Au procès du meurtre de Maëlys, la cour s'intéresse au "nouveau Nordahl Lelandais", "pas celui qui a commis les faits"
L'ancien maître-chien de 38 ans et sa défense se sont attachés à démontrer une évolution depuis son incarcération, au terme de l'examen de personnalité. Mais des éléments versés au débat sont venus fragiliser cette version.
C'est le dernier chapitre de sa vie dans son itinéraire chaotique et meurtrier. La vie en prison de Nordahl Lelandais a été abordée par la cour d'assises de l'Isère, mercredi 2 février, au terme des trois jours consacrés à sa personnalité. L'accusé de 38 ans est incarcéré depuis septembre 2017 au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier. En détention provisoire pour le meurtre de la petite Maëlys de Araujo, pour lequel il est jugé depuis lundi, il y purge aussi une peine définitive après sa condamnation à vingt ans de réclusion en mai dernier pour avoir tué Arthur Noyer.
Cette expérience carcérale a-t-elle transformé l'homme en chemise blanche qui se tient debout dans le box ? L'accusé et sa défense ont tout intérêt à le démontrer. Mains croisées devant lui, Nordahl Lelandais revient avec gravité et humilité sur ses premiers mois derrière les barreaux, lorsqu'il niait encore avoir tué la fillette de 8 ans et demi rencontrée lors d'un mariage à Pont-de-Beauvoisin le 26 août 2017. "Comment expliquer ? Le déni, la honte, le mensonge... Et tout ce qui se passe en prison, les insultes, mais ça ce n'est rien", expose-t-il.
"Qui êtes-vous Monsieur Lelandais ?"
En janvier 2018, peu de temps avant ses aveux dans les deux affaires, il fait une demande de remise en liberté alors que tout l'accuse. "J'ai fait croire à tout le monde que je n'y étais pour rien", plaide-t-il. Acculé par la découverte d'une tâche de sang de Maëlys dans le coffre de sa voiture, il reconnaît lui avoir donné la mort puis est hospitalisé en psychiatrie pendant cinq mois. "J'ai honte de dire ça, mais c'était une période horrible de ma vie", confesse-t-il. Depuis son retour en cellule, à l'isolement, il "lit beaucoup, sur l'enseignement du dharma [un concept boudhiste] qui apprend à accepter ses colères. Si on les accepte, on arrive à y faire face".
La présidente de la cour, Valérie Blain, tente de comprendre. "Qui vous êtes Monsieur Lelandais ?" "Aujourd'hui, je suis monsieur Lelandais Nordahl dans un box de cour d'assises et je dois m'expliquer sur des faits très graves." "Mais qui avez-vous été ?", insiste la magistrate. "Je ne sais même pas, madame la présidente. J'étais perdu, perdu. C'est pas pour faire pleurer dans les chaumières. Je trouvais un travail, ça ne me plaisait pas, je trouvais une copine, ça ne me plaisait pas, je faisais n'importe quoi et aujourd'hui je suis là."
Depuis le début de ce nouveau procès, la cour d'assises de l'Isère cherche dans la biographie de l'accusé le point de "bascule". En vertu de la célèbre maxime selon laquelle "la violence engendre la violence", elle scrute les épisodes de vie qui auraient pu conduire Nordahl Lelandais sur le chemin du crime, avec une problématique sexuelle. Même si ce dernier n'est pas renvoyé devant la justice pour le viol de Maëlys, faute de preuves, ce mobile reste central dans les débats, comme il l'était à Chambéry.
"Je suis le seul responsable"
A défaut d'évènement-clé dévoilé par l'intéressé ou ses proches, un puzzle prend forme au gré des témoignages et de ses propres déclarations. Dans cette famille où le fils a longtemps cru son père médecin alors qu'il était attaché commercial en produits pharmaceutiques et où la mère pensait son petit dernier précoce alors qu'elle ne sait plus avec quels diplômes il est sorti du système scolaire – aucun –, il y a quelque chose de "pathologique" et un sérieux "problème de communication". C'est l'analyse du centre médico-psychologique de Pont-de-Beauvoisin, lue à l'audience par la présidente.
