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Rapatriement d’enfants de jihadistes : la fin de la doctrine française du "cas par cas" ?

Des femmes et des enfants font la queue pour recevoir une aide humanitaire dans le camp d'Al-Hol en Syrie, le 18 août 2021. La France a effectué pour la première fois mardi un rapatriement massif de mineurs en incluant les mères de ces enfants de jihadistes ayant combattu pour l’Organisation État islamique en Syrie. Une entorse à la doctrine française du “cas par cas” qui laisse entrevoir un infléchissement de la ligne dure adoptée par Paris, espère les associations de défense des droits humains. C’est la plus grande opération de rapatriement menée par les autorités françaises depuis la chute du dernier bastion de l’organisation État islamique en 2019. Le ministère français des Affaires étrangères a annoncé mardi 5 juillet le retour sur le sol national de 35 mineurs et de 16 mères présents dans des camps de prisonniers jihadistes du nord-est syrien gérés par les forces kurdes. Ce rapatriement marque une évolution notable dans la doctrine française "du cas par cas" adoptée par Paris. Tout d’abord, le nombre d’enfants rapatriés est exceptionnellement élevé. La dernière opération, qui remontait à janvier 2021, n’avait concerné que sept enfants. Autre élément qui plaide en faveur d’un revirement de Paris sur ce dossier : la présence d’une partie des mères de ces mineurs. Jusqu’à maintenant, Paris ne consentait qu'à rapatrier les orphelins ou les enfants dont la mère avait accepté de renoncer à ses droits parentaux.   "La France opère enfin un virage à 180 degrés. C’est une lumière au bout du tunnel qui s’allume", a réagi sur l’antenne de France 24, Albert Doguet, dont la fille est retenue dans un camp en Syrie mais n’est pas concernée par cette opération. "C’est un changement de cap qu’il faut saluer. Il est tardif mais c’est un bon début", affirme Patrick Baudoin, le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). "Il y a une prise de conscience de la nécessité de se conformer à ses engagements internationaux et au respect élémentaire de l’Humanité". "C’est une bonne nouvelle mais on reste un peu au milieu du gué car il manque l’annonce politique qui aurait pu inscrire ce rapatriement dans la fin du cas par cas", regrette Raymonde Poncet, sénatrice écologiste, auteure d’une question écrite fin juin sur la question. Pressions internationales Très critiquée pour sa ligne dure, la France a été rappelée à l’ordre à plusieurs reprises par des instances nationales et internationales ces dernières années, dont le Comité des droits de l’enfant de l’ONU au mois de février. "Les enfants vivent dans des conditions sanitaires inhumaines, manquent des produits de première nécessité, notamment l'eau, la nourriture et les soins de santé, et font face à un risque imminent de mort", avait expliqué Ann Skelton, un membre du Comité. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), saisie par plusieurs familles, doit se prononcer prochainement sur la position adoptée par Paris. "La France a conscience d’un risque de condamnation et plutôt que de s’exposer à ce risque, elle préfère prendre les devants", analyse l’avocat Vincent Brengarth du cabinet Bourdon et associés, en pointe sur ce dossier. Au niveau européen, la France apparaissait également de plus en plus isolée. Ainsi, la Belgique, le Danemark, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas et l’Allemagne ont tous décidé de rapatrier l’ensemble des enfants et des mères. Fin juin, Bruxelles a par exemple rapatrié la quasi-totalité de ses ressortissantes de Syrie. L’agenda électoral français offre aussi une clé de compréhension à ce revirement de l’Élysée. "Emmanuel Macron entre dans son dernier mandat donc il joue beaucoup moins politiquement", assure Vincent Brengarth. "Il n’est peut-être pas exclu que le changement de ministre des Affaires étrangères soit aussi pour quelque chose dans cette évolution car Jean-Yves Le Drian s’est montré particulièrement réfractaire a toute prise en compte d’éléments d’humanité élémentaires", estime Patrick Baudoin. En France, la question du rapatriement des familles de jihadistes est longtemps restée explosive sur le plan politique, rappelle le journaliste de France 24, James André. "Les attentats les plus meurtriers de ces dernières années ont été commis sur le sol français. Par ailleurs, la France est le pays dont le plus de ressortissants se sont rendus dans la zone irako-syrienne pour rejoindre le califat autoproclamé de l’organisation État islamique". Selon les estimations, environ 1 700 Français ont rejoint les rangs de l’organisation État islamique en Syrie depuis 2014 contre 760 Britanniques ou encore 470 Belges. Mais pour la sénatrice Raymonde Poncet, les réticences du gouvernement à rapatrier les enfants et les femmes de jihadistes démontrent "un manque de courage politique. "Si on explique à la population française qu’il faut juger les mères et protéger les enfants, je suis persuadée que l’opinion publique suivra". Vers de nouveaux rapatriements ? Enfin, l’évolution de la position française pourrait s’expliquer par une meilleure capacité d’accueil des détenues radicalisées. "Un nouveau quartier d’évaluation de la radicalisation a récemment ouvert à Rennes. La France a donc les moyens de judiciariser ces femmes et de les incarcérer dans des conditions qui permettent d’envisager à terme une réinsertion", précise James André. Dans ces conditions, faut-il s’attendre à d’autres rapatriements d’envergure dans les prochains mois ? "Je reste prudent mais je vois mal maintenant comment la France pourrait procéder différemment", glisse Patrick Baudoin de la LDH. >> À voir : Pascale Descamps : "On laisse ma fille mourir à petit feu en Syrie" "ll faut maintenant rapatrier l’ensemble de ces enfants qui vivent dans des conditions dramatiques depuis des années. Il s’agit d’une position politique car juridiquement tout oblige au rapatriement", assure Marc Bailly, avocat de familles d'enfants partis en Syrie. "Les masques sont définitivement tombés. On a beaucoup prétexté des éléments opérationnels qui empêchaient un rapatriement massif de ces familles. On voit aujourd’hui que l’État a les capacités d’agir et on ne voit pas ce qui pourrait justifier une rupture d’égalité entre les familles rapatriées et les autres", assure Vincent Brengarth.   Selon les estimations, environ 80 femmes de jihadistes et 200 enfants français étaient encore détenus dans les camps du nord-est de la Syrie, avant le rapatriement de mardi. "Désormais, le gouvernement doit aller vite. Chaque jour compte pour ces enfants français", plaide Raymonde Poncet. "Aujourd'hui, un enfant de cinq ans ne peut pas représenter une menace".

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