L'Israélien Dan Gertler, roi des mines de RDC, dans le collimateur de Joe Biden
Le président américain, Joe Biden, a décidé, lundi, de soumettre à nouveau à des sanctions sévères l’Israélien Dan Gertler, accusé depuis des années d’avoir pillé les sous-sols de la République démocratique du Congo. L'homme d'affaires avait déjà été sanctionné en 2017, puis avait bénéficié d’une mystérieuse clémence de dernière minute de Donald Trump à la fin de son mandat.
Le président américain Joe Biden continue à détricoter l’héritage de Donald Trump. Cette fois-ci, il est revenu sur l’une des dernières décisions de son prédécesseur, prise en catimini et qui avait provoqué l’ire et l’incompréhension de responsables politiques et d’ONG jusqu’en Afrique : la suspension des sanctions économiques contre l’homme d’affaires israélien Dan Gertler.
Washington a annoncé, lundi 8 mars, que le sulfureux magnat du diamant et des matières premières, très actif en République démocratique du Congo (RDC), serait de nouveau soumis à l’un des régimes de sanctions les plus stricts pour un individu : celui prévu par la loi Magnitski de 2012. Elle permet, essentiellement, de faire d’une personne soupçonnée d’actes graves de corruption un paria sur la scène financière internationale en lui interdisant de faire des affaires en dollars ou de commercer avec des entités américaines.
Arrivé en RDC à 23 ans
Dan Gertler avait déjà été frappé par cet arrêt de mort économique en 2017, mais Donald Trump était revenu sur la décision une semaine avant de quitter la Maison Blanche. Le milliardaire américain avait suspendu l’application des sanctions pendant un an. Un geste de clémence qui avait été gardé secret et n’avait pas été motivé, "contrairement aux habitudes en la matière", souligne le New York Times. Cette volte-face à été attribuée à une intense campagne de lobbying initiée par Dan Gertler et pour laquelle avaient été engagés Alan Dershowitz, l'avocat qui avait défendu Donald Trump lors de son procès en destitution, et Louis Freeh, l'ancien directeur du FBI.
Une fois éventée, la mystérieuse générosité trumpienne avait soulevé un tollé. Une lettre ouverte signée par une vingtaine d’ONG pressait Joe Biden de sévir contre un homme qui, aux yeux de ces activistes, symbolise presque à lui tout seul la spoliation des ressources naturelles de la RDC. Plusieurs responsables de l’administration sortante, interrogés par le New York Times, se sont étonnés de ne pas avoir été consultés, tandis que des diplomates américains en poste en Afrique n’en croyaient pas leurs oreilles. Michael Hammer, l’ambassadeur américain en RDC, avait même téléphoné à Washington pour s’assurer qu’il n’y avait pas eu une erreur.
Il faut dire que Dan Gertler traîne depuis très longtemps une réputation de grand corrupteur en RDC. À tel point que la décision de 2017 de le placer lui, ainsi qu’une trentaine de ses sociétés, sur la liste des sanctions américaines a été l’un des rares gestes de l’administration Trump à avoir été bien accueillie par les organisations de lutte contre la corruption.
L’homme d’affaires israélien est apparu sur la scène de la République démocratique du Congo en 1997, alors qu’il n’avait que 23 ans. Issu d’une famille qui a fait fortune dans la pierre précieuse – son grand-père est considéré comme le "roi de l’industrie israélienne du diamant" –, il va profiter du conflit qui oppose alors le président Mobutu Sese Seko aux rebelles menés par Laurent-Désiré Kabila pour avancer ses intérêts.
Ami de la famille Kabila
Dan Gertler se rapproche du leader des rebelles et promet de le soutenir financièrement dans sa guerre. À court d’argent, Laurent-Désiré Kabila accepte et espère même pouvoir profiter des liens de l'homme d'affaires avec le secteur militaire israélien pour mettre plus facilement la main sur des armes, affirment les auteurs du rapport de l’ONU sur "l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RD Congo". En contrepartie, l’homme d’affaires reçoit le monopole de l’exploitation des mines d’or du pays une fois que Laurent-Désiré Kabila prend le pouvoir à Kinshasa.
C’est le début d’une longue histoire entre Dan Gertler et la famille Kabila. Après la mort du père en 2001, le ressortissant israélien se rapproche du fils, Joseph Kabila, qui va diriger le pays jusqu’en 2019. Il devient l’émissaire de Kabila pour aller plaider la cause de son pays auprès des États-Unis en 2002, se fait naturaliser congolais l’année suivante, est invité au mariage du président et l’accompagne lors d’un déplacement diplomatique en Chine en 2005.
En parallèle, Dan Gertler courtise aussi Augustin Katumba Mwanke, l’un des plus proches conseillers de Joseph Kabila, qui a la main sur le très convoité secteur des matières premières. Des efforts qui vont lui permettre de faire ce qu’il fait le mieux : acheter à prix très doux des concessions minières qu’il revend ensuite à de grands consortiums miniers, comme Glencore, en réalisant de confortables bénéfices. C’est ainsi qu’il se constitue au fil des ans un empire dans le cobalt, le cuivre ou encore le fer, lui permettant d’amasser une fortune estimée à plus de 1,5 milliard de dollars par le magazine Forbes.
Un sens des affaires qui, en revanche, a coûté très cher au peuple congolais, d’après l’African Progress Panel (APP), une organisation alors dirigée par Kofi Annan, l’ancien directeur de l’ONU. Entre 2010 et 2012 seulement, la RDC s’est ainsi privée d’au moins 1,36 milliard de dollars en accordant des concessions minières à Dan Gertler bien en dessous du prix du marché, a conclu l’APP dans un rapport publié en 2013. "Ce manque à gagner équivaut au double du budget annuel alloué par la RDC à la santé et à l’éducation", résume l’APP.
Maître des paradis fiscaux
Pour mettre son magot à l’abri, Dan Gertler s’est constitué une impressionnante toile de holdings et de sociétés écrans, notamment dans les Îles Vierges britanniques. Il aura fallu attendre les différentes révélations sur les paradis fiscaux par les médias ces dernières années pour se rendre compte des ramifications de ses avoirs. Il est ainsi l’une des figures centrales des "Panama Papers". Ironiquement, le tristement célèbre cabinet panaméen d’avocats Mossack Fonseca l’avait trouvé trop sulfureux pour ouvrir des comptes à son nom, raconte Le Monde…
Pour sa part, Dan Gertler, connu pour être très pieux et proche des milieux ultraorthodoxes en Israël, a toujours contesté les accusations contre lui, soulignant qu’il n’avait jamais été reconnu coupable de corruption et qu’il avait toujours agi en conformité avec la loi locale. Interrogé par de nombreux médias, il rappelle souvent être le "plus gros contribuable en RD Congo" et y avoir créé "plus de 33 000 emplois".
Depuis la fin 2020, il s’est aussi lancé dans une campagne pour réhabiliter son image en RDC. Ainsi, en novembre, il a mis en ligne une vidéo dans laquelle il s’adresse à ses "frères et sœurs congolais" pour leur promettre une "étape historique". Il leur propose de devenir des "partenaires" pour l’exploitation d’une nouvelle mine de cobalt qu’il a acquise en 2017, ce qui permettra "pour la première fois" de profiter directement de l’exploitation des ressources naturelles du pays. Mais au vu des commentaires qui accompagnent cette vidéo sur YouTube, il a encore du chemin à faire pour redorer son blason. Nombreux sont ceux qui lui demandent pourquoi il a attendu 20 ans et d’être frappé par des sanctions drastiques pour se montrer généreux.