Affaire Sarah Halimi : Il faut que "la justice soit comprise par la société", plaide le Grand rabbin de France
"On ne peut pas avoir une réponse de la justice comme quoi on ne peut rien faire", insiste Haim Korsia, après que la Cour de cassation a estimé que l'assassin de Sarah Halimi ne pouvait être jugé parce qu'il avait pris de la drogue et n'était pas conscient de son geste au moment des faits.
Près de 25 000 personnes ont manifesté dimanche dans toute la France pour réclamer justice pour Sarah Halimi, cette femme de 65 ans, de confession juive, assassinée par son voisin en 2017. La Cour de cassation a confirmé l'irresponsabilité de son meurtrier. Il n'y aura donc pas de procès. La décision a suscité une vive émotion doublée d’une très forte incompréhension. Après cet arrêt, Emmanuel Macron a réclamé un changement de la loi. Une modification jugée nécessaire pour que "la justice soit comprise par la société", a expliqué Haïm Korsia, le Grand rabbin de France invité de franceinfo, lundi 26 avril sur franceinfo.
franceinfo : Haïm Korsia, vous étiez dans le rassemblement parisien hier. C'était une manifestation contre la justice ?
Haïm Korsia : Non, c'était une manifestation pour la justice, pour la fraternité, pour que la justice soit comprise, acceptée par l'ensemble de la société et l'ensemble de la Nation. N'oublions pas que la justice est rendue au nom du peuple français. Il faut donc qu'on la comprenne.
Il y a une part de responsabilité. Qu'est-ce qui empêchait la Cour de cassation de valider le principe d'un procès qui établit les faits et qui ensuite conclut au fait qu'à un moment, il avait soit une altération, soit une oblitération de sa perception du monde ? Alors là, au moins, on aurait rétabli les faits. On aurait convenu de comment cela a pu arriver, parce que sinon, on n'établit rien. C'est pour cela notamment que les personnes ont manifesté hier.
La Cour de cassation n'est là que pour lire le droit, pas pour l'écrire. Elle a estimé que le meurtrier de Sarah Halimi avait bien commis un crime antisémite, mais que son discernement était aboli au moment des faits, qu'il avait agi sous le coup d'une bouffée délirante aggravée par une consommation de cannabis. Est-ce que vous ne pensez pas qu'on peut être à la fois fou et antisémite ?
Non. Les choses sont précises. Premièrement, l'instruction démontre que c'est un acte antisémite, donc un acte pensé. Et puis après, on dit oui, mais comme il n'avait pas sa conscience, c'est un acte non pensé. Mais c'est soit pensé, soit non pensé ! C'est peut-être les deux en même temps. Et puis exactement dans les mêmes termes en 2018, la même Cour de cassation a dit qu'on pouvait faire un procès puisqu'il y avait une altération, d'après des experts, du jugement de la personne. Donc, on voit bien que c'est une question d'interprétation. Et d'ailleurs, la Cour de cassation elle-même le dit. Donc on voit bien qu'il faut définir les choses ou préciser les choses. C'est d'ailleurs ce qu'a demandé le président de République suite à ma tribune dans Le Figaro.
Quelques heures avant ces manifestations, le gouvernement a fait savoir qu'il allait rédiger un projet de loi dès le mois prochain pour répondre à l'émotion provoquée par cette affaire. Est-ce que vous estimez que vous avez désormais été entendu ?
Je pense que c'est un manque qui va être réparé. Le président de la République a entendu l'ensemble de la Nation qui ne comprend pas une décision qui permet à quelqu'un de tuer une personne de la manière la plus violente qui soit, sans avoir la moindre conséquence pénale, hors d'un enfermement dû à son état. On ne peut pas avoir une réponse de la justice comme quoi on ne peut rien faire. Ce n'est pas une réponse acceptable car c'est une réponse donnée à la société. Mais ne me dites pas que c'est juste là maintenant que la société a un problème avec la compréhension de la justice. Il y a une loi en ce moment qui est présentée devant le Parlement pour rapprocher les citoyens de la justice. C'est bien qu'il y a un problème de distance, d'incompréhension !