Le 13-Novembre de Natalia et Gabriel, concierges d’un immeuble voisin du Bataclan : "On n'oublie pas les victimes et la solidarité ce soir-là"
Le 13-Novembre de Natalia et Gabriel, concierges d’un immeuble voisin du Bataclan : "On n'oublie pas les victimes et la solidarité ce soir-là"
Alors que s’ouvre mercredi le procès des attentats du 13-Novembre, franceinfo a rencontré Natalia et Gabriel, un de ces couples de concierges du quartier du Bataclan, dans le 11e arrondissement de Paris, qui gardent cette soirée gravée en mémoire.
Natalia et Gabriel sont un couple de quadragénaires. Elle est d'origine portugaise. Lui a grandi au Pakistan. Ils sont installés dans leur petite loge de la rue Oberkampf, à Paris, depuis plus de 10 ans. C'est à quelques mètres de la salle de concert du Bataclan. Le procès des attentats du 13-Novembre qui ont fait 130 morts, des centaines de blessés en 2015 s'ouvre mercredi 8 septembre à Paris, à l'ancien Palais de Justice, sur l'île de la Cité. Un évènement judiciaire qui replonge beaucoup de Parisiens dans les souvenirs douloureux de cette soirée mais également dans ceux d'une grande solidarité. Parmi ceux qui la symbolisent, il y a, comme Natalia et Gabriel, les concierges du quartier Oberkampf dans le 11e arrondissement, secteur du Bataclan, qui ont ouvert leurs portes, accueilli les survivants en fuite parfois grièvement blessés.
Natalia et Gabriel ont été décorés de la médaille de la Ville de Paris qui a salué le courage et la solidarité dont ils ont fait preuve le soir du 13-Novembre. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)
Le soir des attaques, Gabriel regarde à la télévision le match de football France-Allemagne. Natalia, elle, doit aller boire un verre au Bataclan café avec leur fille de 17 ans. La jeune fille veut se maquiller. Elle tarde. Cette coquetterie lui a peut-être sauvé la vie.
À 21h50, les deux femmes, prêtes à partir, avancent vers leur porche et voient une foule paniquée affluer dans leur rue. "Il y a eu comme des flots de personnes complètement désorganisées, se souvient Natalia. Ça courait dans tous les sens. Des gens tenaient d'autres personnes à bout de bras. Certaines semblaient blessées. On leur a demandé ce qui se passait. On a eu peur mais on a compris et on les a accueillis."
Ensuite les premiers secours et notamment les hommes et femmes de la Sécurité civile investissent le long couloir puis la totalité des lieux. Leur petite cour accueille des blessés graves, ceux qu'il faut perfuser vite. La petite loge, elle, s'emplit de victimes non blessées physiquement mais traumatisées. Le couple se souvient d'un jeune homme qui avait l'arrière de la cuisse complétement ouvert mais qui ne s'en était pas encore rendu compte tant il était dans l'émotion, plein d'adrénaline sans doute.
Ils n'ont pas oublié non plus une toute jeune fille : "Le concert c'était le cadeau de ses parents pour ses 18 ans. Elle avait juste une égratignure au niveau de la tempe. En fait, une balle l'avait effleurée. Elle ne parlait plus. Elle pleurait sans s'arrêter. Elle n'était vraiment pas bien et elle avait besoin de réconfort. On a fait ce qu'on a pu pour l'apaiser un peu", racontent Natalia et Gabriel. Il commence les phrases. Elle les termine comme pour vérifier qu'ils ont conservé intacts les mêmes souvenirs de cette soirée terrible. La jeune fille dont c'était l'anniversaire, comme de nombreuses autres victimes débarquées dans la petite loge n'avait plus d'affaires, plus de portable.
Ils aident à appeler les proches pour rassurer
Natalia les a aidés à appeler depuis le téléphone familial et son propre mobile leurs proches pour les rassurer. Il fallait retrouver les numéros qu'ils n'avaient plus tous en mémoire. Pour le reste, les deux concierges se mettent au service des médecins et secouristes qui ont pris possession des lieux. "On leur a dit qu'on était leurs petits soldats, qu'il fallait nous demander ce dont ils avaient besoin. C'est comme ça qu'on s'est retrouvés à déchirer des draps pour faire des compresses ou autres choses nécessaires pour les soins", explique Gabriel.
