En France, magistrats et greffiers manifestent pour dénoncer une justice "exsangue"
Des magistrats, avocats et greffiers participent à une manifestation pour dénoncer leurs conditions de travail, devant le ministère des Finances à Paris, le 15 décembre 2021.
Le secteur de la justice s'est mobilisé mercredi dans toute la France pour protester contre leurs conditions de travail et exiger plus de moyens.
Dénonçant leur "souffrance" au travail et leur "désespérance", magistrats et greffiers se sont rassemblés mercredi 15 décembre partout en France aux côtés des avocats pour réclamer des moyens "dignes" pour la justice, alors que le malaise grandit au sein des tribunaux.
Cette "mobilisation générale pour la justice", à l'appel de 17 organisations, a été massivement suivie, trois semaines après la déflagration d'une tribune criant l'épuisement et la perte de sens de ceux qui rendent la justice au quotidien.
De Bastia à Rennes, de Lyon à Montpellier, des robes noires et rouges ont brandi des pancartes proclamant "J'ai honte de ma justice", "De juger mon cœur s'est arrêté" ou "Justice malade", un mot-clé sous lequel magistrats et greffiers témoignent de leurs conditions de travail sur les réseaux sociaux.
À Paris, plusieurs centaines de magistrats, greffiers et avocats – 650 selon la Préfecture de police – se sont rassemblés à la mi-journée devant le ministère de l'Économie, demandant : "Et ils sont où, et ils sont où les recrutements ?" Une délégation de l'intersyndicale devait être reçue par le cabinet du ministre des Comptes publics.
"Il faudra inventer d'autres moyens pour rendre la justice car la justice n'en peut plus", a lancé la présidente de l'USM, Céline Parisot. "On n'a jamais vu une telle mobilisation, une unanimité dans le constat d'une justice déshumanisée", a renchéri Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), pour qui cette journée est "une première étape".
Politique d'"abattage"
Les deux principaux syndicats de magistrats ont déposé des préavis de grève – "une première" pour l'USM, majoritaire – qui s'est traduit par le renvoi de nombreuses audiences, hors urgences. Le ministère de la Justice n'était pas en mesure de les chiffrer en fin d'après-midi.
À Nantes, le procureur de la République adjoint Yvon Ollivier a dénoncé une politique d'"abattage". "On travaille de plus en plus vite, mais derrière les dossiers, il y a des gens, qui ont besoin d'être jugés correctement."
Ce rare mouvement de colère a rassemblé plusieurs centaines de professionnels à Bordeaux, environ 400 à Marseille, 300 à Lyon, 230 à 400 à Strasbourg, 200 à Rennes, une centaine à Nice, Besançon, Grenoble et Chambéry, quelques dizaines aussi à Orléans, Dijon ou Bastia.
"Depuis des années, on est en souffrance. On fait des heures exponentielles, on n'en peut plus. Hier soir, un collègue est resté au palais jusqu'à 2 h 30 du matin et ce matin il était à son poste à 8 h 30", a raconté Céline, greffière au tribunal pour enfants de Nice.
À Strasbourg, "il y a 74 postes de personnels de greffe vacants, sur 270, c'est plus d'un quart", a assuré une autre greffière, Caroline Barthel.
À Lille, une minute de silence a été observée en hommage à Charlotte, une magistrate qui avait mis fin à ses jours fin août, drame à l'origine de la tribune publiée le 23 novembre dans Le Monde.
Intitulé "Nous ne voulons plus d'une justice qui n'écoute pas et qui chronomètre tout", ce texte a obtenu un succès aussi fulgurant qu'inédit : il a été signé par 7 550 professionnels, dont 5 476 magistrats (sur 9 000) et 1 583 greffiers.
"Situation intenable"
Un constat partagé par la hiérarchie judiciaire : les représentants des chefs des cours d'appel et des tribunaux judiciaires ont alerté à leur tour sur une "situation devenue intenable". Des premiers présidents de cours d'appel et des procureurs généraux se sont joints, comme à Bastia, aux rassemblements.
La contestation a même gagné la Cour de cassation : leurs magistrats avaient dénoncé lundi "une justice exsangue, qui n'est plus en mesure d'exercer pleinement sa mission dans l'intérêt des justiciables".
Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a tenté de calmer la fronde, venue percuter les États généraux de la justice lancés mi-octobre par le gouvernement. Il a notamment annoncé lundi l'augmentation du nombre de places au concours de l'École nationale de la magistrature pour permettre l'arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, ainsi que la pérennisation de quelque 1 400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité.
Dans un message mardi aux magistrats et agents judiciaires, le ministre s'est dit "déterminé à améliorer durablement (les) conditions de travail et le fonctionnement de la justice". Et mercredi, il a réaffirmé sur France Inter avoir "réparé l'urgence". "J'espère qu'il n'y a pas d'instrumentalisation (de la mobilisation) mais je ne peux l'exclure", a-t-il aussi glissé, à quelques mois de la présidentielle.
"Les magistrats ne roulent pour personne", a répliqué, dans le cortège parisien, Christophe Bouvot, de l'Association nationale des juges des contentieux et de la protection.
Avec AFP