Procès de Nordahl Lelandais : le mobile du meurtre de Maëlys et les soupçons de violences sexuelles au cœur d'une audience "hors norme"
Déjà condamné à vingt ans de réclusion pour le meurtre du caporal Arthur Noyer, Nordahl Lelandais est jugé par la cour d'assises de l'Isère à partir du 31 janvier pour celui de Maëlys de Araujo, âgée de 8 ans.
"Il s'agira d'un procès hors norme", prévoit l'avocat de la famille de Maëlys de Araujo, Me Fabien Rajon. Nordahl Lelandais est jugé par la cour d'assises de l'Isère, à partir du lundi 31 janvier, pour l'une des affaires les plus médiatiques de ces dernières années : l'enlèvement, la séquestration et le meurtre de Maëlys de Araujo, 8 ans, dans la nuit du 26 au 27 août 2017, lors d'un mariage à Pont-de-Beauvoisin (Isère).
L'ancien maître-chien de 38 ans campe sur sa version d'un homicide involontaire, comme lors de son procès à Chambéry (Savoie) pour le meurtre d'Arthur Noyer. Pendant les audiences, l'ombre de Maëlys n'avait cessé de planer, les faits s'étant déroulés à quelques mois d'écart. Déjà condamné à 20 ans d'emprisonnement, l'accusé risque cette fois-ci la réclusion criminelle à perpétuité.
De ces deux semaines de procès, l'entourage de Maëlys attend aussi des explications. Quatre ans et demi après la mort de la fillette, le mobile du crime constitue la principale zone d'ombre sur laquelle ce procès devra faire la lumière. Deux interrogations sont jusqu'ici restées sans réponse : Nordahl Lelandais a-t-il violé la petite fille ? A-t-il prémédité son acte ?
Les parents de Maëlys en sont convaincus. Ils ont tout fait pour que les juges d'instruction retiennent les chefs d'accusation de "viol" et "assassinat" à l'encontre de Lelandais. Sur le chef de viol, le parquet avait émis de multiples réquisitions pour demander la mise en examen de Nordahl Lelandais auprès de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Grenoble, toutes rejetées. L'intéressé a finalement bénéficié d'un non-lieu. La découverte du corps de Maëlys, six mois après sa disparition, a été trop tardive pour que les experts scientifiques puissent estimer si l'enfant avait été violée ou non. Le mis en cause n'a de plus jamais reconnu la moindre agression sexuelle sur la petite fille.
"Un contexte de frustration sexuelle"
L'enquête a toutefois montré que Nordahl Lelandais s'était par ailleurs livré à des violences sexuelles sur d'autres victimes. Il a ainsi été révélé qu'il s'était filmé en train d'agresser sexuellement deux petites-cousines de six et quatre ans dans leur sommeil. Ces vidéos ont été tournées quelques semaines avant la mort de Maëlys, à l'été 2017. Mis en examen pour ces faits, le trentenaire a avoué en être l'auteur et déclaré que ces images avaient été filmées dans le but d'être revisionnées. Une troisième cousine, âgée de 14 ans au moment des faits, a également raconté avoir subi des attouchements de sa part, en mars 2017. Il a été mis en examen par une juge de Charleville-Mézières (Ardennes) pour ces faits.
L'analyse du contenu des téléphones portables de l'ancien militaire a par ailleurs montré qu'il avait consulté des sites pédopornographiques peu avant le meurtre de l'enfant, en 2017. L'une de ses anciennes compagnes avait par ailleurs affirmé avoir retrouvé chez lui "un post-it mentionnant un site internet qui donnait accès à des vidéos à caractère pédopornographique", écrit Le Parisien.
Une expertise psychiatrique menée par deux professeurs spécialisés en criminologie à la toute fin de l'instruction dresse le portrait d'un tueur violent aux tendances pédophiles. Révélées par Le Parisien, leurs conclusions sont sans appel : "En dépit des dénégations du sujet, l'étude du dossier apporte de nombreux arguments en faveur d'un diagnostic de pédophilie (attirance pour les enfants prépubères)."
Les experts décrivent aussi "un comportement violemment agressif et impulsif dans un contexte de frustration sexuelle". Ce point a son importance car la nuit de la mort du caporal Noyer et de celle de Maëlys, Nordahl Lelandais avait sollicité des relations sexuelles avec plusieurs partenaires : l'une avait refusé, l'autre n'était pas joignable. Cette intolérance à la frustration sexuelle pourrait avoir joué pour beaucoup dans son passage à l'acte.
