Européennes : les partis de gauche en France jouent la division… et les seconds rôles
Désunion
Les partis fondateurs de la Nupes se présentent divisés aux élections européennes du 9 juin, poursuivant des logiques d’appareil et insistant sur leurs différences pour se démarquer les uns des autres. Résultat : Europe Écologie-Les Verts, La France insoumise, Parti socialiste et Parti communiste devront se contenter de jouer les seconds rôles derrière le match entre Rassemblement national et Renaissance.
L’histoire se répète. Ils auraient pu faire le choix de s’unir et de jouer les premiers rôles face à Renaissance et au Rassemblement national lors des élections européennes du 9 juin. Ils ont finalement préféré la désunion. Comme en 2019, écologistes, insoumis, socialistes et communistes partent en ordre dispersé à gauche pour la campagne des européennes.
La Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) construite pour les législatives de 2022 n’a pas résisté longtemps aux logiques d’appareil, aux divergences stratégiques et aux différences de fond entre les quatre forces principales de gauche.
Dès son élection à la tête d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) en décembre 2022, Marine Tondelier prônait une liste autonome pour bâtir un "grand mouvement de l’écologie politique". Désireux de s’affranchir de la Nupes, Fabien Roussel et le Parti communiste français (PCF) lui ont rapidement emboîté le pas, bientôt suivis par le Parti socialiste (PS), à la rentrée 2023. Seule La France insoumise (LFI) a tenté jusqu’au bout de porter une stratégie d’union, allant jusqu’à proposer aux écologistes de prendre la tête d'une liste commune. Mais ce discours rassembleur en apparence était en parallèle affaibli par les nombreuses prises de position polémiques et autres invectives de Jean-Luc Mélenchon (voir ici, ici et ici) tout au long de l’année 2023.
"Il y avait une proposition de liste commune formulée par LFI qui consistait à laisser la tête de liste aux écologistes, mais ces derniers ont refusé. C’est dommage car les choses auraient sans doute été différentes", regrette le député Benjamin Lucas, fervent partisan de l’union et membre du parti Génération·s – membre de la Nupes, ce petit parti s’est déchiré sur la question d’une alliance aux européennes avec LFI et a finalement choisi de ne pas y prendre part. "Je continue pourtant à penser que jusqu’à la date limite du dépôt des listes, il y a encore un espoir. Les campagnes ont commencé, mes camarades vont pouvoir constater que les électeurs veulent l’union", croit-il.
Pour se différencier, les attaques fusent
Une vision bien optimiste de la situation, d’autant que depuis que les campagnes des uns et des autres ont officiellement commencé, les attaques fusent.
Raphaël Glucksmann, tête de liste PS-Place publique, joue ainsi à longueur d’interviews la carte ukrainienne. "C'est évident qu'il y a un gouffre qui nous sépare de La France insoumise sur la question de la guerre en Europe", a-t-il encore déclaré, dimanche 17 mars, sur BFMTV. "Je pense que cette campagne va permettre de trancher les lignes à gauche sur la question de la géopolitique de l'Europe, du rapport aux dictatures, du rapport aux droits humains, du rapport à la violence", a-t-il poursuivi.
De son côté, l’insoumise Manon Aubry lui répond en se différenciant sur le conflit en cours entre Israël et le Hamas. "Il y a beaucoup de candidats qui ont parlé de droit international, mais personne n’a évoqué le carnage humanitaire en cours dans la bande de Gaza et les morts à Gaza, avec plus d’enfants morts en l’espace de quatre mois qu’en l’espace de quatre ans dans l’ensemble des conflits internationaux", a affirmé lors du premier débat des européennes, jeudi 13 mars sur Public Sénat, la tête de liste LFI, qui n’hésite pas à parler de "génocide" quand Raphaël Glucksmann s’y refuse.
Le candidat communiste, Léon Deffontaines, cible quant à lui les insoumis et les écologistes à la fois, deux partis opposés à l’énergie nucléaire. Il n’a ainsi pas hésité à affirmer, lors du même débat sur Public Sénat, que "les militants antinucléaires sont les écologistes du passé". Par ailleurs décidés à convaincre les électeurs ayant voté "non" au traité constitutionnel européen de 2005 de voter PCF, les communistes tentent de démontrer que Jean-Luc Mélenchon n’a pas toujours été opposé à la construction d’une Europe libérale. Leur clip de campagne a ainsi exhumé une archive de 1992 dans laquelle l’ancien sénateur socialiste soutient le traité de Maastricht, qui a notamment mis en place l’interdiction de tout déficit public annuel supérieur à 3 % du PIB.
