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Avec les autres rescapés du 13-Novembre, "nous sommes devenus les membres d'une famille cabossée"

Depuis le 6 octobre, les rescapés du Bataclan livrent le récit de la soirée du 13 novembre 2015, au cours de laquelle ils ont échappé à la folie meurtrière de trois terroristes. Parmi eux ce mardi, Sophie Parra, blessée par deux balles. Un récit saisissant. À la terrasse ensoleillée d'un café de la place Dauphine qui borde le palais de justice de Paris, Sophie Parra prend un verre avec son amie Léa. Un dernier élan de tendresse amicale pour se donner du courage avant de se lancer. Dans moins d'une heure, la jeune femme de 37 ans sera à la barre de la cour d'assises spéciale pour raconter sa soirée du 13-Novembre, comme des dizaines d'autres rescapés du Bataclan le font depuis le 6 octobre. Après de nombreuses tergiversations, elle a décidé de témoigner pour devenir "actrice du procès."   Quelques minutes avant le début de l'audience, elle jette des regards inquiets ici et là dans l'immense salle d'audience recouverte de bois blond. Ses gestes traduisent sa nervosité. Puis la sonnerie du début d'audience retentit. Tout le monde se lève. Le président Jean-Louis Periès annonce, comme chaque jour, la reprise de la séance. C'est Jérôme, 48 ans, qui ouvre ce 12 octobre le terrible bal des témoignages du Bataclan. Crâne dégarni, style classique, l'homme qui ne veut pas que son nom soit repris dans la presse, raconte son histoire dans les grandes lignes. La balle brûlante qui lui frôle la joue, la rigole de sang qui coule au milieu de la salle, sa fuite groupée pendant que le terroriste recharge sa kalachnikov, puis sa difficile et lente reconstruction. Le trader de Londres, qui avait entamé une pause professionnelle pour s'occuper de sa mère, n'a jamais pu reprendre son travail. "J'avais peur pour ma mère et aujourd'hui, c'est moi qui suis à sa charge. La société est méfiante quand on dit que l'on a été au Bataclan, confie dans un sourire amer le golden boy au repos forcé, qui vit désormais du RSA. Ces personnes-là ont volé une partie de ma vie", conclut-il.  "Des terroristes, je me rappelle de leurs cris. Et de leurs sourires"  Puis c'est au tour de Sophie d'être appelée à témoigner. Petite, brune, vêtue de noir de la tête au pied, elle s'avance d'un pas déterminé jusqu'à la barre. Son récit tient entre ses mains sur quelques feuilles A4. Elle chausse ses lunettes noires. Puis ses mots fusent. Elle ne veut "raconter que ce dont elle se souvient" et débute le récit d'une soirée qui commençait bien. "On était en train de rire, c'était un concert tout ce qu'il y a de plus normal. Je me souviens avoir entendu des pétards, je me suis dit 'ils font ça vraiment à l'américaine'. On passait vraiment une bonne soirée."  Mais très vite, elle comprend que les pétards n'en sont pas. "On s'est tous allongés, j'ai été blessée très rapidement. J'ai ressenti comme un coup de marteau à la jambe, mais je ne me suis pas rendu compte tout de suite de ma blessure. J'ai vu le terroriste, son sourire, je me suis dit 's'il ne me voit pas, je n'existe pas, donc je reste vivante'."  D'une voix tremblante, elle se souvient des assaillants. "Des terroristes, je me rappelle de leurs cris. Et de leurs sourires. L'un d'eux a frôlé mon pied, j'ai cru que j'allais mourir. Ils parlaient de Syrie et d'Irak, je me disais qu'ils parlaient de pays que je n'étais même pas sûre de pouvoir placer sur une carte." Et puis, il y avait cet homme allongé à côté d'elle, avec qui elle avait échangé un sourire un peu plus tôt. "Je l'ai senti mourir. J'ai su par la suite qu'il s'appelait Pierre Innocenti. Ce garçon, nous l'avons ensuite utilisé pour le mettre sur nous comme un sac pour se protéger", lâche-t-elle dans un éclat de sanglots.   