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Quand l’ambassade de Chine se déchaîne contre un chercheur français

Le spécialiste français de la Chine, Antoine Bondaz, est dans le collimateur de l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye. Il a été traité de “petite frappe” et de “hyène folle”, après avoir fait un commentaire sur Taïwan. Il revient, pour France 24, sur cette situation inédite. Il est le premier universitaire à subir personnellement l’ire d’un ambassadeur chinois. Antoine Bondaz, spécialiste français de la Chine et de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, lui-même non avare de critique envers Pékin sur Twitter, a été qualifié de “petite frappe”, de “troll idéologique” et de “hyène folle” ces derniers jours. Ce déluge de mots doux a commencé sur Twitter vendredi 19 mars. Le chercheur français a, d’abord, eu droit à un “petite frappe” en réponse à un message dans lequel il soulignait le feu vert du Quai d’Orsay à une visite de parlementaires français à Taïwan. Un sujet non seulement des plus sensibles pour Pékin, qui considère Taïwan comme une partie intégrante de la Chine et voit d’un très mauvais œil toute initiative tendant à légitimer l’autonomie taïwanaise. De plus Antoine Bondaz a lancé, dans son tweet, un “un gros, gros bisous à vous qu’ainsi qu’à vos trolls”, en réference aux nombreux comptes Twitter pro-Pékin dont l’activité principale consiste à amplifier le message des autorités chinoises. Cette familiarité n'a visiblement pas plu à Lu Shaye, l'ambassadeur de Chine en France. Le quotidien Global Times s’en mêle   À la suite de ce premier échange, Antoine Bondaz, un spécialiste reconnu de la Chine et de la péninsule coréenne qui intervient régulièrement sur France 24, a reçu de nombreux soutiens de personnalités dénonçant le ton fort peu diplomatique adopté par l’ambassade chinoise. “Rarement a-t-on vu des diplomates faire autant de tort à l’image de leur pays. Brutale, grossière, voilà la Chine que vous montrez“, a, par exemple, estimé Nathalie Loiseau, députée européenne LREM et ancienne secrétaire d’État chargée des affaires européennes d’Emmanuel Macron.  Peu impressionnés par ce front pro-Bondaz, les diplomates chinois en France ont décidé de jouer la carte de la surenchère. Dans un long communiqué, publié dimanche 21 mars, l’ambassade assure être la victime d’un “harcèlement” constant du chercheur français. Elle n’aurait fait que répondre aux “provocations” de cette “hyène folle”. Ils l’accusent aussi d’être un “troll idéologique”, à l’impartialité toute relative qui se “prosterne” devant les autorités taïwanaises.  Mais Twitter n’a pas suffi à Pékin pour exprimer sa “répugnance” à l’encontre d’Antoine Bondaz. Le quotidien chinois Global Times s’est emparé du sujet dans son édition anglophone, lundi 22 mars, donnant à l’affaire une dimension internationale. Le chercheur français y est dépeint comme “un extrémiste” épousant la propagande anti-chinoise des faucons américains.  Contacté par France 24, Antoine Bondaz note qu’il “était prévisible que travailler sur des sujets sensibles pour les autorités chinoises, comme Taïwan, m’exposerait un jour ou l’autre à des attaques”. Le chercheur dirige, en effet, le programme “Taïwan, sur la sécurité et la diplomatie” de la Fondation pour la recherche stratégique depuis janvier 2021. Un ambassadeur peu diplomatique ? Ce serait d’autant plus prévisible que l’ambassadeur Shaye Lu passe pour être l’un des plus fervents promoteurs de la diplomatie des “loups soldats”. Ce concept désigne l’attitude menaçante et agressive adoptée par une partie de la jeune garde diplomatique du président chinois Xi Jinping.  Le diplomate, en poste en France depuis 2019, s’était déjà fait connaître pour son “franc parler” lorsqu’il était ambassadeur de Chine au Canada. Il y avait géré la crise déclenchée par l’arrestation de ladirectrice financière de Huawei sur le sol canadien, en 2018, en multipliant les sorties incendiaires. Il avait notamment accusé des médias locaux de relayer  “le suprémacisme blanc”, suggérant que la dirigeante chinoise n’était pas traitée avec les mêmes égards qu'envers les ressortissants “occidentaux”.  Depuis son arrivée en France, il a aussi été convoqué par le ministère des Affaires étrangères, en avril 2020, pour une sortie sur le personnel des Ehpadqui aurait “abandonné leur poste” en pleine épidémie de Covid-19. Le diplomate s’est ensuite défendu en assurant que ces propos ne visaient pas la France. L’ambassade chinoise en France a d’ailleurs assumé le ton agressif employé à l’encontre d’Antoine Bondaz en faisant une référence à peine voilée aux “loups soldats” dans l’un de ses tweets. “Il y a des gens qui souhaitent voir la diplomatie chinoise devenir une diplomatie d’’agneaux’, qui encaisse les attaques sans broncher. Cette époque est bel et bien révolue !”, pouvait-on lire sur le fil twitter de l’ambassade, lundi matin. Mais pour Antoine Bondaz, ces attaques sont d’une autre nature que les traditionnelles sorties des “loups soldats” de Xi Jinping. “Aucune autre ambassade chinoise en Europe n’est allée aussi loin, car il ne s’agit pas seulement de l’affirmation musclée des intérêts chinois, mais d’une tentative d’imposer les sujets qui peuvent ou non être discutés sur la place publique”, affirme-t-il. Certains responsables politiques jugent même que le Quai d’Orsay devrait se saisir de cette affaire. “Cher Jean-Yves Le Drian [ministre des Affaires étrangères], ne laissez pas passer cela, ce serait lâche et dangereux”, a affirmé François-Xavier Bellamy, député européen du Parti populaire européen (conservateur), sur Twitter. Contacté par France 24, le ministère des Affaires étrangères n’a pas commenté cette polémique. Tout comme l’ambassade de Chine en France. Elle n’a pas donné suite, à l’heure où cet article est publié, aux multiples sollicitations de France 24.   Ces attaques très personnelles contre le chercheur français interviennent aussi dans un contexte diplomatique tendu entre la Chine et les pays européens. Après l’annonce, lundi 22 mars, de sanctions économiques européennes contre la Chine pour sa politique à l’égard de la minorité musulmane des Ouïghours, Pékin a rétorqué en imposant des sanctions contre dix ressortissants européens. Le chercheur français n’apparaît pas sur cette liste d’individus interdits d’entrer sur le sol chinois… et devra se contenter des sobriquets de “troll idéologique” et “hyène folle”.

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