Leur fils de six ans dort alors tranquillement dans sa chambre. Il n'entendra heureusement rien de cette soirée d'effroi et d'agitation. Leurs deux plus grands enfants - un garçon de 11 ans et une adolescente de 17 ans – ont, eux, eu comme leurs parents le réflexe de prêter main forte. "Je me souviens que le plus petit a été cherché tous les coussins que nous avions et remplissait des verres et des bouteilles d'eau. La plus grande, elle, a aidé les soignants en tenant des perfusions par exemple."
Les habitants de l'immeuble aussi ont fait ce qu'ils ont pu, jeté des couvertures ou autres objets nécessaires par la fenêtre. Un couple de médecin qui habite là est descendu tenter aussi des gestes de réanimation. Et puis, le calme est peu à peu revenu. Au fil de la soirée, la cour s'est vidée. À cinq heures du matin, il n'y a plus personne. Ne reste alors sur les pavés que des flaques de sang, des seringues, des compresses, des vêtements oubliés. "C'était impressionnant. On a pris beaucoup de temps pour tout ranger et nettoyer ces traces affreuses", se souvient Gabriel.
Les jours suivants, beaucoup d'images difficiles remonteront à la surface. Natalia a eu besoin de beaucoup parler. "On n'oubliera jamais", promet Natalia. Aujourd'hui encore, elle garde des images en mémoire. "Il y avait ce monsieur blessé aux deux mains qui perdait beaucoup de sang. Il est le premier à être décédé dans notre cour. Et puis ce monsieur blessé aux poumons que les médecins ont tout fait pour réanimer. Il était encore vivant quand il a quitté la cour mais ensuite j'ai été triste de découvrir son nom dans la liste officielle des victimes des attentats", confie Natalia.
Un des petits mots de remerciement que des rescapés du Bataclan, qui avaient trouvé refuge dans leur loge ou dans leur cour, leur ont glissé dans la boite à lettres ces dernières années. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)
Le couple a décidé de marquer chaque 13 novembre d'un moment de recueillement en disposant des bougies dans la cour vers 21 heures. Certaines années, ils ont reçu des visites de rescapés ou de proches de familles décédées qui voulaient venir à l'endroit où leur frère, leur mère, leur ami a rendu son dernier souffle ou voulaient les saluer, leur dire leur gratitude. Parfois, Natalia et Gabriel découvrent juste un petit mot de remerciement glissé discrètement dans leurs boîtes à lettres. "Ça nous fait chaud au cœur. On est pas des héros, on a juste fait un geste citoyen", commentent les deux quadragénaires qui ont reçu quelques jours après les attentats la médaille de la Ville de Paris qu'ils conservent précieusement.
Leur 13-Novembre
Victimes, policiers, médecins, voisins... Ils racontent leur nuit du 13 novembre 2015, lorsque des commandos jihadistes font 130 morts et 350 blessés à l'extérieur du Stade de France près de Paris, sur des terrasses de la capitale et dans la salle de spectacle du Bataclan.
• La nuit du 13-Novembre racontée par les appels au Samu : "J’ai vu un mec avec une kalachnikov sortir d’une voiture"
• Le 13-Novembre du magistrat qui a suivi le dossier des attentats jusqu'au procès : "Tout le monde a eu conscience de l'enjeu"
• Le 13-Novembre du commissaire du 10e : "Ce soir-là, on était le phare dans l'obscurité"
• Le 13-Novembre d'un voisin descendu porter secours aux blessés "dès que les terroristes sont partis"
• Le 13-Novembre d'un urgentiste : "Je suis seul médecin et je comprends très vite qu'il n'y aura pas de renforts"
• Le 13-Novembre de deux rescapés du Bataclan, qui ne seraient "pas là l'un sans l'autre"
• Le 13-Novembre des otages du Bataclan et des policiers qui les ont sauvés : "Il y a ceux qui y étaient et ceux qui n'y étaient pas"
• Le 13-Novembre d'un policier entré au Bataclan : "Je suis fier d'avoir participé à l'enquête, pour les victimes"