"Une méthode universelle" : rencontre avec Jean-Marc Guillou, pionnier des académies de football
ENTRETIEN
De notre envoyé spécial à Abidjan – Ancien international français, Jean-Marc Guillou est l’un des pionniers de la formation au football en Afrique. Dès 1994, il a créé sa première académie en Côte d'Ivoire, la Mimosifcom autour d'une méthode précise : pieds nus, maîtrise technique, jeu collectif... France 24 s’est entretenu avec lui à Abidjan, 30 ans après la création de sa première école de foot.
Trente ans après la création de sa première académie de football à Abidjan, Jean-Marc Guillou est toujours là. À 78 ans, l'ancien international français, légende du SCO d'Angers, déborde toujours d'énergie et de passion pour la formation des futurs champions du football.
Au fil des années, ses académies ont essaimé partout à travers le monde : en Algérie, au Vietnam, au Mali, à Madagascar, au Ghana... Toutes ont appliqué ses préceptes à la lettre : une détection au plus jeune âge en se basant sur le poids, un apprentissage pied nus, l'accent mis sur la maîtrise technique et le jeu collectif. Du rang de ses académies sont sortis les frères Touré, Kolo et Yaya, Ramy Bensebaini, Youcef Atal ou encore Yves Bissouma et Hamari Traoré.
Le formateur ne rechigne pas à livrer ses anecdotes et ses analyses dans des entretiens fleuves, quitte à s'appuyer sur sa fille Stéphanie, pour retrouver un nom ou un détail. L'interview que ce passionné a accordé à France 24 dans sa maison d'Abidjan a duré un peu plus d'une heure. Morceaux choisis.
• Sur la création de la première Académie en Côte d'Ivoire en 1994
"Je voulais faire une académie en France aussi. Mais en France, c'est impossible. C'est impossible parce qu'il y a tellement de règles et de lois.
Donc je me suis dit : 'Le meilleur endroit pour faire une académie, c'est la Côte d'Ivoire'. Quand je suis allé là-bas, j'ai vu beaucoup de talents qui jouaient mais qu'on ignorait.
Quand je suis venu la première fois, je me suis entouré de gens du pays, dont Lambert Amuah. Malheureusement il est mort il n’y a pas très longtemps.
On a commencé à recruter. Je lui ai expliqué, je lui ai dit : 'On va avec quatre plots et deux ballons. On va faire Treichville, on va faire Marcory, on va faire Koumassi' [des quartiers d'Abidjan, NLDR]... Il y a des endroits où il y avait beaucoup plus de bons joueurs que d'autres.
On a recruté comme ça sept ou huit joueurs d’emblée. On est arrivé à 15-16 joueurs et donc là on a commencé le travail.
J’ai fait une base de données et j’ai tout noté. Ce qui me permettait de voir les progrès de chacun des joueurs ou les arrêts maladies… tout était noté. Ça après, on en a fait une méthode."
• Sur la méthode Guillou et l'importance de la maîtrise des jongles
"On avait trois degrés, il y a toujours trois degrés. Tout ça est resté car c'est la base de notre méthodologie.
Quand on commençait avec les plus jeunes, ils commençaient par les jongles. Ils devaient jongler avec le pied gauche, avec le pied droit, avec l'épaule, les deux épaules, avec la tête, avec les genoux. Et après on associait, par exemple : genou, pieds, tête puis genou. On associait de manière qu'ils fassent un certain nombre [de jongles]. Et s'ils ne faisaient pas le nombre, ils devaient retravailler dans la semaine et présenter ça à la fin de la semaine.
Après, j'ai fait ces exercices d’une manière dynamique, c’est-à-dire en courant. Le principe de faire des jongles, c'est qu'on doit contrôler le ballon. On doit être maître du ballon et ça, c'est vachement important dans le jeu."
• Sur l'importance d'apprendre à jouer pieds nus
"Déjà, il n’y avait jamais de blessure. Après, tous les gestes qu'on fait pieds nus, on n'est pas gêné par le poids d'une chaussure ou par le poids d'un protège tibias, qui ne sont pas très lourds, mais qui gênent quand même. Cela fait que la vitesse d'exécution dans un geste de contrôle, par exemple, est beaucoup mieux faite pieds nus qu'avec des chaussures.
