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Insolite et Faits divers

Manifestation des policiers : "Gérald Darmanin prend le risque d’être téléguidé par les revendications des syndicats", selon le sociologue Fabien Jobard

Le ministre de l'Intérieur et plusieurs personnalités politiques étaient présents au rassemblement des forces de l'ordre, mercredi à Paris. Le sociologue Fabien Jobard explique pourquoi, selon lui, le ministre s'est rendu sur place. Les syndicats policiers ont appelé à un grand rassemblement, mercredi 19 mai, devant l'Assemblée nationale, à 13 heures à Paris. Cette manifestation est organisée en réaction à la mort d'un policier, Eric Masson, tué au cours d'une intervention à Avignon (Vaucluse) le 5 mai. Un rassemblement auquel le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a pris part, de même que de nombreux responsables politiques, du Parti communiste au Rassemblement national, à l'exception de La France insoumise. >> Manifestation des policiers : suivez les dernières informations dans notre direct Pour mieux comprendre l'attitude de la classe politique face aux syndicats de policiers, franceinfo a interrogé Fabien Jobard, sociologue, directeur de recherches au CNRS et co-auteur de Police : questions sensibles (Editions Puf). Franceinfo : La présence du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à cette manifestation de policiers fait débat. Quelle est la principale raison de sa présence, selon vous ? Fabien Jobard : Ce qui est singulier, c'est qu'à cette occasion Gérald Darmanin, au contraire de ce qu'il avait dit lors de son investiture, se déclare à nouveau "premier flic de France". A son tour, il fait du ministre de l'Intérieur le représentant des policiers, alors qu'on attend de lui qu'il gouverne la police. Le "premier flic de France", c'est le directeur général de la police nationale. L'absence de politiques publiques fortes en matière de contrôle de la délinquance et d'insécurité est la raison fondamentale de cette présence, qui tente de pallier ce manque. Mais en s'intronisant "premier flic de France", Gérald Darmanin se retrouve dans la configuration où il ne propose pas de politique et prend le risque d'être téléguidé par les revendications des syndicats policiers. Car le quinquennat d'Emmanuel Macron est très faible en matière de sécurité quotidienne. La seule mesure qu'il y a eue, c'est la police de sécurité du quotidien, à l'automne 2018. Après, les "gilets jaunes" ont totalement cristallisé l'attention, enfermant l'exécutif dans une relation de dépendance à l'égard de la police. Depuis octobre 2018, si j'observe les réformes structurelles de la police, je vois très peu de choses. Outre Gérald Darmanin, de nombreux responsables politiques, de l'extrême gauche à l'extrême droite, sont présents à cette manifestation. Qu'est-ce que cela dit du rapport de la classe politique à la police ? Il y a plusieurs interprétations possibles. Tout d'abord, comme dans toutes les manifestations œcuméniques, notamment celles liées au terrorisme, il est difficile de ne pas afficher son adhésion à l'égard de la solidarité nationale et de l'institution. On peut rapporter ce type de comportements à des manifestations qui suspendent, un temps, la vie politique ordinaire. Mais un autre registre d'interprétation est en réalité que la classe politique a beaucoup de mal à formuler des propositions de politiques publiques au sujet du sentiment d'insécurité, de l'ordre public quotidien, du trafic de stupéfiants. Dans ce grand vide intellectuel, les politiques se contractent autour d'un seul et même dénominateur commun, celui qui leur est soumis par les syndicats policiers : davantage de sévérité à l'égard des délinquants. Or la justice est de plus en plus sévère depuis le premier tiers des années 1990. Avant le Covid-19, on avait, dans les prisons françaises, un nombre record de détenus, environ 70 000, c'est une personne sur 1 000 en France. Par ailleurs, le taux de réponse pénale n'a jamais été aussi élevé. Nous sommes le seul pays d'Europe où l'on poursuit 130 000 consommateurs de stupéfiants par an, principalement du cannabis. D'où l'acrimonie des services de police vis-à-vis de la justice, car la justice ne peut offrir de réponse pénale à une consommation de masse. La classe politique a-t-elle une attitude particulière à l'égard des syndicats de police, qu'elle n'a pas vis-à-vis des organisations syndicales d'autres secteurs ou d'autres professions ? Il est clair que le pouvoir d'intimidation des syndicats de police sur l'ensemble de la classe politique n'est pas comparable à celui d'autres organisations professionnelles. Ce pouvoir tient aux circonstances tragiques des meurtres récents. C'est un geste empathique, voire compassionnel, de la part de la classe politique. Mais à ce geste se mêle aussi la crainte du désordre, la crainte de la mise en danger de l'ordre public en France par un retrait de la police. Le spectre qui se dresse derrière ces manifestations, c'est la grève des services de police. Dans leurs tracts, principalement ceux du syndicat Alliance, la menace est souvent brandie de ne plus exécuter les ordres et de ne répondre qu'aux appels d'urgence du 17. Par exemple, de ne plus effectuer aucun contrôle d'identité. Ou bien de déposer les armes, devant la préfecture ou devant le tribunal, en signe de démission. Au sein de la classe politique, il y a une adhésion à la police comme institution fondamentale à tout régime politique. Est-ce que cette empathie signifie une adhésion aux revendications politiques des syndicats ? C'est évidemment la question qui se pose et ça sera tout le jeu des syndicats de police que de vouloir entraîner les partis politiques de la compassion à l'adhésion, de l'empathie au soutien inconditionnel. Les revendications des policiers vont au-delà des conditions de travail, elles portent sur la fabrication de la loi pénale tout entière.

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