Enfin, même si Marie Toussaint prône la "douceur en politique" et résiste à s’en prendre à ses concurrents de gauche, les écologistes rappellent régulièrement ce qui les démarque des socialistes, qui espéraient il y a encore quelques mois faire liste commune avec eux. "On ne va pas faire campagne avec Carole Delga et son A69 en Occitanie, Alain Rousset, qui soutient les mégabassines en Nouvelle-Aquitaine, ou Loïg Chesnais-Girard, qui soutient l’agrobusiness en Bretagne", insistait en janvier la patronne d’EELV, Marine Tondelier, dans Le Monde.
"À partir du moment où on est séparés, chacun va vouloir exacerber ce qui le différencie de l’autre, c’est une évidence", déplore Benjamin Lucas, alors que la gauche est désormais lancée dans une "course de petits chevaux", dixit Manon Aubry dans Libération, ou un "combat de nains", selon l’expression utilisée par le député socialiste Philippe Brun dans l’émission "Backseat".
"Le risque, c’est un scénario où chacun écrit l’histoire qui l’arrange"
Divisés, Marie Toussaint, Manon Aubry, Raphaël Glucksmann et Léon Deffontaines ne peuvent en effet viser au mieux, à en croire les sondages, qu’une troisième place derrière les listes de Jordan Bardella (Rassemblement national) et de Valérie Hayer (Renaissance) – la liste RN recueille 31 % des intentions de vote, la liste Renaissance 18 %, la liste PS-Place publique 11,5 %, la liste EELV 8,5 %, la liste LFI 7 % et la liste PCF 3,5 %, selon le dernier sondage Ipsos publié le 11 mars dans Le Monde.
La candidate écologiste, la candidate insoumise et le candidat socialiste tenteront donc de faire ce qu’avait réalisé en 2019 Yannick Jadot (EELV), qui avait fini derrière le duo de tête RN et Renaissance, tandis que l’objectif du candidat communiste sera de dépasser cette fois-ci le seuil des 5 %, synonyme d’élection d’au moins un eurodéputé – le PCF n’avait obtenu que 2,49 % des voix en 2019, quand la liste PS avait obtenu 6,19 %, la liste LFI 6,31 % et la liste EELV 13,48 %.
Pourtant, aucun enseignement politique ne pourra être tiré des résultats du 9 juin. Après le score de Yannick Jadot aux européennes de 2019, les écologistes revendiquaient le leadership à gauche. Deux ans plus tard, après les élections régionales de 2021, c’est le Parti socialiste qui fanfaronnait grâce à ses victoires dans cinq régions. Mais en 2022, l’insoumis Jean-Luc Mélenchon recueillait 21,95 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle, quand l'écologiste Yannick Jadot finissait à 4,63 % et que la socialiste Anne Hidalgo plafonnait à 1,75 %.
"Chacun interprétera ce qu’il aura envie d’interpréter et verra ce qu’il aura envie de voir. Le risque, c’est un scénario où chacun écrit l’histoire qui l’arrange, met en garde Benjamin Lucas. Ça me met en colère car on ne saisit pas le moment historique qui se joue, avec un risque de voir l’extrême droite arriver au pouvoir en 2027. Si on était réunis, on serait devant Renaissance et on jouerait la finale face à l’extrême droite. Ce serait une toute autre histoire, y compris pour 2027."
L’après-2024 est d’ailleurs dans toutes les têtes. Alors même qu’ils sont aujourd’hui divisés et qu’ils cherchent à se différencier les uns des autres, tous les partis de gauche, hormis le PCF, assurent vouloir un candidat commun pour la prochaine élection présidentielle. Jean-Luc Mélenchon symbolise ce paradoxe, affirmant le week-end dernier vouloir faire l’union tout en lançant de violentes diatribes en direction de ses hypothétiques partenaires.
Il a d’abord fait des insoumis les seuls représentants de la Nupes aux européennes, appelant à transformer le scrutin du 9 juin en un "premier tour" de la présidentielle de 2027 qui serait décisif pour l’union de la gauche. "Si les gens de gauche votent pour nous, il y aura une union, s'ils ne votent pas pour nous, il n'y aura pas d'union", a insisté lors du meeting LFI, samedi 16 mars à Villepinte, le triple candidat à la présidentielle (2012, 2017, 2022), qui laisse toujours planer le doute quant à ses intentions pour la prochaine course à l’Élysée.
Puis il a fustigé, le lendemain sur France 3, "ceux qui ont décidé de nous diviser" et souhaité que "les Français de gauche les punissent" d'avoir chacun fait liste séparée pour l'échéance européenne. Une drôle de façon de tendre la main.