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Économie et marchés

Avec Imaguru, les start-up biélorusses veulent faire entendre leur voix en exil

VIVATECH Imaguru, le pôle d’innovation d’origine biélorusse, a profité du salon parisien de l’innovation VivaTech pour essayer d’ouvrir des bureaux en France. Depuis la crise politique en Biélorussie en 2020, Imaguru est devenu le premier collectif de start-up européennes en exil. Une situation professionnelle et personnelle compliquée pour ces entrepreneurs. Rencontres.  Une session de présentation de projets de start-up dans les bureaux d'Imaguru en Pologne. Ils croient à leur "pitch" comme tant d’autres start-up à VivaTech, le salon de l’innovation qui se déroule à Paris jusqu'au samedi 17 juin. Alex Korotkovveut encourager les individus à planter eux-mêmes des arbres grâce à sa société, Pineox, qui analyse l’empreinte carbone de tout un chacun. Kirill Sokol promeut une start-up, Skinive, qui utilise l’intelligence artificielle pour donner des conseils en soins de la peau. Enfin, Egor Dubrovsky a développé une solution, Filmustage, qui doit aider l’industrie du cinéma et de l’animation à optimiser certains processus grâce à l’IA. Ces trois entrepreneurs ont un point commun : ils appartiennenttous au réseau de start-up Imaguru, qui est le premier pôle d’innovation en exil. Ils accompagnent Tania Marinich, la fondatrice de cette initiative biélorusse, venue à Paris durant VivaTechpour essayer d’installer des nouveaux bureaux dans la capitale française. Pour l’instant, cette structure créée en 2013 à Minsk, possède des succursales en Lituanie, en Pologne et en Espagne.  De pôle tech à îlot de résistance politique Ces pôles d’innovation sont généralement organisés pour promouvoir des start-up locales et leur offrir des bureaux et des aides à leur développement. En Biélorussie, "Imaguru était la structure la plus influente pour les entrepreneurs nationaux", confirme Alex Korotkov, qui avait rejoint cette structure avant son départ en exil.  Tout a basculé lors de la crise de 2020, lorsqu’une partie de la population a contesté la réélection du président Alexandre Loukachenko. Les relations entre le régime et l’écosystème de la tech se sont alors fortement dégradées. Des entrepreneurs ont participé aux manifestations géantes contre le président, à l’instar d’Alex Korotkov. "J’ai été arrêté juste après, et je suis resté en prison jusqu’à quelques jours après le début de la guerre en Ukraine [le 24 février 2022]", raconte-t-il. Imaguru incarne alors un îlot potentiel de résistance aux yeux du régime. En 2021, les locaux de cette structure emblématique pour l’écosytème tech biélorusse sont fermés et sa fondatrice est harcelée. "J’ai eu droit à plusieurs articles de propagande contre moi dans les principaux journaux du pays", explique Tania Marinich. Au lieu de disparaître, les responsables d’Imaguru choisissent alors l’exil. "Au départ on avait rejoint Imaguru pour des raisons tech, et on est resté pour des raisons politiques", résume Alex Korotkov. Ce pôle d’innovation a alors acquis une dimension supplémentaire de "plateforme permettant aux entrepreneurs d’exprimer leur grief à l’égard du pouvoir", assurent les responsables d’Imaguru que France 24 a pu interroger.  Les start-up d’origine biélorusse rencontrées durant VivaTech soutiennent que l’écrasante majorité des entrepreneurs biélorusses sont opposés à Alexandre Loukachenko. Et pas seulement pour des raisons idéologiques. “Il faut bien comprendre que le régime est mauvais pour les affaires, car il fait fuir les investisseurs”, assurent-ils tous. Solidaire de l'Ukraine La guerre en Ukraine et la grande offensive russe débutée en février 2022 a encore compliqué le quotidien de ces start-up en exil. "Une partie des employés et investisseurs qui me soutenaient étaient en Ukraine et je n’ai plus pu les joindre du jour au lendemain", note Egor Dubovsky. L’écosystème de la tech biélorusse a, en effet, connu ces dernières années ce que Tania Marinich appelle "le double déracinement". À la suite de la crise de 2020, une partie des ingénieurs et, plus généralement, des talents de la tech biélorusse se sont réfugiés en Ukraine pour sa proximité géographique et parce que "l’environnement économique y était bon", précise Tania Marinich. Après le 24 février 2022, tout a changé. D’autant plus que les liens étroits qui unissent Alexandre Loukachenko et le président russe Vladimir Poutine n’ont pas été du meilleur effet pour les entrepreneurs d’origine biélorusse présents en Ukraine. Imaguru et la plupart des start-up affiliées ont alors choisi leur camp pour se poser en "va-t-en-paix". Il était dorénavant "hors de question d’avoir le moindre contact avec des investisseurs ou même d’éventuels partenaires russes", souligne Alex Korotkov. "Il était important de soutenir l’Ukraine, tout comme une Biélorussie démocratique car nous nous battons pour une valeur commune importante : la démocratie", assure Tania Marinich qui, outre son rôle au sein d’Imaguru, est aussi la responsable des Affaires étrangères du Conseil de coordination, une structure d’opposition au régime de Loukachenko créée en 2020. Concrètement, le "Imaguru Hub" s’est renommé en "Solidarity Hub" (pôle de solidarité) et a mis en place diverses initiatives pour soutenir les entrepreneurs ukrainiens, telle que la mise à disposition gratuite de bureaux ou un soutien financier à des start-up ukrainiennes. Des bureaux à Paris ? Des entrepreneurs biélorusses ont aussi agi de leur côté, comme Egor Dubrovsky qui, peu après le début de la guerre et sa sortie de prison, a décidé de recruter près d’une dizaine de salariés ukrainiens. Une manière pour ces créateurs de start-up de démontrer que la tech peut aussi servir de ponts pour connecter des peuples séparés par une profonde crise. "Il est important pour nous de montrer comme nous le pouvons notre opposition à la guerre", soulignent ces entrepreneurs réunis à Viva Tech. Entre l’exil forcé et l’alignement du pouvoir biélorusse sur la politique agressive russe, ces start-up sont aussi confrontées à une forme de crise d’identité. Pas toujours facile de revendiquer ses origines. "Pourquoi ne pas dire que nous sommes Néerlandais ?", s’interroge Kirill Sokol, dont la société Skinive a, en effet, son siège à Amsterdam. Egor Dubrovsky et Alex Korotkov reconnaissent tous les deux que lorsqu’ils défendent leur projet devant des investisseurs, ils présentent leur start-up comme étant "enregistrée aux États-Unis". Il n’est pas question de renier ses origines, mais plutôt "de faire au plus simple", assurent ces chefs d’entreprise. Preuve que ces entrepreneurs en exil sont loin d'avoir coupé les ponts avec la Biélorussie, un récent sondage auprès de cette communauté a démontré que "91 % d’entre eux veulent revenir dans leur pays d’origine", souligne Tania Marinich. En attendant que les conditions d’un retour soient réunies, Imaguru multiplie les "premières fois". Après être devenu le premier pôle d’innovation en exil, ce collectif a aussi accueilli la première "licorne" – c’est-à-dire une start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars par les investisseurs – en exil : Pandadoc qui s’était installée en Ukraine à la suite de la crise politique de 2020. À voir s’ils pourront poser une partie de leurs bagages à Paris.

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