AFFAIRES OUBLIÉES. L'affaire Tonglet-Castellano, ces icônes malheureuses qu'on a "tuées a petit feu"
Inoubliable pour les victimes et leurs proches, l'affaire Tonglet-Castellano ne fait plus la Une mais a marqué les esprits dans les années 1970, à une époque où le viol n'était pas encore considéré comme un crime. Closer revient sur cette affaire hors norme.
Les années 1970 nous paraissent encore proches et pourtant... À l'époque, le viol n'était pas encore considéré comme un crime. En France, il faut attendre la fin des années 1980 pour qu'une législation pénalise enfin les crimes d'ordre sexuel, et c'est à l'affaire Tonglet-Castellano, entre autres, que l'on doit cette avancée cruciale. Dans la nuit du 21 au 22 août 1974, Anne Tonglet et sa compagne, Araceli Castellano, sont violées par trois hommes dans une calanque près de Marseille. La justice leur tourne le dos, mais révoltées par une institution masculinisée à l'extrême, elles s'unissent pour faire entendre leur voix et surtout, faire enfin reconnaître les droits des femmes. Retour sur "le procès du viol".
Le 20 août 1974, Anne Tonglet et Araceli Castellano sont en partance pour le camp nudiste de Sugiton. Elles font escale à la calanque de Morgiou, où elles ne tardent pas à être importuner. Dragueur, un jeune homme du nom de Serge Petrilli cherche à les séduire. Elles l'éconduisent, il insiste, elles refusent à nouveau. Blessé, le jeune homme monte sa revanche. Avec ses amis Guy Roger, 29 ans, et Albert Mouglalis, 24 ans, il décide de donner une leçon aux deux jeunes femmes, sagement installées dans leur tente. De longues heures, les trois hommes violent et violentent Anne et Araceli. Les deux victimes portent plainte, loin de se douter de la réponse qu'elles vont obtenir...
"Le procès du viol"
Interrogés par les autorités, Serge Petrilli, Guy Roger et Albert Mouglalis nient le viol et affirment avoir obtenu le consentement d'Anne et Araceli. Le parquet ne les poursuit donc que pour coups de blessures, ce qui provoque l'indignation des deux victimes. Discréditées, moquées pour leur orientation sexuelle et leurs pratiques nudistes, les jeunes femmes sont à deux doigts de tomber dans l'oubli. Mais elles décident de riposter. "Quand nous sommes rentrées en Belgique, on a dû se débrouiller toutes seules. Il a fallu se remettre du choc épouvantable que nous venions de traverser. Mais très vite nous avons eu la conviction qu'il fallait agir et ne pas se laisser faire", déclarera, plus tard, Anne Tonglet.
Déterminées à obtenir gain de cause, Anne et Araceli se rapprochent de l'avocate Gisèle Halimi, spécialisée dans le droit des femmes. La magistrate et les associations féministes font tant de bruit que l'affaire est renvoyée aux assises. Apercevant une ouverture, Halimi refuse le huit clos et décide d'en faire un combat politique, à l'image du très médiatisé procès de Bobigny.
Le procès s'ouvre le 2 mai 1978 devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, à Aix-en-Provence. Anne Tonglet et Araceli Castellano reçoivent notamment les soutiens de Françoise Fabian, Miou-Miou, Guy Bedos ou encore Georges Moustaki. L'audience fait l'objet d'une large couverture dans la presse, et le débat sur le viol a une résonnance nationale. Le 3 mai, Serge Petrilli est condamné à six ans de réclusion criminelle. Ses complices, Guy Roger et Albert Mouglalis, écopent chacun de quatre ans de prison. Un verdict qui marque un tournant dans la pénalisation du viol en France. Le 23 décembre 1980, l'article 222-23 du code pénal élargit le viol à tous les cas de pénétration sexuelle et le punit de quinze ans de réclusion criminelle.
"Ils nous ont tuées à petit feu"
Quarante ans plus tard, Anne Tonglet et Araceli Castellano restent les visages de l'un des plus grands combats féministes de l'histoire. Mais la victoire est loin d'avoir estompé la douleur. Détruites par cette nuit d'été 1974, les deux jeunes femmes se sont séparées peu avant la promulgation de la loi relative à l'article 222-23. "Ça n'a pas été très facile d'être l'une, l'autre, le miroir de l'horreur vécue. Ils nous ont tuées à petit feu. (...) La peur est toujours là, elle ne nous quittera jamais. Nous vivons dans une société faite par les hommes et pour les hommes. C'est un risque permanent d'être une femme dans ce monde patriarcal", confiera Anne Tonglet en 2019 à Télé Star.
Inscrivez-vous à la Newsletter de Closermag.fr pour recevoir gratuitement les dernières actualités