Ne pas jouer pieds nus pour un gamin, c'est perdre beaucoup de temps dans sa progression."
• Sur l'universalité de sa méthode
"Elle est universelle, c'est pour ça que je la défend. On l'a vu au Vietnam, notre manager est devenu sélectionneur des équipes de jeunes à un moment donné. Il n'avait sélectionné quasiment que des académiciens et cette équipe a joué de manière académique et elle gagnait.
Mais surtout, ce qu'elle a gagné, c'était le cœur des supporteurs parce que cette équipe, quand elle jouait, il y avait 50 000 spectateurs et c'est eux qui réunissaient le plus de spectateurs parce que l'équipe jouait bien. Tout ce qui a réussi à Abidjan, a réussi au Vietnam, alors que pourtant physiquement, nous ne sommes pas du tout sur les mêmes joueurs."
• Sur les liens qu'il entretient avec ses anciens élèves
"C'est eux qui gardent le lien car qu'ils voyagent alors que nous, on ne bouge pas. Quelque part, j’ai été leur père pendant pas mal de temps. J’ai fait avec eux comme j’aurais fait avec mes enfants.
On garde des liens et la meilleure preuve, c'est que l'académie du Mali, j’ai dû la financer. Je revenais de Belgique à l'époque, j'avais un peu d'argent et donc j'ai pu financer au départ. Mais après, j’ai cherché des actionnaires pour nous aider. Et où ai-je cherché les actionnaires ? Chez les académiciens. Plusieurs ont dit oui mais n’ont pas suivi. Trois d’entre eux ont suivi."
• Sur son expérience en Algérie
"Cette expérience est venue à moi. Ce n'est pas moi qui fait le choix de l'endroit et du club. C'est Paradou. Paradou nous a demandé de venir faire une académie. Je ne vais pas critiquer les gens avec lesquels j'ai travaillé mais souvent, ces gens-là ne voient pas le football comme nous
Par contre, on avait vraiment de très très bons joueurs et on était très bien perçus par les gens, par les supporters. On était pas loin de 10 000 spectateurs et ça foutait le boxon alors que Paradou, c'était un coin un peu sélect'.
Les gens venaient toujours plus nombreux. Ils voulaient voir que le football, parce que les joueurs jouaient pieds nus. En Algérie, dès qu'un petit fait un truc un peu technique, le monde crie, c'est jouissif ! Au bout d'un moment, la municipalité a interdit qu'on joue parce que ça faisait trop de problèmes...
L'équipe attirait plein de gens et c'était un phénomène. Ils ont fait une tournée en Espagne. Ils ont joué contre Barcelone et ils ont fait au Barça ce que le Barça faisait aux autres équipes. Ils les ont baladé."
• Sur la multiplication des académies de football en Afrique
"Je suis content que mon idée soit reprise.Même ici en Côte d'Ivoire ! Je pense qu'il faudrait que l'on crée une association des académies pour être plus forts vis à vis de la Fédération.
C'est un problème récurrent en Afrique et c'est très embêtant. Il n'y a que des types qui ne connaissent pas le foot, qui arrivent parce qu'ils sont plus des gens qui connaissent le pays, les politiques, les ministres... Donc ils arrivent [aux commandes] sans savoir ce que c'est le foot."
• Sur la place de Didier Drogba dans le football ivoirien
"Il a marqué le foot, tout comme Yaya [Touré] a marqué sa période. C’est un joueur qui a fait une grande carrière, on ne peut pas le nier.
Moi, j'aurais bien aimé qu'il soit le président de la fédération [ivoirienne de football]. J'aurais bien aimé qu'il le soit, parce que c'est l'avenir du foot. L'avenir du foot, ce sont des gens qu'il le comprennent. Et pas des présidents qui arrivent, qui ont d'autres sociétés dont ils s'occupent.
Non. L'avenir du foot, c'est de mettre à la tête des fédérations des anciens joueurs de qualité, qui ont un cerveau qui ne marche pas trop mal. Et puis qu'ils choisissent des entraîneurs ou des gens compétents. C'est ça l'avenir du foot en Afrique. Sinon, l'Afrique ne gagnera jamais une Coupe du monde."