McKinsey, l'affaire qui ranime la campagne présidentielle
ÉLYSÉE 2022
À l'approche de la présidentielle, le camp Macron tente de déminer la polémique sur le recours jugé abusif aux cabinets de conseil, notamment McKinsey, épinglé mi-mars par un rapport sénatorial. Pour les adversaires du président-candidat, l'affaire est le symbole de sa connivence avec les milieux d'affaires.
Pris dans la tempête "McKinsey", l'exécutif se défend comme il le peut, à moins de deux semaines de la présidentielle. Le recours aux cabinets de conseil est "habituel et utile", ont martelé deux ministres lors d'une longue conférence de presse, mercredi 30 mars. Pas de quoi éteindre néanmoins la polémique grandissante sur le cabinet McKinsey & Company épinglé par un rapport sénatorial soulignant un "phénomène tentaculaire".
Le texte, remis le 16 mars par la commission d'enquête du Sénat, dénonce la "dépendance" du gouvernement actuel aux cabinets de conseil et l'optimisation fiscale pratiquée par l'entreprise américaine. Les dépenses de conseil des ministères sont ainsi passées de 379,1 millions d'euros en 2018 à 893,9 millions d'euros en 2021.
"Le fiasco de la mission de McKinsey sur l'avenir du métier d'enseignant", "la répartition des contrats pendant la crise sanitaire" ou le recours au cabinet McKinsey malgré les doutes sur sa situation fiscale sont autant d'exemples d'une "opacité" qui renforce le "climat de défiance", déplorent les sénateurs de la commission d'enquête dans un communiqué. France 24 revient sur cette polémique que d'aucuns surnomment déjà le “McKinseygate” et qui arrive au pire moment pour Emmanuel Macron, candidat à sa réélection.
Le 4 janvier 2021, le site Politico publie un article intitulé "Sluggish coronavirus vaccination rollout poses risks for Macron" ("la lenteur du déploiement de la vaccination contre le Covid-19, un risque pour Macron"). On y apprend que certains aspects de la stratégie vaccinale mise en place par le gouvernement de Jean Castex ont été confiés à des cabinets de conseil, dont l’Américain McKinsey. D’autres comme Accenture, Citwell et JLL sont également cités. Le Canard enchaîné et Mediapart font également des révélations.
Le cabinet de conseil américain, surnommé "La Firme", est présent dans une soixantaine de pays. En France, ses bureaux sont basés à Paris et à Lyon. McKinsey fournit du conseil et des recommandations à des acteurs privés et publics sur des thématiques diverses. Du conseil dont le gouvernement Castex aurait usé et abusé, comme le souligne le rapport sénatorial publié le 17 mars. "Le recours aux consultants constitue aujourd'hui un réflexe", peut-on lire dans le document, ces cabinets étant, selon les sénateurs, "au cœur des politiques publiques". Au total, rien que pour l'année 2021, ces dépenses de conseil des ministères ont atteint 893,9 millions d'euros.
APL, Covid-19... Quelles réformes sont concernées ? Le gouvernement aurait notamment fait appel à McKinsey pour la réforme du mode de calcul des APL (3,8 millions d'euros), la gestion de la campagne vaccinale contre le Covid-19 (12,3 millions d'euros) ou encore l'organisation d'un colloque international commandé par l'Éducation nationale (496 800 euros), finalement annulé à cause de la pandémie.
La très décriée réforme des retraites est elle aussi concernée. Un rapport en vue de la préparer a été réalisé pour 950 000 euros avant qu'elle ne soit finalement reportée.
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Outre la pertinence et l'utilité de ces contrats, fortement contestées par l'opposition depuis la publication du rapport, c'est la fiscalité du groupe qui est pointée du doigt, les sénateurs allant jusqu'à évoquer un "exemple caricatural d'optimisation fiscale".
Si le cabinet McKinsey est bien assujetti à l'impôt sur les sociétés (IS) en France, "ses versements s'établissent à zéro euro depuis au moins dix ans" (entre 2011 et 2020), pointe le rapport. Pourtant, "son chiffre d'affaires sur le territoire national atteint 329 millions d'euros en 2020, dont environ 5 % dans le secteur public, et qu'il y emploie environ 600 salariés".
