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L'interdiction du terme "steak végétal", un "frein du monde agricole à la transition alimentaire"

Bataille de mots Les steaks, jambons et autres "viandes" végétales devront changer de nom, selon un décret publié mardi. Cette victoire pour les représentants des filières animales montre leur résistance à enclencher la transition alimentaire, selon plusieurs spécialistes. Une réticence visible au Salon de l'agriculture qui bat son plein porte de Versailles, à Paris. Des hamburgers à base de steak végétal sont photographiés au siège du groupe suisse Firmenich, l’un des principaux fabricants mondiaux d’arômes, à Satigny, près de Genève, le 30 juin 2021. Fini les "steaks de soja", le "faux jambon", les "faux lardons" et autres nuggets végétaux. Le gouvernement français a publié, mardi 27 février, un décret au Journal officiel interdisant aux différents substituts végétaux à la viande de reprendre le vocabulaire boucher. En pleine fronde des agriculteurs, l'exécutif cède ainsi à une demande de longue date des filières animales. "C'était une demande de nos éleveurs", a ainsi justifié le Premier ministre Gabriel Attal dans un message posté sur X. Alors qu'un précédent décret adopté en juin 2022 avait été suspendu un mois plus tard par le Conseil d'État car jugé trop vague, le nouveau texte comporte une liste d'une vingtaine de termes désormais interdits pour les substituts végétaux. Parmi eux : filet, faux-filet, steak, entrecôte, aiguillette, bavette ou encore jambon et escalope. Une seconde liste fixe, quant à elle, une teneur maximale de protéines végétales dans certaines recettes charcutières comme le bacon, le boudin ou les saucisses. Interdits aussi, donc, les "nuggets" végétaux, les "lardons" ou les "rillettes". "C'est une bataille très symbolique qui montre bien les freins du monde agricole à végétaliser nos modes d'alimentation", réagit Florimond Peureux, porte-parole de l'Observatoire national des alimentations végétales. "Même si le marché des substituts végétaux reste aujourd'hui limité, les filières animales montrent qu'elles ne lâcheront rien pour freiner leur développement." Si l'offre en substituts de viande ne cesse de croître et de se diversifier dans l'Hexagone, le marché des protéines alternatives – incluant des boissons végétales, yaourts, galettes à base de protéines ou fausses viandes – reste un secteur de niche avec des ventes estimées à 425 millions d'euros en 2022, bien loin d'autres pays européens, Allemagne et Pays-Bas en tête. Le Salon de l'agriculture, un "salon de l'élevage" "Le Salon de l'agriculture est aussi une parfaite illustration de ces blocages. Il ne fait pas de réelle place à l'alimentation végétale. On dirait un salon de l'élevage", tance Florimond Peureux. "La communication met clairement l'accent sur le pavillon où se trouvent les bêtes. Et le secteur végétal est un gros fourre-tout : céréales pour l'alimentation du bétail, biocarburants, fruits, légumes, bières. Il n'y a aucune logique." Dans le pavillon 2.2, destiné au végétal, les représentants de la filière sont effectivement nombreux. Autour d'une grande tour Eiffel en fruits et légumes sont présents des producteurs de pommes, de poires, de pommes de terre mais aussi de céréales et de légumineuses. Difficile, cependant, d'obtenir de vraies informations sur le régime végétarien. Seul le stand des légumineuses propose un quiz pour faire découvrir les qualités des pois chiches, haricots et autres protéines végétales. Alors qu'elles étaient présentes depuis plusieurs années, les entreprises de substituts végétaux à la viande ne font quant à elles pas partie de cette édition du salon. "Nous étions présents en 2022 et 2023", raconte Laurent Gubbels, porte-parole de la marque espagnole de similicarnés Heura. "Même si la première année, nous avions un peu d'appréhension, finalement, tout s'est toujours très bien passé. La majorité des gens étaient bienveillants et curieux et c'était pour ça qu'on était là : pour faire découvrir des alternatives à la viande", salue-t-il. "Mais cette année, face à la colère des agriculteurs et à la tension ambiante, nous avons préféré annuler notre participation. Nous avions peur que notre discours ne soit pas audible dans ce contexte", concède-t-il, avant de promettre : "Mais nous serons de retour l'an prochain." Le pavillon 1, consacré à l'élevage, ressemble à un cauchemar pour végétariens. Des plateaux de dégustation de viande rouge circulent au milieu des moutons et des vaches, tous affublés d'un écriteau sur les qualités de leur viande. En plein milieu, au gigantesque stand de l'Interbev (Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes), trône son slogan "Aimez la viande, mangez-en mieux". Depuis plusieurs années, l'organisation prône en effet le "flexitarisme". Mais si en théorie ce terme définit un régime végétarien avec une consommation ponctuelle de viande, Interbev en a fait une incitation à