Morts sur le Pont-Neuf : la mise en examen d'un policier pour homicide volontaire est "très rare", selon le spécialiste de la police Fabien Jobard
Le policier qui a tué dimanche deux hommes, soupçonnés d'avoir forcé un contrôle, en tirant sur leur voiture près du Pont-Neuf à Paris, a été mis en examen mercredi 27 avril notamment du chef "d'homicide volontaire à l'égard du conducteur du véhicule".
"Une mise en examen pour homicide volontaire est très rare" et "suppose que le policier a eu la volonté de tuer", explique jeudi 28 avril Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS, co-auteur de Sociologie de la police avec Jacques de Maillard, après que ce chef d'accusation a été retenu contre un policier qui a tué deux personnes par balles sur le Pont-Neuf à Paris dimanche soir.
Cet agent a ouvert le feu une dizaine de fois, selon la version de la police, sur un conducteur et ses deux passagers à bord d'un véhicule, qui refusaient d'obtempérer pour un contrôle. Selon une source judiciaire jointe par franceinfo, le policier est aussi mis en examen pour "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner", pour ce qui concerne le passager décédé, et pour "violences volontaires aggravées par personne dépositaire de l'autorité publique" à l'égard du passager arrière qui a été blessé.
Une mise en examen pour homicide volontaire à l'encontre d'un policier dans le cadre de son travail est-elle inédite ?
Fabien Jobard : Une mise en examen pour homicide involontaire, on le voit régulièrement. En revanche, homicide volontaire, qui suppose que le policier a eu la volonté de tuer, c'est très rare. Le cas que j'ai en mémoire est celui de la mort de Amine Bentounsi en 2012, lorsqu'un policier lui a tiré dans le dos. Le juge d'instruction a mis en examen pour homicide volontaire et cela avait amené une mobilisation considérable des syndicats de police dans l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle qui opposait Nicolas Sarkozy à François Hollande. Cela soulève évidemment une émotion considérable dans les rangs de la police.
Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer ce motif de mise en examen ? Cela signifie-t-il qu'il y a de sérieux doutes sur le fait qu'il y ait eu danger de mort ?
Il y a non seulement ça, mais le juge estime très vraisemblablement que le policier a fait usage de son arme sans qu'il y ait danger, qu'il l'a fait dans le but de porter atteinte à la vie de la personne sur laquelle il a tiré, c'est-à-dire que le policier était en parfaite maîtrise de ses moyens lorsqu'il a fait usage de son arme. Lorsqu'un policier fait usage de son arme, c'est nécessairement dans le cas de la légitime défense : cela suppose un danger grave, imminent, incontournable, et que seul un tir par arme à feu est susceptible de mettre un terme à ce danger. Là, le juge estime que le tir policier sort complètement de ce cadre et, qu'au contraire, il n'y avait pas de danger. Le policier était parfaitement en situation d'estimer le pour et le contre de l'usage de son arme et, en toute rationalité, en toute connaissance de cause, il a tiré. Seul ce raisonnement peut amener une mise en examen pour homicide volontaire.
Des syndicats policiers demandent une présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre : qu'en pensez-vous ?
"Présomption de légitime défense", cela voudrait dire que chaque fois qu'un policier fait usage de son arme ou de la force, sa qualité de policier fait qu'on ne peut pas le poursuivre. La légitime défense en droit pénal, c'est ce qu'on appelle une cause d'exonération de la responsabilité pénale : vous faites quelque chose en état de légitime défense, ce n'est plus votre raison qui vous guide, ce sont les circonstances, vous êtes dans un état de nécessité, on ne peut pas vous poursuivre. Une présomption de légitime défense, il faut quand même bien décoder ce que ça veut dire en droit : cela veut dire que lorsque le policier utilise la force ou son arme à feu, on ne peut rien faire contre lui parce qu'il est présumé non responsable de son geste.