Comment des citoyens luttent contre les fake news des antivaccins sur le Covid-19 : "On vide la mer avec une petite cuillère"
Comment des citoyens luttent contre les fake news des antivaccins sur le Covid-19 : "On vide la mer avec une petite cuillère"
Face à la diffusion massive de fausses informations sur la vaccination, plusieurs collectifs de citoyens travaillent à réinformer les internautes. Et ces militants issus de la société civile ne comptent plus leurs heures. Témoignages.
"Les fake news prennent l'ascenseur, mais la vérité prend souvent l'escalier." Antoine Daoust verse dans la métaphore immobilière pour décrire le circuit de diffusion de l'information en temps de Covid-19. Depuis février, ce blogueur "debunke" les fausses informations sur une plateforme appelée FactandFurious.com au nom hollywoodien. De l'oxyde de graphène prétendument présent dans le vaccin de Pfizer, des effets indésirables considérés comme inhabituels, des prises de parole de militants antivaccins... Le site "de fact-checking et d'actualité indépendant" s'est fait une spécialité du suivi des informations sur les vaccins contre le Covid-19.
C'est après avoir erré "dans le pire" des entrailles de YouTube pendant la pandémie que cet ancien militaire est monté au front "pour dénoncer la désinformation", aidé de deux connaissances rencontrées en ligne. Une pandémie qui a servi de "déclic", tout comme l'hospitalisation de son beau-frère, victime du virus. A ce jour, l'initiative reste bénévole – malgré quelques recettes publicitaires – alors que le site vient tout juste d'être reconnu comme un "service de presse en ligne".
Ces derniers mois, d'autres collectifs citoyens se sont formés pour lutter contre les fake news autour de la pandémie. Ils se nomment "Les Vaxxeuses", "No Fake Med", "Stop à la propagande antivaccin"... Leur credo : la publication d'informations sourcées et un maximum de pédagogie sur les réseaux sociaux.
"La croyance est résistante aux faits"
Membre du collectif "Les Vaxxeuses", un compte hyperactif sur Facebook et Twitter (12 000 abonnés), Marie* est une ardente défenseure des vaccins. L'employée de banque de 41 ans, qui souhaite conserver l'anonymat, a même participé à un essai clinique en France : "J'ai prêté mon corps à la science pour les vaccins et j'en suis très, très fière." Son groupe d'une "quinzaine" de citoyens "de tout horizon professionnel", dont quatre docteurs en biologie, est né en 2017 lors des débats sur l'extension de la vaccination obligatoire des enfants contre onze maladies. Infiltrés sur des groupes de militants "antivax", ils partagent et corrigent les infox sur un ton volontiers moqueur. C'est là leur "marque de fabrique", explique Marie.
"Ce vaccin [contre le Covid-19] a apporté de nouvelles théories qu'on n'avait pas avec les autres vaccins, poursuit Marie auprès de franceinfo. Les autres vaccins, selon ces théories, sont supposés provoquer la sclérose en plaques, la myofasciite à macrophages [une maladie des tissus]. Le vaccin contre le Covid-19, lui, est censé nous transformer en OGM, nous faire capter la 5G, nous rendre magnétiques."
A l'instar de Marie, Patricia s'efforce elle aussi de corriger des infox, en tant qu'animatrice avec cinq autre bénévoles de la page Facebook "Stop à la propagande antivaccin", lancée en 2017. "On a senti la vague arriver, ça a même été tellement fatigant que j'étais proche du burn-out", témoigne la juriste de 52 ans, qui admet passer "trois à quatre heures par jour, parfois même une partie de la nuit" à argumenter dans de longs fils de commentaires. "J'étais naïve au début. Je me suis dit que si les gens pensaient ces choses-là, c'était parce qu'ils étaient désinformés, mal informés. Je pensais qu'en essayant de vulgariser des informations, les gens allaient revenir dans le factuel. Mais je me trompais lourdement. La croyance est résistante aux faits", déplore-t-elle.
"Apprendre à démêler le vrai du faux"
Parfois, elle reçoit pourtant des témoignages de personnes ayant changé d'avis. "On ne s'adresse pas aux 'antivax', au noyau dur qui ne comprend pas. Nous, on s'adresse à cette frange de la population qui hésite, est un peu inquiète. Elle est gagnable, avec du temps, de la pédagogie."
