Désinformation et complotisme : cinq questions sur la "commission Bronner", chargée de lutter contre les "fake news"
Lancée fin septembre par l'Elysée, la commission sur le complotisme et la désinformation fait, une semaine après, l'objet de critiques. Chargée "d'essayer d'éclairer le public" sur les "mécaniques qui conduisent à la désinformation", selon l'un de ses membres, l'historien Jean Garrigues, à franceinfo, elle est présidée par le sociologue, professeur à l'université Paris-Diderot, Gérald Bronner, spécialiste des thèses complotistes et des croyances collectives. Missions, compositions, doutes... Franceinfo répond à cinq questions sur ce nouvel organe.
1Pourquoi l'avoir créée ?
A l'initiative d'Emmanuel Macron, la création de cette commission intervient à quelques mois de la campagne pour l'élection présidentielle, période particulièrement propice aux manipulations et désinformations de toutes sortes. Victime d'une tentative de déstabilisation lors des derniers jours de la campagne électorale de 2017, qu'il a par la suite attribuée à la Russie, le chef de l'Etat a multiplié depuis, avec sa majorité, les initiatives pour tenter de réduire le risque.
Le Parlement a notamment adopté en 2018 une loi relative à la manipulation de l'information en période électorale, qui a attribué de nouvelles compétences au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) face aux plateformes numériques en période électorale. Le gouvernement a également créé mi-2021, Viginum, une agence rattachée au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) et chargée de traquer la désinformation en période électorale.
2Quelles sont ses missions ?
La commission, intitulée "Les lumières à l'ère numérique" devra, d'ici à la fin de l'année, livrer "une série de propositions concrètes dans les champs de l'éducation, de la régulation, de la lutte contre les diffuseurs de haine et de la désinformation", décrit la présidence de la République. Quatre objectifs lui sont fixés : "définir un consensus scientifique (...) sur l'impact d'Internet dans nos vies de citoyens", "formuler des propositions (...) afin de libérer la société des bulles qui enferment une partie de nos concitoyens et nourrissent les extrémismes, la haine, la violence, les dérives sectaires et les obscurantismes", "proposer de nouveaux espaces communs (...) dans le monde numérique" et enfin "développer une analyse historique et géopolitique de l'exposition de la France aux menaces internationales qui pèsent sur notre démocratie et notre société au travers d'Internet et des recommandations sur les enjeux à porter dans le débat international et européen".
L'enjeu de la commission sera de travailler à faire du débat public un exercice "d'intelligence collective", a expliqué Gérald Bronner lors d'un point-presse. Aujourd'hui, la surabondance d'informations s'accompagne d'une certaine "cacophonie", avec une "mise en concurrence directe de toutes les visions du monde", qu'elles relèvent "de la science, de la rationalité, de la croyance, de la magie, de la superstition", a-t-il souligné.
3Quelles sont ses thématiques de travail ?
Gérald Bronner en a évoqué huit. La première concerne la façon dont les algorithmes des réseaux sociaux et des grandes plateformes internet peuvent provoquer un "asservissement numérique", en modelant la conversation au sein de la société. La commission s'intéressera aussi à la façon dont le marché publicitaire tire profit de ces fausses nouvelles, mais aussi aux moyens de développer l'esprit critique, à la liberté éditoriale des médias face à la pression des plateformes ou encore aux ingérences étrangères, a-t-il précisé.
"Nous allons procéder à des auditions, notamment des représentants en France de ces grands groupes, de ces Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon] qui s'occupent du numérique", a détaillé auprès de franceinfo Jean Garrigues. Mais également "des juges et des magistrats pour essayer de voir comment nous pouvons essayer de réguler d'une manière légale ce qui, aujourd'hui, relève de beaucoup de dérives."
4Qui compose cette commission ?
Présidée par le sociologue Gérald Bronner, elle est composée de chercheurs comme le sociologue Laurent Cordonier, la spécialiste du cyberespace Frédérick Douzet, l'historien Jean Garrigues, l'anthropologue Rahaf Harfoush, les politologues Anne Muxel et Roland Cayrol, ainsi que les historiens spécialistes de la Shoah Iannis Roder et Annette Wieviorka. Plusieurs personnalités viennent compléter la liste : Rudy Reichstadt (directeur de Conspiracy Watch), la professeure des écoles Rose-Marie Farinella, la journaliste web Aude Favre, le chirurgien Guy Vallancien et Rachel Khan, ancienne athlète de haut niveau devenue juriste, actrice et écrivaine.
5Pourquoi est-elle critiquée ?
C'est tout d'abord un membre de la commission qui fait l'objet de certaines remises en cause : Guy Vallancien. Dans une tribune publiée dans Le Monde, la pneumologue et lanceuse d'alerte dans l'affaire du Mediator, Irène Frachon, écrit qu'il "a été un des fers de lance d'une nébuleuse de médecins de haut rang, professeurs de médecine, parfois académiciens de médecine, qui, depuis des années et sans vergogne, tentent de discréditer, minimiser, voire nier la gravité du drame humain causé par le Mediator". Guy Vallancien a également été impliqué dans le scandale du Centre de don de corps de l'université Paris-Descartes, rappelle Libération (article payant). Plus récemment, Marianne (article payant) rapporte encore qu'il a reçu un blâme par l'Ordre des médecins après la réalisation d'un faux certificat médical.
Pour justifier leur présence, Gérald Bronner s'est expliqué sur le plateau de l'émission "C Politique", sur France 5, dimanche. "Guy Vallancien est un très grand médecin, membre de l'Académie nationale de médecine. J'ai découvert toutes ces histoires. Ce qui m'a motivé à demander à certains collègues [d'intégrer la commission], c'est leur compétence et la diversité. Il y a des spécialistes de la question. Puis des gens qui pensent 'en dehors de la boîte', comme on dit."
"Le nom de Rachel Khan fait aussi grincer des dents", rapporte Libération. "Ni scientifique ni spécialiste des médias, celle qui 'prend ses distances avec la pensée décoloniale', selon la présentation de l'Elysée, s'illustre avant tout par des prises de position polémiques dans le débat public, s'attaquant systématiquement aux nouveaux discours antiracistes et féministes", poursuit le quotidien.
Autre sujet de critique : les motivations politiques qui pourraient animer cette création. "Pourquoi cette nouvelle commission, à quelques mois de la présidentielle ?", questionne Le Figaro. "Effet d'annonce", dénonce le maire LR de Cannes, David Lisnard.
"Notre logique, je le répète, est une logique scientifique qui consiste à démonter un certain nombre de mécaniques et à préconiser des solutions pour essayer justement de mettre un peu plus de raison, un peu plus de transparence dans les réseaux sociaux", répond le membre de la commission Jean Garrigues. "Nous nous situons vraiment à côté de cette logique politique et c'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, cette commission rendra son rapport avant la campagne électorale, de manière à ne pas être récupérée", assure-t-il.