La voix cassée, elle reprend le fil du récit. Elle parvient à s'enfuir avec son amie par la sortie de secours, près des toilettes. Les deux rescapées s'abritent dans le hall d'un immeuble, commandent un VTC et partent vers Saint-Antoine. Au cours du trajet, le chauffeur l'aide à la tenir éveillée pour ne pas qu'elle sombre. À l'hôpital, on lui annonce qu'elle ne peut être opérée que le lendemain car "des cas plus graves" occupent déjà les chirurgiens. Elle découvre alors qu'elle a deux balles dans le corps : l'une au mollet, l'autre logée dans son bassin.  Deux solutions s'offrent à elle : garder la balle dans le corps ou briser son bassin pour l'extraire. Elle décide de la garder. Douze jours d'hospitalisation et trois opérations plus tard, vient la sortie tant redoutée. "Sortir dans la rue était une épreuve. La vie à Paris est devenue impossible. Et puis on est livré à nous-mêmes, c'est à nous de trouver une infirmière pour les soins, un kiné, un psychologue", regrette la trentenaire. Quelques jours plus tard, la jeune femme fête l'anniversaire "le plus triste de toute sa vie." "Je m'en voulais d'être encore vivante" Incapable de vivre à Paris, elle retourne à Lyon, sa ville d'origine, pour entamer un long travail de reconstruction pavé de tristesse et de culpabilité. "Je m'en voulais d'être encore vivante." Pour échapper aux tentations du suicide, elle se rapproche de différents psychologues. Mais là encore, le chemin est semé d'embûches. "Il y a eu le ponte qui s'est endormi quand je lui ai raconté mon récit et qui m'a demandé comment étaient mes grands-parents à son réveil. Il y a eu celui qui me conseillait de regarder des films de Charlie Chaplin pour aller mieux. Il y a eu celui qui me réclamait le remboursement de la sécu, celle qui pleurait et que j'ai dû consoler pendant toute la séance." Au milieu de ses infortunes, elle trouve malgré tout des professionnels en qui elle trouve confiance.   Mais "la peur reste là. Elle pourrit la vie, les relations avec les proches qui ne pourront jamais se mettre à notre place". Elle vient même distendre ses relations avec son amie Léa. Et comme un nouveau coup du sort, elle apprend que la balle logée près du bassin ne pourra pas lui permettre de tomber enceinte. Un nouveau coup dur pour celle qui parlait de bébé avec son compagnon. Heureusement, la science fait mentir plus tard ce sombre diagnostic : la jeune femme tombe enceinte de sa fille après une FIV. "Ma fille, c'est mon oxygène, ma bouée de sauvetage. Mais j'ai aussi peur pour elle, tous les jours. J'ai peur de lui expliquer les raisons de ma cicatrice sur la jambe, peur de lui dire comment des hommes peuvent être aussi barbares." "J'espère que la colère pourra s'apaiser avec le temps" Et de conclure, "ma vie d'avant ça, c'était des sorties tout le temps, je ne restais jamais chez moi. J'allais aux concerts, au cinéma, au théâtre, aux feux d'artifice." Aujourd'hui, elle se prive de tout. Et si elle va au cinéma, elle s'assure avant qu'il n'y a pas d'arme à feu. En un mot, "mon innocence est morte le 13 novembre 2015." La Lyonnaise ne veut pas garder de rancœur. "Je me refuse de faire des amalgames, j'espère que la colère pourra s'apaiser avec le temps. Je remercie Léa d'être là, je veux remercier les associations d'aide aux victimes, mon conjoint devenu ma béquille. Depuis six ans, je pense aussi à tous les disparus, à Pierre Innocenti et à tous les rescapés avec qui nous sommes devenus les membres de la famille cabossée."  Pas de question de président, mais un message de Me Samia Maktouf, avocate de la famille de Pierre Innocenti, décédé à 40 ans au Bataclan. "Ses parents vous remercient de leur avoir livré les dernières minutes de sa vie. Grâce à vous, ils savent qu'il est parti en paix. Et son frère est heureux de vous savoir en vie. Il vous prie de vivre." Après son témoignage, elle quitte la salle d'audience le visage rougi par les pleurs pour aller déjeuner avec son amie Léa. À son retour, "elle est soulagée", confie-t-elle à France 24. Que va-t-elle faire maintenant ? "Ce soir, je vais commencer par aller prendre plein de bières." Un bon début pour cette fêtarde qui chérissait les plaisirs de la vie.  

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