Le Conseil d'État s'oppose à l'interdiction systématique des manifestations propalestiniennes
La plus haute juridiction administrative française s'est prononcée mercredi contre l'interdiction systématique des rassemblements propalestiniens décidée par Gérald Darmanin. Le Conseil d'État a estimé qu'il revenait aux seuls préfets d'apprécier s'il y avait localement un risque que de telles manifestation constituent des troubles à l'ordre public.
Des manifestants propalestiniens font face aux forces de l'ordre lors d'un rassemblement interdit à Toulouse le 12 octobre 2023.
Saisi en urgence par une association, le Comité action Palestine, le Conseil d'État a rappelé, mercredi 18 octobre, que les manifestations propalestiniennes ne pouvaient être interdites systématiquement et qu'il revenait aux seuls préfets d'apprécier s'il y avait localement un risque de troubles à l'ordre public.
Dans un télégramme adressé aux préfets le 12 octobre par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, cinq jours après l'attaque meurtrière perpétrée en Israël par le Hamas, consigne avait été donnée d'interdire les "manifestations propalestiniennes, parce qu'elles sont susceptibles de générer des troubles à l'ordre public".
Mais le Conseil d'État a tranché : "Il appartient aux seuls préfets d’apprécier s’il y a lieu d’interdire une manifestation localement en fonction des risques de troubles à l’ordre public."
"Aucune interdiction ne peut être fondée uniquement sur ce télégramme (du ministre) ou sur le seul fait que la manifestation vise à soutenir la population palestinienne", a fait valoir la plus haute juridiction administrative dans son communiqué.
Reste que "si le juge regrette la rédaction approximative de ce télégramme", il note cependant "que les représentants de l’État à l’audience, mais aussi les déclarations publiques du ministre, ont précisé son intention : rappeler aux préfets qu’il leur appartient, dans l’exercice de leurs compétences, d’interdire les manifestations de soutien à la cause palestinienne justifiant publiquement ou valorisant, de façon directe ou indirecte, des actes terroristes comme ceux qui ont été commis en Israël le 7 octobre 2023 par des membres de l’organisation Hamas", ajoute le Conseil d'État dans son communiqué.
Dans sa décision, il rappelle toutefois que les manifestations "ayant pour objet, directement ou indirectement, de soutenir le Hamas (...), de justifier ou de valoriser les exactions telles que celles du 7 octobre 2023 (...) sont de nature à entraîner des troubles à l'ordre public".
"Complet désaveu pour le ministère de l'Intérieur"
Pour ces raisons, "le juge des référés du Conseil d’État estime que le télégramme adressé aux préfets ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation et à la liberté d’expression et rejette la demande de l’association Comité action Palestine".
Pour Vincent Brengarth, l'un des deux avocats du Comité action Palestine, "c’est un complet désaveu pour le ministère de l’Intérieur dont la regrettable maladresse rédactionnelle est pointée".
"Aucune interdiction systématique n’est possible sur la base de ce télégramme. Le ministère se fait rappeler clairement le droit par le Conseil d'État", a-t-il dit à l'AFP.
Sollicité, le ministère de l'Intérieur n'a pas souhaité réagir.
Cette décision intervient à la veille de nouveaux appels à rassemblement à Paris.
La préfecture de police de Paris a annoncé mercredi à l'AFP qu'une manifestation était déjà interdite : un rassemblement, place de la République, jeudi à 18 h, à,l'appel de la CAPJPO-EuroPalestine, association militant pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien.
Jeudi dernier, plusieurs milliers de personnes s'étaient déjà rassemblés sur cette même place de la République en soutien aux Palestiniens, malgré l'interdiction préfectorale confirmée par la justice administrative. Ils avaient été dispersés sous les gaz lacrymogènes et les jets d'eau. D'autres rassemblements avaient eu lieu le même jour à Rennes, Lille et Toulouse.
Avec sa "consigne stricte", selon Gérald Darmanin lui-même, la France s'était démarquée d'autres pays occidentaux : des milliers de personnes ont défilé légalement ces derniers jours en Espagne, en Angleterre, aux Pays-Bas ou aux États-Unis "contre le colonialisme israélien" et en "soutien au peuple palestinien".
"La France fait ses propres choix", avait noté le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani, "mais interdire les manifestations dans un pays démocratique quand ce ne sont pas des manifestations violentes ne me semble pas être juste".
Avec AFP