Pénurie de soignants : "Les urgences crient à l'aide depuis des années"
Une banderole accrochée aux grilles de l'hôpital Tenon à Paris lors d'un rassemblement de soignants dénonçant la dégradation de leurs conditions de travail, le 25 mai 2022.
Urgences fermées, pénurie de médecins, faibles rémunérations... L'hôpital public souffre, et les soignants tirent de nouveau la sonnette d'alarme. Alors qu'au moins 120 servces d'urgences ont été forcés de limiter leur activité ou s'y préparent, Jehane Fadlallah, médecin à l'hôpital Saint-Louis à Paris, rappelle que la condition première pour sauver l'hôpital public français est la revalorisation des salaires des soignants et la titularisation des contrats précaires.
L'hôpital public français s'enfonce dans la crise. Au moins 120 services d'urgence ont été forcés de limiter leur activité ou s'y préparent, selon une liste établie par l'association Samu-Urgences de France (SUdF) que l'AFP s'est procurée.
Il manque dans les hôpitaux de l'AP-HP 1 400 infirmières et infirmiers, a par ailleurs indiqué, lundi 30 mai, le directeur général du groupement hospitalier d'Ile-de-France, Martin Hirsch, alors que les soignants multiplient les appels à l'aide face au manque de personnel.
"Nous, à l'AP-HP par rapport aux autres hôpitaux, notre problème est sur les infirmières (...) On en a 1 000 de moins qu'il y a un an à la même époque, on avait prévu de créer 400 postes supplémentaires, on n'a pas pu les créer, donc il nous manque 1 400 infirmières par rapport à ce que l'on aimerait avoir", a expliqué Martin Hirsch sur la radio France Inter.
"Il y en a qui ont changé de métier, il y en a qui sont partis dans le privé, il y en a qui sont partis en province, il y a en qui ne sont pas venus travailler après la diplomation de l'été dernier (...) et il y en a beaucoup qui utilisent cette drogue douce de l'intérim, qui nous met dans une situation absolument terrible", a-t-il ajouté.
"Le serment d'Hippocrate est bafoué tous les jours"
Samedi, dans un article intitulé "SOS Hôpital public : nos révélations sur les salaires de la honte" et publié par Paris Match, des médecins, infirmiers, kinés et aides-soignants exerçant à l'hôpital Saint-Louis à Paris dévoilent leur feuilles de paie pour alerter sur un système à bout de souffle qui peine de plus en plus à attirer.
"On sort de notre droit de réserve parce que le serment d'Hippocrate est bafoué tous les jours", affirme sur France 24, Jehane Fadlallah, médecin à l'hôpital Saint-Louis.
À l'AP-HP, 15 % des lits restent fermés en moyenne, faute de soignants, a souligné Martin Hirsch sur France Inter, alors que les hôpitaux à travers la France alertent sur le manque de personnel pour cet été dans les services d'urgences.
Pour exemple, le service de pointe en immunologie dans lequel exerce Jehane Fadlallah est lui-même menacé de fermeture, faute de personnel et de moyens. "On a décidé de médiatiser ça parce que les urgences crient à l'aide depuis des années", poursuit-elle, expliquant que son service a été obligé de fermer 9 lits sur 23, soit un tiers de sa capacité.
Même cri de désespoir dans l'Oise où plusieurs dizaines d'élus, soignants et habitants de Senlis ont manifesté samedi pour réclamer la réouverture des urgences, fermées depuis décembre en raison d'une pénurie de médecins.
"Depuis le 13 décembre, le service des urgences et le Smur sont fermés à Senlis, une fermeture qui nous avait été annoncée comme provisoire" mais "qui se prolonge depuis cinq mois. Nous demandons à l'ARS (Agence régionale de Santé) de tenir ses promesses", a expliqué à l'AFP la présidente du comité de défense de l'hôpital de Senlis (CDDHS), Véronique Pruvost-Bitar.
Depuis la fusion de l'hôpital de Senlis et de l'hôpital de Creil, en 2012, Senlis a déjà perdu huit services de spécialités médicales et chirurgicales, déplore-t-elle.
Revaloriser les salaires et titulariser les précaires
Pour Jehane Fadlallah, la revalorisation salariale est indispensable la survie de l'hôpital public. Cette dernière a suivi 16 ans d'études, obtenu deux doctorats, s'est spécialisée dans les maladies cancéreuses rares du sang, et travaille plus de 50 heures par semaine. Son salaire ? Moins de 3 500 euros nets par mois (une infirmière de l'hôpital public touchera, elle, 1 700 euros nets par mois).
"C'est un élément minoritaire de notre vocation, on ne demande à personne de nous remercier d'avoir fait ce choix, déclare Jehane Fadlallah, mais c'est une réponse à Olivier Véran qui a dit que l'hôpital était une question d'organisation et non de moyens, or c'est faux".
L'autre clé pour attirer les personnels, dit-elle, est la titularisation des soignants précaires. Des soignants précaires dont elle fait partie, elle qui est en CDD (contrat à durée déterminée). "Un CDD est normalement voué à durer 12 à 18 mois, mais force est de constater que cela dure, c'est une situation qui s'est pérennisée", dénonce-t-elle, précisant que ces contrats précaires représentent 41 % de la masse salariale de l'AP-HP.
"Avant, quand on était diplômé, on n'avait pas le droit de s'installer comme intérimaire. Intérimaire dans les métiers de santé où il n'y a pas de chômage (...), ça veut dire 'Je fais le choix de travailler quand je veux, quand je peux, payé trois fois plus que les autres'", a commenté Martin Hirsch, qui a qualifié les intérimaires de "mercenaires".
La santé fait partie des trois "urgences" auxquelles le gouvernement doit s'atteler, au côté du climat et du pouvoir d'achat, a indiqué vendredi la Première ministre Élisabeth Borne, à l'issue d'une région à Matignon avec son gouvernement.
Face à la pénurie de personnels dans les hôpitaux, Élisabeth Borne a assuré, à l'issue de cette réunion, avoir demandé aux "ministres concernés" de lui "faire des propositions très rapidement pour prendre des mesures efficaces pour l'été".
Avec AFP