Derrière cette mobilisation aussi altruiste que chronophage, les collectifs de citoyens sont unanimes : leur travail vient combler un vide laissé par l'Etat. "Il pourrait être fait par les institutions, des groupes ministériels ou interministériels. Mais ils ne le font pas, faute de moyens ou de volonté", assène Cyril Vidal, président du collectif "No Fake Med", constitué de 200 membres, dont deux tiers de professionnels de santé identifiables sur Twitter sous le hashtag éponyme.
Il existe pourtant des instances censées encadrer les dérives comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), mais qui "n'a pas assez de moyens", regrette ce chirurgien-dentiste. "Et malgré les rappels à l'ordre du Conseil de l'ordre des médecins (Cnom) et notre plainte, [la députée et psychiatre] Martine Wonner continue à diffuser sciemment de mauvaises informations", regrette Cyril Vidal.
Pour "Les Vaxxeuses", le problème se trouve également dans les "lacunes de l'enseignement scientifique". "On devrait davantage enseigner le fact-checking dans les collèges et les lycées. Il faut vraiment apprendre aux jeunes à démêler le vrai du faux sur internet", appelle Marie de ses vœux.
Par ailleurs, "il y a trop peu de modération chez les médias grand public", accuse Patricia, face à la présence de trop nombreux commentaires "antivax" sur les articles de presse partagés en ligne. Pire : "Les Vaxxeuses" et "No Fake Med" affirment avoir vu leurs comptes suspendus à plusieurs reprises par Facebook. "On partage des perles de mensonges sur notre page en leur ajoutant un en-tête explicatif. Mais Facebook nous accuse de faire de la désinformation : on a eu une interdiction de publication de trois jours sur la page il y a moins de deux mois", rapporte ainsi Marie.
"Partager des connaissances vérifiées"
Corriger les fake news à la place des institutions, c'est aussi un moyen d'apparaître indépendant du pouvoir : "Avec tous les propos complotistes qu'on peut avoir sur les liens tissés par le gouvernement, un organisme indépendant comme le nôtre, qui fait des déclarations d'absence de conflit d'intérêts, peut être important pour avoir un dialogue", analyse Cyril Vidal de "No Fake Med".
Néanmoins, une question demeure : sans bagage scientifique validé par des études spécialisées, comment paraître crédible aux yeux du public ? Patricia a trouvé la solution : toute réponse est "vérifiée par notre groupe et on donne des sources". Et ce, "quel que soit le rédacteur", explique la juriste, qui dit s'appuyer aussi sur des articles de fact-checking parus dans la presse.
"Tout le monde a son mot à dire sur les choses acquises de la science", appuie le docteur Cyril Vidal, dont la légitimité n'est pas selon lui supérieure à celle des citoyens n'évoluant pas dans le secteur de la santé. "L'important, c'est que tout le monde participe à partager des connaissances vérifiées en santé."
"On en a des nausées"
Mais ce travail de réinformation n'est pas sans peine : sur les réseaux sociaux, c'est une violence acerbe qui s'exprime. "On est infiltré dans plusieurs groupes [de militants antivaccins]", raconte Antoine Daoust de "Fact and Furious". "Je vous garantis qu'on en a des nausées à la fin de la journée, quand on voit les gens déblatérer leur haine contre le gouvernement, appeler à guillotiner les médecins. Ça me rend malade."
Patricia, elle, a fini par craquer, face aux "raids" lancés par les militants antivaccins contre sa page, à ses trop nombreuses heures passées sur la toile et aux "menaces" – parfois de morts –, bien qu'elle ait choisi à dessein de conserver l'anonymat. "Des fois, ils viennent en grappe, ils nous attaquent en règle. On répond, on répond et on passe le relais. Mais souvent, je me réveillais en sursaut la nuit, de peur qu'un emmerdeur ait écrit quelque chose."
Mais la citoyenne engagée n'a pas totalement déposé les armes. Début juillet, Patricia a retrouvé ses camarades fact-checkeurs sur l'île de Noirmoutier pour "un week-end de retrouvailles et de détente". L'occasion aussi de rencontrer les nouvelles recrues. Et de se réjouir de la naissance d'un nouveau site de lutte contre la désinformation, BigPrama, fruit d'une union avec "Les Vaxxeuses" concrétisée en juin.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.