Après la dissolution des Soulèvements de la terre, la bataille des arguments juridiques
QUERELLE JURIDIQUE
Le gouvernement a dissous par décret, mercredi, le mouvement Les Soulèvements de la terre, lui reprochant notamment des violences lors de plusieurs actions. Les avocats du collectif écologiste ont annoncé dans la foulée un recours devant le Conseil d’État, dénonçant une décision qui "intervient au mépris des libertés fondamentales". La plus haute juridiction administrative va devoir trancher entre deux interprétations du droit.
"On ne peut pas démanteler un soulèvement", revendiquent des manifestants lors d'un rassemblement de soutien au mouvement écologiste Les Soulèvements de la terre à Nantes, le 21 juin 2023.
Initiée quelques jours après de violents affrontements entre gendarmes et opposants aux retenues d'eau de Sainte-Soline, le 28 mars, la dissolution des Soulèvements de la terre (SLT) a été décrétée le mercredi 21 juin en Conseil des ministres.
L’exécutif a eu recours à l'article 212-1 du Code de la sécurité intérieure, introduit au moment de la loi dite séparatisme permettant la dissolution de groupements "provoquant à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens".
Dans son décret, qui évacue tout débat idéologique de fond et se concentre sur les méthodes d'action, le ministère de l'Intérieur cite l'appel à participer à une "vingtaine d'actions", de l'occupation des sites des cimentiers Lafarge et Eqiom, aux manifestations anti-bassines de Sainte-Soline, et plus récemment aux actions contre la ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Selon Beauvau, chacun des "actes" et "saisons" des SLT sur le terrain est précédé de la diffusion de consignes visant à la violence. Il cite dans son texte des "tutoriels" – comme le "démantèlement sauvage d'une bassine" – et plus généralement "des modes opératoires directement inspirés de ceux des black blocks" (tenue, anonymat, sécurité numérique...).
Une fois cette intention établie, le décret affirme que ces incitations sont bien "suivies d'effets lors des différentes actions de contestation organisées par les SLT, caractérisées le plus souvent par des destructions matérielles et des agressions physiques contre les forces de l'ordre" et, dans un troisième temps, que ces actions sont "assumées" et valorisées" sur Internet.
Le gouvernement estime ainsi que le mouvement joue un "rôle majeur dans la conception, la diffusion et la légitimation de modes opératoires violents dans le cadre de la contestation de certains projets d'aménagement".
Le mouvement revendique son droit à la désobéissance civile et reconnaît "promouvoir l'idée d'un ‘désarmement’ de l'industrie du béton et du complexe agro-industriel" dans la lignée des faucheurs d'OGM ou d'autres luttes paysannes depuis le début du XXIe siècle.
Le mouvement se défend d'être une "organisation terroriste". "De même que nous ne sommes pas un groupuscule d'ultragauche. Nous sommes bien plus un mouvement de résistance, composite et désormais largement soutenu", assure-t-il.
Sur la forme, les avocats des Soulèvements de la terre, Me Raphaël Kempf et Aïnoha Pascual, avaient fait valoir dans leur dernière réponse au gouvernement datant du 7 avril que le mouvement n'est pas une association déclarée, mais une dynamique "horizontale et organique".
"C'est un mouvement qui est horizontal, qui ne peut être dissout", dont se revendiquent "plus de 100 000 personnes", ont souligné mercredi les deux avocats. "Est-ce que le gouvernement est prêt à aller jusqu'à l'absurde, consistant à faire encourir la prison à plus de 100 000 personnes dans ce pays ?", a insisté Me Kempf.
Les avocats de la mouvance expliquaient en avril "qu'il est avant tout reproché aux Soulèvements de la terre des comportements constitutifs de l'exercice pur et simple de la liberté d'expression".
Critiques virulentes mais légales, ou reliées directement aux actes de violences : c'est bien cette question qui sera désormais au cœur du débat contradictoire devant le Conseil d’État, saisi mercredi par les avocats de SLT pour une dissolution qui, selon eux, "intervient au mépris des libertés fondamentales".
En mai 2022, les juges de la plus haute juridiction administrative avaient suspendu la dissolution du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale), voulue par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Le Conseil d’État a alors estimé que "les éléments avancés par le ministre de l’Intérieur ne permettent pas de démontrer que la Gale a incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l'ordre public".
Pour Nicolas Hervieu, spécialiste des libertés publiques et enseignant à Sciences-Po, "le Conseil d'État peut décider que même s'il y a eu propos brutaux, hostiles contre l'État ou une politique du gouvernement, cela relève de la liberté d'expression et que cela reste tolérable dans le cadre d'une démocratie".
Professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, Serge Slama partage cette analyse. Le 1er mai, il a expliqué au journal Libération que la plus haute juridiction administrative "est extrêmement exigeante sur l’imputabilité des violences". Soutien affiché du mouvement, Serge Slama a aussi estimé que la dissolution aurait toutes les chances d’être considérée comme "illégale" en cas de saisie du Conseil d’État.
Par ailleurs, cette dissolution indigne les ONG. La Ligue des droits de l'Homme (LDH) a dénoncé une "remise en cause des libertés d'association, de manifestation, d'expression, ainsi que des droits de la défense". Amnesty international France a aussi condamné cette décision, affirmant sur Twitter que "le droit français actuel relatif à la dissolution des organisations pose problème. Il autorise le gouvernement à dissoudre une organisation pour des motifs vagues et sans contrôle préalable par la justice."
En attendant que le débat juridique soit tranché, le mouvement SLT ne semble pas particulièrement marqué par sa dissolution. Quelques jours avant que cette dernière soit prononcée, il écrivait encore dans un communiqué : "Loin d'être intimidés par la répression, nous avons maintenu l'ensemble des actions prévues cette saison."
Avec AFP