Dans un article publié mercredi, Le Canard enchaîné ajoute que les "redevances très élevées que McKinsey France verse à la maison mère" auraient dû alerter la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Également appelées "prix de transfert" (prix des transactions réalisées entre sociétés d’un même groupe mais résidentes d’États différents), ces redevances sont, "en principe, strictement contrôlées par la DGFiP". Mais dans le cas du cabinet McKinsey, ni "accord préalable de la DGFiP", ni "document de synthèse de quatre pages" n'expliquent comment la société effectue ses calculs.
"McKinsey utilise un mécanisme d'optimisation fiscale prisé de bien des multinationales : la déclaration des 'prix de transfert' de ses entités en France à la société mère basée au Delaware, un paradis fiscal", dénonce Oxfam France. Pour l'ONG, "le cabinet fait en sorte que de nombreuses dépenses comme les frais d’administration générale ou la mise à disposition de personnels apparaissent comme des charges dans les comptes de la société et lui permettent de réduire ses impôts sur les sociétés jusqu’à zéro".
Selon l'enquête du quotidien Le Monde, McKinsey ne paierait ainsi qu'un forfait fiscal symbolique de 175 dollars par an.
Face au scandale, McKinsey a dit respecter "l'ensemble des règles fiscales et sociales françaises applicables" et dit avoir payé l'impôt sur les sociétés "les années où le cabinet a réalisé des bénéfices en France". C'est d'ailleurs ce qu'assurait le dirigeant d'une filiale française dans une audition réalisée en janvier dernier sous serment – et évoquée dans le rapport sénatorial.
Vendredi 25 mars, le Sénat a annoncé avoir saisi la justice pour "suspicion de faux témoignage".
Les liens entre l’actuel chef de l’État et le cabinet de conseil sont pointés du doigt dans l'enquête du Monde.
Plusieurs consultants ou anciens consultants du cabinet qui avaient participé bénévolement à la campagne du candidat Macron en 2017 ont ensuite intégré des postes au sein de la Macronie, selon le quotidien.
Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, est passé à l'offensive dimanche afin d'éteindre toute polémique. Il a notamment réaffirmé que le recours aux cabinets de conseil existait sous les mandats de Nicolas Sarkozy et François Hollande, et qu’il entrait dans le strict cadre de la procédure légale d’appels d’offre.
"Il n’y a aucun contrat qui est passé dans la République sans qu’il respecte la règle des marchés publics : mise en concurrence, transparence, responsabilité de celles et ceux qui signent…", a-t-il déclaré, dimanche 27 mars, sur France 3. "On a l’impression qu’il y a des combines, c’est faux. Il y a des règles de marchés publics. La France est un pays de droit", a-t-il insisté. Que des ministères, qui sont "jour et nuit au travail", s’appuient sur "des prestataires" pour les aider, "ne me choque pas".
En réponse aux craintes d'une dépendance des pouvoirs publics envers certains cabinets de conseil, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, a quant à elle rappelé, lors d'une conférence de presse tenue mercredi, qu'"aucun cabinet de conseil n'a décidé d'aucune réforme et la décision revient toujours à l'État".
"Nous ne nous sommes pas dessaisis de nos responsabilités", a-t-elle dit, précisant que la pratique est "répandue", "habituelle" et "utile" dans la "majorité des cas".
Le cabinet McKinsey représente 5 % des dépenses de conseil en stratégie de l'État, a détaillé le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt. Et le gouvernement représente de son côté 5 % du chiffre d'affaires de McKinsey, a-t-il ajouté.
"La situation fiscale de McKinsey est protégée par le secret fiscal, nos services ont diligenté une opération de contrôle à la fin de l'année 2021", a-t-il encore affirmé, se refusant à commenter l'issue ou les conséquences possibles de ce contrôle. "Il n'y a rien à cacher."
Rien à cacher, mais des ajustements à opérer, concède Amélie de Montchalin. Si "l'État assume parfaitement de recourir à des cabinets de conseil dans certaines circonstances", il admet que des améliorations sont nécessaires, affirme la ministre.
Cette dernière veut "réarmer l'État pour renforcer les compétences internes" et prévoit dès 2022 de "réduire d'au moins 15 % le recours aux prestations de conseil externe".
Avec AFP