Nous sommes en 2008 et Nordahl Lelandais consulte pour des "attaques de panique" et de "l'agoraphobie". Voilà trois ans qu'il a claqué la porte de l'armée et sabordé son avenir de maître-chien. Retourné vivre au domicile parental, il se "déconstruit" et "s'éparpille", selon ses propres mots, quand tous ses amis "construisent" leur vie professionnelle et sentimentale. "J'ouvre mon PC, je bois mon café, je regarde une vidéo [pornographique], je fume une clope, je prends de la cocaïne, je reprends un café, une clope. Voilà mes journées", décrit-il devant la cour, reconnaissant une "addiction au sexe".
Nordahl Lelandais sait qu'il est indécent d'endosser ici le costume de victime. "Je suis responsable, je suis le seul responsable", assume-t-il. "Responsable de ce choix de vie ?" interroge la présidente. "Oui et des conséquences de pourquoi je suis ici aujourd'hui, complète-t-il. Avec le travail fait depuis mon incarcération, j'ai compris beaucoup de choses." L'exercice de contrition semble réussi. Mais la lecture du rapport de l'administration pénitentiaire, versé aux débats, vient brouiller l'image.
"Je connais sa part d'ombre"
Il confirme certaines des déclarations au Dauphiné libéré (article payant) d'Elisabeth, une ex-compagne rencontrée en prison. Cette femme d'une cinquantaine d'années a contacté Nordahl Lelandais par courrier et obtenu un permis de visite. Une relation s'est nouée. Le couple a même bénéficié d'une "UVF", une unité de vie familiale de 24 heures. "Cette personne vous a versé beaucoup d'argent, souligne la présidente. Plus de 10 000 euros entre juillet 2018 et décembre 2021. Ça vous a permis de faire quoi ?" "Des cantines", rétorque, gêné, l'accusé. "Et le téléphone qu'a fait rentrer pour vous madame ?"
L'exploitation de ce portable a révélé des consultations de "sites pornographiques", de "sites de peluches d'animaux" et des échanges avec une autre femme pour laquelle le détenu a aussi demandé un permis de visite. Comment l'a-t-il rencontrée ? "J'ai créé un compte Facebook", admet l'intéressé. Fabrice Rajon, avocat de la mère et la sœur de Maëlys, attire l'attention sur d'autres courriers échangés avec une "lycéenne", avant que l'administration pénitentiaire ne stoppe ces échanges. Et sur les "12 visites" de Nordahl Lelandais sur le compte Pinterest de la jeune fille. "La connexion sautait", justifie ce dernier.
L'avocat des parties civiles donne le coup de grâce en citant les recherches avec des mots-clé "équivoques" de l'accusé sur un site pornographique qui comporte une "rubrique adolescentes" et "une autre catégorie 'petites', mettant en scène des jeunes filles". "Je ne suis jamais allé sur un site pédopornographique !" se fige Nordahl Lelandais, par ailleurs jugé pour les agressions sexuelles commises sur deux petites cousines. Conscient que son client va être mis en difficulté sur ce point dans la suite des débats, son avocat Alain Jakubowicz lui repose la question : "Est-ce qu'une fois tu es allé sur un site pédopornographique ?" La dénégation fuse : "Jamais !"
Le célèbre pénaliste brandit alors le témoignage qu'avait écrit son ex-compagne Elisabeth, en vue de sa convocation devant la cour. Quittée par Nordahl Lelandais fin décembre, elle a renoncé à venir le lire elle-même à la barre : "Je connais sa part d'ombre, il ne m'a jamais rien caché mais il est aussi empli de lumière. (...) Je sais que je risque de choquer mais Nordahl est un homme attentionné et calme, il est aimant, bienveillant et très protecteur." "C'est le nouveau Nordhal Lelandais, ce n'est pas celui qui a commis les faits", assène la défense.
Mardi et mercredi, deux anciennes compagnes fréquentées avant les faits ont elles aussi décrit un homme "charmant, marrant, séducteur et serviable", avec un côté "sombre", "tendre" mais "un peu détaché de tout". Après coup, "j'ai eu l'impression d'avoir eu une relation avec Docteur Jekyll et Mister Hyde", a résumé Laure. L'accusé encourt la réclusion crimnelle à perpétuité.