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Économie et marchés

Guerre de l’information : YouTube 1 - Russie 0

GUERRE EN UKRAINE YouTube est devenu l'un des principaux champs de bataille de l'information en ligne durant la guerre en Ukraine. Une étude à paraître, que France 24 a pu consulter, fait le bilan de six mois de guerre de l’information sur YouTube entre la Russie et le camp pro-Ukraine. Elle s’intéresse, notamment, à l’impact du blocage, par YouTube, des grands médias favorables au Kremlin et de l’efficacité de la censure russe. C’est le dernier grand réseau social occidental encore librement accessible en Russie. Six mois après le début de la guerre en Ukraine, YouTube - utilisé par plus de 80 millions de Russes - est devenu le principal champ de bataille numérique pour le contrôle de l’information entre Kiev et ses alliés de l’Otan d’un côté et Moscou de l’autre. À travers l’analyse de près de 13 000 vidéos et de plus de 12 millions de commentaires d’internautes sur YouTube, une équipe de chercheurs du Centre de recherche en données sociales de Copenhague et du département de Sciences politiques de l’université de Copenhague a voulu déterminer qui du camp pro-Kremlin ou pro-Ukraine avait le mieux poussé ses pions sur la plateforme vidéo de Google. L’importance des commentaires sur YouTube Plus précisément, dans une étude à paraître ces prochains jours que France 24 a pu consulter en avant-première, ces experts ont "examiné les effets des lois de censure mises en place par Moscou après le début de l’invasion russe et des efforts de YouTube pour contenir la propagande des médias pro-Kremlin", souligne Yevgeniy Golovchenko, l’un des coauteurs de l’étude.  Ils se sont intéressés, d’un côté, à la popularité d’une dizaine de chaînes YouTube de médias - tels que RT ou Sputnik - et vlogueurs [blogueurs vidéos] pro-Kremlin avant et après la décision de Google de les bannir au niveau mondial, le 11 mars.  >> À lire sur Les Observateurs de France 24 : Comment des blogueurs pro-russes couvrent la guerre en Ukraine De l’autre, ils ont voulu savoir si les internautes avaient déserté les chaînes russophones critiques à l’égard de Vladimir Poutine après l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars. Un texte qui instaure de sévères sanctions - jusqu’à 15 ans de prison - pour la "désinformation" au sujet de ce que Moscou appelle "l’opération militaire spéciale" en Ukraine. Résultat : "Pour l’instant, c’est un petit 1-0 pour YouTube et l’Ukraine dans cette guerre de l’information", ajoute Yevgeniy Golovchenko. Pour parvenir à cette conclusion, les auteurs de l’étude se sont attardés sur les commentaires des vidéos. Et plus spécifiquement sur leur quantité. "C’est un assez bon indicateur car le nombre de commentaires reflète ‘l’engagement’ [propension à interagir avec un contenu en ligne, NDLR], et s’il baisse cela suggère que les internautes ne peuvent plus ou ne veulent plus interagir, démontrant l’efficacité de la censure", explique ce spécialiste de la désinformation en ligne.  Le blocage mondial des chaînes pro-Russie, décidé par YouTube, a eu un effet drastique et immédiat. Le nombre moyen de commentaires quotidiens sur ces chaînes est passé de 12 517 à… 23. "On peut dire que cette mesure a considérablement réduit la sphère d’influence des principaux relais de la propagande russe en les privant de la principale plateforme pour toucher un public international", constate Yevgeniy Golovchenko.  Un blocage qui bénéficie aux petites chaînes pro-Kremlin ? C’est aussi un sérieux revers économique pour des médias comme RT ou Sputnik. Leur bonne santé financière dépend, en effet, de leur capacité à toucher le plus large public possible sur YouTube pour attirer les revenus publicitaires. Mais pour le chercheur de l’université de Copenhague, ce n’est qu’une victoire relative pour le camp pro-Ukraine. Ce blocage n’a pas éradiqué toute présence de voix pro-Kremlin sur YouTube. Le risque est que les orphelins de RT & Co. trouvent refuge sur d’autres chaînes, plus confidentielles, tout aussi versées dans l’art de la propagande russe.  "Nos analyses semblent indiquer qu’il y a, en effet, eu un tel mouvement puisque le nombre de commentaires sur des chaînes pro-Kremlin non bloqués a presque doublé", indiquent les auteurs de l’étude. Il est, cependant, difficile de savoir si cette migration a été totale ou non. À cet égard, le seul indicateur du nombre de commentaires n’est pas suffisant. Des internautes peuvent très bien consulter les vidéos sur ces chaînes non bloquées sans pour autant laisser de commentaires… "Si l’audience globale de toutes les chaînes pro-Russes sur YouTube n’a pas baissé du tout, ce blocage peut difficilement être considéré comme un succès total", reconnaît Yevgeniy Golovchenko. Il n’empêche, au moins, que la sanction de YouTube a eu un effet notable sur le nombre de commentaires laissés sur les chaînes bloquées. Ce n’est pas le cas avec les vidéos anti-Poutine. Les auteurs de l’étude ont constaté qu’il n’y avait pas de modification significative du nombre de commentaires sur la dizaine de chaînes russophones hostiles au régime russe analysées avant et après l’adoption de la loi sur la "désinformation". "On s’attendait pourtant à une sorte d’autocensure et de mur du silence par peur de représailles", indiquent-ils. La loi russe permet, en effet, aux autorités de poursuivre les internautes au titre des commentaires qu’ils laissent sur les réseaux sociaux, rappelle Yevgeniy Golovchenko. Le contenu des commentaires recensés Ce constat peut sembler encourageant pour les milieux d’opposition à Vladimir Poutine. "La section des commentaires représente l’un des derniers espaces de discussions pour tous les Russophones - sur le territoire national ou à l’étranger - qui critiquent la guerre et la politique du gouvernement", souligne Yevgeniy Golovchenko. Mais cette absence d’impact de la loi russe est aussi difficile à expliquer. Il se peut que les Russes qui s’expriment se sentent protégés par l’anonymat que leur confère leur pseudonyme. Ils espèrent peut-être que Google ne livrera pas leur véritable identité à Moscou si les autorités russes le demandent au géant américain. Ce n’est pourtant pas la seule explication possible. Il y en a d’autres qui tiennent aux limites de l’exercice qui consiste à analyser uniquement le nombre de commentaires… et pas leur contenu. "Il peut y avoir une forme d’auto-censure dans le ton employé", explique Yevgeniy Golovchenko. C’est-à-dire que face aux risques de représailles, les internautes n’expriment plus aussi librement leurs critiques du pouvoir russe. Auquel cas la censure russe aurait effectivement fonctionné. Il se peut aussi que, suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, les chaînes critiques à l’égard du pouvoir sont prises d’assaut par des défenseurs du régime prêts à inonder les commentaires de message pro-Poutine. Auquel cas, un éventuel silence radio de l’opposition ne serait pas décelable par une simple analyse quantitative. C’est pourquoi l’équipe de chercheurs de Copenhague veut, dans un deuxième temps, s’attaquer au contenu des commentaires recensés. Une tâche qui permettra de mieux comprendre qui est en train de gagner cette bataille de l’information en ligne… mais qui prend bien plus de temps. Un autre élément qui viendrait compléter ce travail "serait de faire la même analyse pour Telegram", assure Yevgeniy Golovchenko. Le service de messagerie sécurisée est aussi très populaire en Russie et largement utilisé par les propagandistes de guerre russes et ukrainiens. Le problème est "qu’il y a beaucoup moins de données librement accessibles pour Telegram que YouTube", reconnaît le spécialiste de la désinformation en ligne. 

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