"Est-ce que je croirai ce qu'il va dire ?"
A son procès pour le meurtre d'Arthur Noyer, le sujet était déjà central. Mais l'accusé n'a jamais cédé, malgré un interrogatoire de près de quatre heures et l'insistance de son propre avocat, Me Alain Jakubowicz. "S'il y a un mobile sexuel, cela ne change rien sur la qualification pénale. Est-ce que tu as autre chose à dire, un complément ?" lui avait-il demandé, suscitant un dernier espoir de voir la vérité éclater. Nordahl Lelandais était resté figé dans sa version initiale. "Ce que j'ai dit, c'est ce qu'il s'est passé. Il n'y a rien de sexuel, rien du tout", avait-il répondu.
Difficile d'imaginer que la douleur des parents de Maëlys suffise à le faire parler. Ceux-ci ne se font guère d'illusions. "Depuis le début de cette affaire, ils prennent avec beaucoup de recul les déclarations de l'accusé, à raison me semble-t-il", glisse leur avocat à franceinfo. "J'aimerais qu'il me dise les derniers mots qu'elle a dits. Après, est-ce que je vais croire tout ce qu'il va me dire ? Ça, c'est autre chose", a déclaré la mère de Maëlys sur France 2.
Lors de son réquisitoire, l'avocate générale avait émis deux hypothèses quant au refus de l'accusé d'admettre l'intention d'une relation sexuelle avec Arthur Noyer. "Peut-être, comme le disait un psychiatre, par peur inconsciente d'un effondrement psychique interne, par autoprotection ? Ou alors, plus prosaïquement, parce que s'il le reconnaît dans le premier procès, il sera contraint de le reconnaître au cours du procès Maëlys", avait-elle avancé.
"Il ne peut pas soutenir la thèse de l'accident"
Des aveux au premier procès auraient constitué un précédent de taille pour Nordahl Lelandais qui arrive déjà fragilisé par sa première condamnation. "Nous jugerons un accusé dont il est avéré qu'il a déjà tué, puisqu'il a été condamné définitivement et n'a pas fait appel de cette décision", rappelle Fabien Rajon. En conséquence, "il ne pourra plus se présenter comme présumé innocent", note également Bernard Boulloud, l'avocat de la famille Noyer.
"Je vois mal comment il va pouvoir s'en sortir avec la même défense qu'à Chambéry. Il ne peut pas soutenir la thèse de l'accident avec une enfant de huit ans. Tout ce qu'il peut faire, c'est implorer la clémence de la cour d'assises en faisant son mea culpa. Mais en est-il seulement capable ?" interroge-t-il.
Sans compter la pression médiatique, plus intense encore dans l'affaire Maëlys. Le premier procès et la période d'instruction ont déjà fait l'objet d'une large couverture, qualifiée par l'avocat de l'accusé, Alain Jakubowicz, de "mise en condition de l'opinion publique" avant le verdict. La famille et les deux avocats successifs de l'accusé ont par ailleurs fait l'objet d'insultes et de menaces.
Pour cette nouvelle échéance, la cour d'appel de Grenoble se prépare depuis un an et demi, avec un objectif clair : garantir la plus grande "sérénité possible pour toutes les parties prenantes", explique la première présidente de la cour d'appel de Grenoble, Pascale Vernay, à franceinfo. A Chambéry, 120 journalistes étaient accrédités pour le premier procès de Nordahl Lelandais. "Nous en attendons au moins 150", anticipe-t-elle.
Cette session d'assises exceptionnellement longue devait initialement se tenir jusqu'au 11 février. Elle a été allongée d'une semaine à la demande des avocats, qui souhaitent citer plus de témoins que prévu. Le procès du meurtre de la petite Maëlys devrait en outre porter une lourde charge émotionnelle. Me Fabien Rajon explique avoir préparé les parents à "affronter cette épreuve sur tous les plans : juridiques, médiatiques et psychologiques". "Je tiens aux parents de Maëlys un langage de vérité et sans détour. Ces assises constituent avant tout une terrible épreuve dans leurs vies déjà frappées par le deuil."