manger de la viande locale de bonne qualité. Son livre de recettes "flexitariennes" distribués aux badauds ne contient ainsi aucune recette sans viande. Interrogés sur la place du végétal dans l'alimentation, les représentants de l'organisation restent mutiques. L'un finit par lancer : "On ne va quand même pas manger des graines au lieu d'un steak !" Un autre regrette qu'"on se détourne de notre terroir". Tous en revanche saluent la décision d'interdire l'appellation de "steaks végétaux". "Il faut arrêter de tromper le consommateur. Un truc de soja bourrés d'additifs sera toujours moins bien qu'un vrai steak." Des propos qui reprennent l'argument principal d'Interbev dans ce débat : "Nous entendons l'importance de l'innovation et de la diversité alimentaire. Cependant, il est essentiel de maintenir une distinction claire entre ces produits transformés et les produits carnés traditionnels", avait déclaré son président Jean-François Guihard dans un communiqué mercredi, plaidant que "l'utilisation des codes et appellations traditionnellement associés à la viande pour commercialiser ces alternatives végétales" peut "induire en erreur les consommateurs". Une alternative pour diversifier les assiettes "Les études scientifiques sur le sujet montrent pourtant que les consommateurs font très bien la différence entre la viande et ses substituts, souligne Romain Espinosa, chercheur en économie et spécialiste de ces questions au CNRS. "La mention 'végétarien' est généralement clairement écrite sur les paquets, et souvent, les substituts sont présentés dans des rayonnages séparés." Autre argument souvent brandi par les réfractaires de ces "fausses viandes" : leur caractère souvent très transformé et les nombreux additifs ajoutés pour reproduire le goût et la texture d'une véritable viande. "Effectivement, idéalement, il faudrait privilégier des protéines végétales brutes comme les pois chiches ou les lentilles. Mais il faut voir ce qu'on compare : un steak de soja aura un impact bien moindre sur la santé qu'un steak de bœuf ultratransformé", défend Romain Espinosa. Pour le spécialiste, l'intérêt de ces produits tient surtout à leur "praticité" et à leur capacité à "amener de la variété dans les assiettes". "Pour quiconque essaie de manger plus végétarien, ce sera beaucoup plus facile de remplacer son steak haché par un substitut qui y ressemble, a le même goût, la même texture, et se cuisine de la même façon", explique-t-il. "C'est aussi pour cela que la question des termes est si importante. Elle permet de maintenir une familiarité pour le consommateur." "Mais surtout, nous savons que les Français doivent diminuer leur consommation de viande pour leur santé et pour préserver la planète. Ces substituts ne sont pas parfaits, mais ils peuvent aider à changer les habitudes alimentaires", vante de son côté Florimond Peureux, de l'Onav. Le secteur de l’élevage représente en effet 12 % des émissions de gaz à effet de serre, selon les Nations unies, et avec 84,9 kilogrammes équivalent carcasse consommés par habitant en 2022, les Français consomment deux fois plus de viande que la moyenne mondiale. En France, tous les scénarios de neutralité carbone pour 2050 prévoient ainsi une baisse de la consommation carnée allant de 20 à 70 %.  Réduire la consommation de viande répond également à des objectifs de santé publique, la viande rouge ou transformée entraînant des effets négatifs sur la santé lorsque consommée en grande quantité. Le Programme national nutrition santé (PNNS) du gouvernement appelle ainsi à alterner les protéines animales et végétales. Une longue bataille judiciaire Mais avant de voir ces appellations disparaître une bonne fois pour toutes des rayons des substituts végétaux à la viande, plusieurs obstacles pourraient encore barrer la route de leurs réfractaires. Le groupe français HappyVore, qui produit en France des substituts végétaux de merguez, chipolatas et autres imitations de viandes, a en effet annoncé sur LinkedIn sa volonté de "contester le décret" et de le faire suspendre. Son argument : le texte créerait une "concurrence déloyale" entre les entreprises françaises et étrangères. "La mesure ne s'appliquera qu'aux entreprises françaises et pas aux entreprises étrangères. Les importations ne seront donc pas concernées", détaille Romain Espinosa. Alors que la France est le premier pays européen à légiférer sur cette question, elle devra aussi convaincre à Bruxelles. En octobre 2020, le Parlement européen avait déjà largement retoqué un texte visant à interdire ces appellations, à l’exception des simililactés, qui se sont vus empêchés d’employer les termes de "lait", "yaourt" ou "fromage". Désormais, Paris attend une décision de la Cour de justice de l'Union européenne pour déterminer si l'interdiction nationale est conforme au droit européen ou non. "C'est le début d'une longue bataille judiciaire", conclut Romain Espinosa.

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