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À l’hôpital public, "j’ai des collègues qui pleurent quand ils viennent travailler"

Le départ de la manifestation des soignants pour la "défense de l'hôpital public" depuis la place Vauban, près de l'hôtel des Invalides à Paris, le 4 décembre 2021 Alors que la cinquième vague de Covid-19 remet sous pression le système hospitalier, des centaines de personnels soignants se sont mobilisés, samedi, à Paris pour "défendre l’hôpital public". Saturation des services d’urgence, fermetures de lits, difficultés à assurer la continuité des soins pour les patients hors Covid… Les professionnels de santé rencontrés par France 24 se livrent sur leur quotidien compliqué. Ils sont en première ligne depuis le début de la pandémie de Covid-19, et le sont de nouveau pour la cinquième vague qui touche actuellement le territoire français. Des centaines de personnels soignants ont répondu, samedi 4 décembre, à l’appel à la mobilisation nationale pour "défendre l’hôpital public", initiée par un collectif d’usagers de l’hôpital dans le département de la Mayenne. Soignants, associations, organisations syndicales et collectifs de santé ont répondu à l’appel – dont le Collectif inter-urgences (CIU), impliqué depuis plusieurs années pour demander des "changements dans la politique de santé" en France. Sur place, près du ministère de la Santé à Paris, le malaise est palpable parmi les soignants, venus braver la pluie et le froid dans la capitale, quand il est question de leurs conditions de travail. "C’est un rythme épuisant, et c’est encore plus dur avec le Covid-19", explique à France 24 Nathalie, 58 ans, aide-soignante au service de réanimation du centre hospitalier de Dieppe (dans le nord de la France). Celle qui travaille depuis 23 ans dans l’hôpital public – dont 11 "en réa’" – explique son rythme effréné : "Enchaîner trois nuits de 12 h, du repos et encore trois nuits de 12 h". Conséquence, "les jeunes qui arrivent dans l’hôpital public n’y arrivent plus", poursuit-elle. "On voit bien maintenant qu’on ne peut plus soigner les patients comme on voudrait : il y a des fermetures de lits, une hémorragie de personnel… J’ai des collègues qui pleurent quand ils viennent travailler, ils sont épuisés professionnellement. D’autres sont en arrêt, et ceux qui sont encore là comblent les manques et finissent eux aussi épuisés au travail." Manque de temps et de personnel pour les patients Même son de cloche pour Jérémy, aide-soignant âgé de 41 ans. Il ne travaille pas dans la même ville que Nathalie mais constate aussi au quotidien des manques dans son centre hospitalier, à Arles (dans le sud de la France). "Je travaille au service des urgences depuis 12 ans, et je vois le service public hospitalier se dégrader avec des fermetures de lits chaque année faute de personnel disponible", explique-t-il à France 24. "On fait face à un afflux de patients mais comme on n’a pas assez de bras pour les prendre en charge, des personnes âgées restent des heures sur des brancards dans l’attente d’être transférées dans un service". Plus de 5 700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés durant l’année 2020 dans l’hôpital public malgré la pandémie de Covid-19, selon une étude de la Drees publiée en septembre 2020, poursuivant ainsi un processus engagé depuis des années. Et les conditions d’hospitalisation "se dégradent depuis quelques années à cause de la T2A (tarification à l’activité, NDLR) qui rend les hospitalisations de patients de plus en plus courtes", affirme à France 24 Annie, 60 ans, infirmière à l’hôpital Necker à Paris. Annie exerce depuis 35 ans dans l’hôpital public et tourne dans les services où il y a des manques de personnel. "Autant dire que je tourne partout actuellement", explique-t-elle, avec des conditions de travail qui rappellent celles de Nathalie et Jérémy. "L’hôpital public est sinistré", déplore celle qui, à deux ans de la retraite, est venue manifester samedi "surtout pour (s)es jeunes collègues". L’infirmière se sent "frustrée" au quotidien : "On a de plus en plus de travail administratif à faire et j’ai toujours autant de patients, donc j’ai moins de temps à leur consacrer. Je ne suis pas satisfaite de cela. Avec le manque d’effectifs et le nombre de soins à faire, on ne peut pas rester longtemps dans les chambres. On a une charge mentale élevée et on est constamment stressé." Partir ou rester dans l’hôpital public Les différentes vagues de Covid-19 qui ont touché le territoire français depuis début 2020 ont encore mis plus à rude épreuve les hôpitaux, même si, dans le détail, leurs moyens ont été renforcés ponctuellement. "Il y a obligation de laisser des lits ouverts en réa’ en raison des formes graves de Covid", explique Nathalie, dont le service a même obtenu du personnel supplémentaire avec la fermeture de blocs opératoires quand cela été nécessaire… mais avec une conséquence notable : "La continuité des soins a été interrompue, et ça, c’est très dangereux." >> À lire : Octobre rose : les malades du cancer, victimes collatérales du Covid-19 Assurer les soins pour toutes et tous à l’hôpital, même en temps de pandémie, est un principe régulièrement rappelé par les personnes interrogées par France 24. Mais ce principe semble avoir été mis à mal : "On a eu des moyens supplémentaires pour gérer le Covid à l’hôpital, assure Jérémy, mais on a aussi eu des gens qui sont venus aux urgences avec des retards de prise en charge. Je n’avais jamais vu ça avant : on a découvert des cancers ou du diabète chez des patients, mais sur le tard." L’accumulation des conditions de travail difficiles, conjuguée à des conditions salariales jugées "trop basses" malgré le récent Ségur de la santé – une "goutte d’eau", selon Nathalie –, conduit des professionnels de santé à quitter finalement l’hôpital public. >> À lire : Ségur de la santé : une avancée pour l'hôpital public ou une opération de communication ? "Je pense que je vais continuer, j’ai cette mentalité de rendre service au public malgré les conditions de travail", explique Jérémy, qui précise que "certains de ses collègues sont déjà partis ou cherchent à le faire". Nathalie a songé à quitter l’hôpital public, sans finalement trouver d’issue, mais elle affirme elle aussi que "plusieurs de (s)es collègues ne pensent plus qu’à partir". Par-dessus tout, l’aide-soignante aimerait que "le patient revienne au centre des préoccupations de l’hôpital". À deux ans de la retraite, Annie espère, quant à elle, terminer en étant "à la hauteur" de sa fonction : "Je me suis déjà dite 'Je ne veux pas finir ma carrière sur un drame faute de soins ou de surveillance'. Je suis soucieuse quand je vais travailler, alors que je devrais être sereine avec mon expérience dans le métier." L’infirmière veut finalement donner à ses jeunes collègues "l’envie de rester" dans l’hôpital public même si elle "a connu mieux avant, quand il y avait de l’humanité et du temps pour nos patients".

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