L'argent de la désinformation
Pour lutter contre la désinformation, ne faudrait-il pas tracer les flux qui financent les fake news ? C’est la voie explorée par deux journalistes. Aude Favre et Sylvain Louvet ont enquêté pendant près d’un an sur ce marché qui pèse deux milliards d’euros.
Aude Favre et Sylvain Louvet ont enquêté pendant près d’un an sur ce marché qui finance les fake news et qui pèse deux milliards d’euros. Ces volumes de publicité sont générés par les sites conspirationnistes et les plateformes qui les hébergent. Rencontre avec Aude Favre, coréalisatrice du documentaire télévisé Fake news la machine à fric.
Aude Favre, la traque des fake news, c’est son destin
Très vite engagée dans cette voie, la journaliste développe de courts formats vidéos What the Fake qu’elle va diffuser sur Slash pendant deux ans. Aujourd’hui, Aude ambitionne de monter la première rédaction citoyenne anti-fake news et lance un appel aux dons. Le plus dur, étant évidemment le financement. Et il faut croire qu’il est plus facile de s’enrichir en produisant la désinformation.
Au terme d’une enquête qui aura duré près d’un an pour le compte du magazine Complément d’enquête sur France 2, les deux reporters ont essayé de discuter avec les protagonistes de la désinformation et ceux qui la financent, interlocuteurs qui semblent parfois ne pas savoir qu’ils la financent, ou faisant mine de ne pas savoir. Le bénéfice du doute est permis tant les écrans de fumée sont nombreux sur la toile.
Google et Publicis ont accepté le dialogue
Google et Publicis ont joué le jeu en acceptant de discuter avec les journalistes, mais au moment où l’interview mettait les deux sociétés face à leurs responsabilités, l’entretien est interrompu. Mais ne restera pas sans suite. En effet, sans que l’on sache si le lien de cause à effet existe, – mais on peut présupposer que oui – Google va démonétiser The Gateway Pundit, site complotiste, et le priver ainsi de ses revenus publicitaires. Et ce, quelques heures avant la diffusion du reportage en prime time sur France 2. L’ONG Global Disinformation prétend que les producteurs de fake news perçoivent annuellement 85 millions de dollars, rien qu’avec les publicités acheminées par Google.
C’est au printemps dernier qu’Aude Favre rencontre Jim Hoft dans sa villa du Missouri. Jim Hoft est le fondateur de The Gateway Pundit à qui l’ont doit ce beau dossier sur La mort prématurée provoquée par les masques inefficaces. Ce genre d’article attire en moyenne 20 à 30 millions de lecteurs. Et les nazis aussi peuvent défendre leurs points de vue, car "l’Amérique, dit Jim Hoft, c’est la liberté d’expression".
La conversation avec la journaliste française semble avoir déplu au complotiste puisqu’à peine embarqué dans son vol retour, Aude Favre a les faveurs du site avec un article assorti d’un photomontage. "Une organisation liée à Bill Gates envoie un joli appât français pour démolir The Gateway Pundit. Mais elle a lamentablement échoué, et est rentrée chez elle".
La rencontre avec Benoît Tabaka de Google à Paris
Mais quand les reporters rencontrent Benoît Tabaka de Google à Paris et le mettent face à la contradiction des écrits de Jim Hoft face aux règles de Google "qui proscrivent les contenus faisant état de déclarations manifestement fausses et susceptibles d’affaiblir la participation à un processus électoral ou démocratique, et/ou tous contenus relayant des allégations dangereuses dans le domaine de la santé ou lié à une crise sanitaire majeure", le cadre de Google ne porte aucun jugement mais quelques semaines plus tard, la firme envoie un mail à Jim Hoft qu’il a publié sur son site, et où il lui est annoncé l’arrêt de la monétisation de ses publicités.
Aude Favre n’éprouve aucun sentiment de fierté.
Mais en réalité, les profits financiers des producteurs de fake news et leurs sources sont subtilement cachés sur la toile. C’est souvent celles et ceux qui dénoncent le manque de transparence qui le sont le moins.
Fake news la machine à fric, est disponible en replay sur la plateforme France Télévisions.
Et de son côté, Aude poursuit sa traque. Une rédaction anti-fake à monter et un siège à la commission Bronner chargée de lutter contre la désinformation. Et son financement.