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Réseaux d'influence chinois : une stratégie "contreproductive" et "maladroite", affirme un spécialiste lui même ciblé par la Chine

L'Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) publie un rapport sur les réseaux d'influence chinois dans le monde, notamment via internet et les réseaux sociaux. Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), salue un travail "extrêmement complet et fouillé". La stratégie de la propagande chinoise "est non seulement contreproductive", mais "est parfois extrêmement maladroite", juge lundi 20 septembre sur franceinfo Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), enseignant à Sciences-Po Paris et spécialiste de la Chine. L’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), un organisme parapublic, publie un rapport de 650 pages, d’une ampleur sans précédent, sur les réseaux d’influence de la Chine dans le monde. On y apprend, notamment, que Pékin paye des millions de personnes pour propager sa propagande sur les réseaux sociaux. "Il y a un activisme chinois de plus en plus explicite", indique-t-il. franceinfo : Êtes-vous surpris du contenu de ce rapport ? Antoine Bondaz : Aucune surprise puisque cela fait déjà plusieurs années que des chercheurs travaillent sur ces questions, y compris en France. Il faut reconnaître que ce rapport est excellent puisqu'il extrêmement complet et fouillé. C'est la première fois en France qu'il y a cette capacité, de façon systématique, à démonter les efforts et les stratégies d'influence chinoise. Le cas d'étude qui est choisi, celui de la France, est effectivement extrêmement intéressant et il doit pousser, que ce soient les citoyens, les journalistes, les responsables politiques, à prendre conscience de l'ampleur du problème et à essayer de trouver des solutions. La Chine met en place des opérations séduction et, parfois, devient très agressive. Est-ce une stratégie délibérée ? Ce sont les deux "jambes" de la stratégie d'influence chinoise. D'un côté, elle utilise des relais à l'étranger, et notamment en France, qui vont pousser les éléments de langage du parti. Et de l'autre, elle essaye d'intimider, de faire peur. On l'a vu notamment cette année avec certaines critiques extrêmement fortes et diffamatoires contre des journalistes, contre des responsables politiques et même des chercheurs. Vous-même vous avez été insulté par l'ambassade de Chine en mars dernier, dans une série de tweets vous qualifiant de "petite frappe" et de "hyène folle". Est-ce typique de sa stratégie de communication ? Je ne sais pas si c'est typique. Ce qui s'est passé au printemps est spécifique puisque ce n'était pas arrivé dans d'autres pays. En tout cas, pas en visant aussi explicitement un chercheur et au final, sans aucun argument, sans aucun élément. Ce qui est très important, et c'est parfaitement expliqué dans le rapport, c'est qu'on voit bien que cette stratégie est non seulement contreproductive, mais qu'elle est parfois extrêmement maladroite puisqu'elle crée des effets inverses de ce qui est recherché. Et c'est notamment encore une fois, ce qui s'est passé au début de cette année avec les attaques que j'ai subies. Les réseaux sociaux sont-ils un moyen idéal pour répandre sa stratégie ? Effectivement, on voit qu'il y a depuis plusieurs années une réflexion en Chine sur l'utilisation notamment des réseaux sociaux et des grands moyens de communication. Le choix a été fait, notamment à l'été 2019, d'investir massivement sur ses réseaux sociaux et notamment Twitter. Le nombre de comptes Twitter associés à la diplomatie chinoise a été multiplié par trois entre juillet 2019 et juillet 2020. On a vu l'activité du compte Twitter de l'ambassade de Chine en France être multipliée par 10, par exemple, entre décembre 2019 et mai 2020. Ce qui est clair, c'est qu'il y a un activisme chinois de plus en plus explicite, encore une fois souvent contreproductif. Plusieurs millions de Chinois sont payés pour propager la propagande de Pékin, est-ce une force de frappe inégalable ? C'est peut-être inégalable en termes d'effectifs, mais c'est évidemment valable en termes de qualité. L'objectif, c'est d'identifier cette désinformation et cette tentative d'influence et de contre-argumenter. Il est évidemment important de déconstruire ces éléments de langage, de rappeler des faits extrêmement concrets afin de convaincre la population que non seulement il y a bel et bien ces stratégies d'influence, mais qu'il faut effectivement prendre des mesures autres. C'est par exemple ce qui va se passer dans les semaines qui viennent, lorsque les parlementaires français, des sénateurs, vont se rendre à Taïwan. Cela sera évidemment critiqué par l'ambassade de Chine. Ces délégations parlementaires à Taïwan sont extrêmement courantes. Elles ne remettent en rien en cause le statu quo entre la France, la Chine et Taïwan. Et ceux qui, aujourd'hui, veulent essayer de changer ce statu quo, c'est avant tout l'ambassade de Chine, par exemple en essayant d'empêcher ces délégations. La Chine ne préfère-t-elle pas être crainte que d'être aimée ? Effectivement, le régime politique chinois a parfaitement compris que dans les pays développés, l'image de la Chine s'effondrait depuis plusieurs années. En cela, la pandémie n'a été qu'un révélateur à une tendance qui préexistait. Le choix désormais n'est donc pas tant de séduire que d'intimider, à l'étranger, mais aussi en Chine. Il est fondamental de vanter les mérites du système de gouvernement chinois tout en essayant de discréditer les systèmes de gouvernance étrangers, que ce soit sur la question de la gestion de la crise sanitaire, sur la question de l'Afghanistan et demain, on le verra, des sous-marins avec l'Australie. La Chine va essayer toujours la même chose : discréditer, décrédibiliser les Occidentaux.

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