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Économie et marchés

La Russie accroît la pression sanitaire sur les travailleurs étrangers

Entrée en vigueur mercredi en Russie, une nouvelle loi très controversée permet aux autorités d’imposer des examens médicaux très poussés pour les travailleurs étrangers et leurs familles, y compris les enfants à partir de six ans. La syphilis, le virus du VIH, la lèpre, la gonorrhée, la tuberculose, le Covid-19 ou encore une addiction à la drogue. En Russie, tous les travailleurs étrangers et leurs familles vont désormais être soumis à des tests réguliers pour dépister ces maladies, après l'entrée en vigueur, mercredi 29 décembre, d'une loi très controversée. Cette législation impose à l’énorme majorité des quelque 11,6 millions de travailleurs étrangers et à leurs proches de réaliser tous les trois mois des examens très poussés, incluant un scanner des poumons aux rayons X et des IRM, ainsi que des rendez-vous avec des spécialistes comme des psychiatres. Ils devront également laisser leurs empreintes digitales et remettre une photo d’identité récente. Des examens dès six ans L’intégralité des tests médicaux – y compris pour les maladies sexuellement transmissibles – est obligatoire, même pour les enfants à partir de l’âge de six ans, note le magazine allemand Der Spiegel. Les seuls à pouvoir échapper à cette nouvelle contrainte sanitaire sont les diplomates étrangers, les employés des organisations internationales comme l’ONU et les ressortissants de Biélorussie. Un test positif entraîne la révocation du permis de travail ou le refus d’en délivrer, l’inscription sur une liste des individus jugés "indésirables" sur le territoire russe et l’ordre de quitter le pays, souligne le site de la Deutsche Welle, chaîne allemande d’information continue. Un refus de se présenter aux tests peut aussi entraîner une expulsion. Avec cette loi, la Russie, déjà en froid avec la plupart des pays occidentaux et qui vient de s’attirer les foudres internationales pour avoir dissous l’ONG de défense des droits humains Mémorial, s’est mis à dos les milieux d’affaires. "Cela fait très longtemps qu’une loi russe n’a pas suscité une telle déception et indignation parmi les chefs d’entreprise étrangers présents en Russie", ont écrit les responsables de dix syndicats professionnels internationaux tels que la Chambre de commerce des États-Unis ou l’Association des entrepreneurs européens dans une lettre adressée au gouvernement russe que le quotidien Moscow Times a pu consulter. Ces entrepreneurs sont vent debout contre ce texte depuis qu’il a été voté à la Douma (équivalent russe de l’Assemblée nationale) en juin 2021. Ils espéraient obtenir son retrait avant la date fatidique du 29 décembre, mais n’ont eu droit qu’à un durcissement des mesures puisque l’obligation de renouveler les examens tous les trois mois n’étaient pas dans la mouture initiale. Récits kafkaïens "Je n’ai pas envie d’être soumis à des rayons X tous les trois mois. Je pense que je vais retourner travailler en Allemagne", a assuré au Moscow Times un ressortissant allemand ayant préféré gardé l’anonymat. "Des responsables de sociétés de tailles moyenne et grande pensent sérieusement à arrêter toute activité en Russie à cause de cette loi", soutient Thorsten Gutmann, porte-parole de la Chambre de commerce germano-russe, interrogé par le Moscow Times. Il faut dire que les premiers récits d’étrangers ayant subi ces tests ont de quoi décourager les éventuelles bonnes volontés. "C’était du harcèlement administratif pur et simple", a raconté un Allemand dans une lettre adressée à la Chambre de commerce germano-russe que s’est procurée la Deutsche Welle. Il y décrit un périple kafkaïen de quatre jours passés à remplir des formulaires, faire des tests et soumettre les résultats de ces examens. Mais au-delà de l’indignation, c’est aussi l’incompréhension qui règne dans les milieux d’affaires. Cette réforme ne cadre pas avec les efforts russes de ces dernières années "pour attirer davantage de travailleurs qualifiés à travers plusieurs lois adoptées qui ont simplifié l’obtention des visas de travail et même de la nationalité russe", rappelle la chaîne américaine Bloomberg. Les chefs d’entreprise se demandent s’ils ne sont pas les victimes collatérales des tensions diplomatiques entre la Russie et une partie du monde occidental. "Je reçois un nombre croissant d’appels de chefs d’entreprise en Allemagne qui veulent savoir si nous sommes devenus personae non gratae", raconte Matthias Schepp, directeur de la Chambre de commerce germano-russe, interrogé par le Moscow Times. Faire porter le chapeau aux migrants d'Asie centrale Officiellement, il s’agit simplement d’une "loi de sécurité sanitaire nationale", peut-on lire sur une note explicative accompagnant le texte de loi. "Ce qu’on m’a expliqué, c’est que le but était surtout d’améliorer le dépistage préventif parmi les migrants venus des pays d’Asie centrale [Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan] qui constituent la très grande majorité des travailleurs étrangers en Russie", souligne Mark Galeotti, directeur de Mayak Intelligence, un cabinet de conseil sur les questions de sécurité en Russie, contacté par France 24. La note explicative ajoute d’ailleurs que ces examens sont censés compenser les "contrôles sanitaires très aléatoires" dans les pays d’Asie centrale. Il serait d’autant plus important de renforcer les examens sanitaires que la Russie "traverse une crise démographique et va devoir de plus en plus avoir recours à des travailleurs immigrés" pour des tâches peu qualifiées habituellement effectuées par des ressortissants de pays d’Asie centrale, détaille le Moscow Times. Une analyse contestée par certains, ajoute le quotidien moscovite. "À un moment donné où le pouvoir est de plus en plus contesté pour sa gestion de l’épidémie de Covid-19, il y a la tentation pour les responsables politiques de faire porter le chapeau à l’étranger" qui ferait entrer les maladies en Russie, conclut le Moscow Times. Mais le pouvoir semble avoir été pris de court par l’ampleur de la bronca des milieux d’affaires étrangers. "Le ministère russe de la Santé serait en train de réfléchir à rendre les mesures moins contraignantes pour les salariés les plus qualifiés en ne leur imposant qu’une seule série d'examens par an", note Der Spiegel. Des annonces en ce sens devraient être faites dans les jours à venir, assure même la Chambre de commerce germano-russe.

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