parrainages) ou encore l’économiste Gaël Giraud (5 215 parrainages).
Puis, au terme de cette étape qui doit durer jusqu’au 11 octobre, les cinq femmes et les cinq hommes ayant reçu le plus de parrainages deviendront les candidats officiels de cette primaire populaire… à condition qu’ils l’acceptent.
Car c’est là que réside le principal défi des organisateurs : convaincre les représentants des partis politiques écologistes et de gauche de se soumettre à une primaire – qui aura lieu fin novembre – et d’en accepter le résultat alors même que l’idée d’une candidature commune provoque chez eux de l’urticaire.
"Ce n’est pas réaliste"
"On en appelle à leurs responsabilités. S’ils veulent être au rendez-vous de l’Histoire, il faudra changer de stratégie et mettre de côté leurs intérêts de chapelle. Celui qui gagnera notre primaire aura une vraie chance de faire gagner l’écologie et le social en 2022. Divisés, c’est la défaite assurée", constate Samuel Grzybowski.
Au-delà de l’appel aux responsabilités, les partisans de la primaire comptent surtout sur la pression populaire. Ils espèrent réunir au moins 300 000 personnes sur leur plateforme avant début octobre. Un seuil qui leur permettrait selon eux de revendiquer une dynamique populaire face aux 237 000 soutiens affichés par Jean-Luc Mélenchon sur sa propre plateforme et aux quelques milliers d’électeurs inscrits pour la primaire écologiste de septembre.
Mais si Samuel Grzybowski se veut résolument optimiste, la réalité est aujourd’hui plus cruelle. Aucun parti ne s’est formellement engagé à participer à la primaire populaire et plusieurs candidats ont déjà balayé du revers de la main l’éventualité d’une participation.
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Ainsi, Anne Hidalgo, candidate putative du Parti socialiste, a déclaré dans Le Journal du dimanche, le 2 mai, qu’elle n’était "pas favorable à une primaire", tandis que Jean-Luc Mélenchon clame depuis l’automne 2020 qu’il sera candidat jusqu’au bout.
"Dès le départ, on a dit qu’on voulait bien contribuer aux débats programmatiques, mais qu’en aucune manière on ne participerait à la primaire", insiste le député LFI Éric Coquerel, contacté par France 24. "Faire une primaire entre des candidats qui ont des programmes aussi différents, ce n’est pas réaliste, ajoute-t-il. Et même en admettant qu’il y ait un candidat désigné au terme de cette primaire, ça se passera comme lors de la primaire socialiste de 2017 avec des perdants qui refuseront de soutenir le vainqueur."
"C’est clair qu’aujourd’hui, on est face à un mur, reconnaît Samuel Grzybowski. Mais j’espère que tous ces politiques entendront le cri d’une génération et qu’ils finiront par comprendre qu’il n’y a qu’un seul chemin pour gagner en 2022."