VRAI OU FAKE. Incidents au Stade de France : on a examiné les arguments des autorités pour expliquer le fiasco de la finale de la Ligue des champions
Incidents au Stade de France : on a examiné les arguments des autorités pour expliquer le fiasco de la finale de la Ligue des champions
Les supporters anglais étaient-ils en retard ? Des milliers d'entre eux étaient-ils munis de faux billets ? Les stadiers étaient-ils en sous-effectif ? Franceinfo a tenté de répondre à ces questions pour vérifier les dires des autorités.
"Les autorités françaises et l'UEFA ne cherchent qu'à se protéger !" C'est l'accusation lancée par le député britannique Ian Byrne après le déluge de critiques qui s'est abattu sur les supporters de Liverpool, voués aux gémonies par l'UEFA, le ministre de l'Intérieur, celle des Sports et la préfecture de police, après les incidents du Stade de France, samedi 28 mai, en marge de la finale de la Ligue des champions entre le club anglais et le Real Madrid. Alors, ouverture de parapluie ou remarques justifiées de la part des autorités ? Franceinfo essaie de faire la part des choses.
Les supporters de Liverpool seraient arrivés en retard au stade : plutôt faux
C'était l'argument utilisé par l'UEFA – et affiché sur les écrans géants du stade – pour justifier le retard de plus de 30 minutes du coup d'envoi. "A 21 heures, seuls 50% des supporters britanniques se trouvaient dans leur tribune", a expliqué le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lundi 30 mai. Et de souligner aussitôt qu'à la même heure, la tribune des supporters madrilènes était pratiquement pleine. Et pour cause.
Nombre de supporters anglais se sont en effet rendus au Stade de France via les transports en commun, notamment le RER D (le RER B, qui dessert le stade était en grève ce jour-là). "Ils sont partis du centre de Paris vers 17h30, on ne peut pas dire qu'ils étaient en retard. C'est en sortant du RER que leur parcours a été considérablement ralenti", pointe Ronan Evain, patron de l'association Fans Supporter Europe, qui observait les conditions d'accès à la rencontre. Ce que confirme un journaliste britannique également présent sur place.
Ronan Evain a constaté le goulet d'étranglement à la sortie du RER D, où 35 000 spectateurs ont tenté d'accéder au stade, selon les chiffres de la RATP. Face à eux, une poignée de stadiers équipés de scanners mobiles, chargés de fouiller les arrivants, de leur ôter tout alcool et de s'assurer qu'ils avaient bien un ticket en règle. Un dispositif sous-dimensionné, de l'aveu même des autorités, qui le lèvent à 20 heures, une heure avant le coup d'envoi. Trop tard pour pouvoir éponger le flux lors du second contrôle. "Vous n'étiez pas en retard, à 100%, ont assuré les représentants de la police de Liverpool présents sur place à un club de supporters (en anglais). Le comportement des fans aux portiques est demeuré exemplaire, même dans ces circonstances choquantes."
Il y aurait eu jusqu'à 40 000 Anglais sans billet valable : très peu probable
Le ministre de l'Intérieur l'affirme : "30 000 à 40 000 supporters anglais se sont retrouvés au Stade de France, soit sans billet, soit avec des billets falsifiés." Le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a tenu des propos similaires. Selon les informations de Radio France, une note de prévision de la Direction nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) anticipait la présence massive de supporters anglais sans billet à Paris et alertait également sur les risques de faux billets. La DNLH prévoyait ainsi la présence de "50 000 à 75 000 supporters anglais" à Paris, pour 22 000 places dans les tribunes réservées aux fans de Liverpool.
Quelque 30 à 40 000 Anglais sans billet à Paris ? C'est plausible. Il s'agit d'un trait caractéristique du supportérisme britannique : se rassembler dans les villes où sont organisées des finales pour vivre le match au plus près de l'évènement, même s'ils ne peuvent pas se rendre au stade. Pour la finale de la Ligue Europa, mi-mai, près de 100 000 supporters des Glasgow Rangers avaient fait le déplacement à Séville pour la finale contre l'Eintracht Francfort, et ce alors que le contingent de places attribuées aux fans des "Gers" ne dépassait pas les 10 000. Sans incidents notables.
Mais 40 000 Anglais sans billet sur le parvis du Stade de France, ça ne colle pas. Sur les 50 000 à 75 000 supporters anglais attendus à Paris par les autorités, il en est resté environ 40 000 à suivre la rencontre sur les écrans géants installés sur le cour de Vincennes, selon la préfecture de police, qui a annoncé dès 21 heures que la "fan zone" affichait complet. Par ailleurs, les observateurs présents n'ont pas noté une affluence supérieure à la normale d'un match au Stade de France.
Contactée par franceinfo, la SNCF n'a pas "noté d'afflux particulier pendant le match". "30 000 ou 40 000 personnes sans billet à l'intérieur du périmètre de sécurité, c'est impossible, insiste sur RMC le journaliste Stéphane Guy, qui n'a pu pénétrer dans l'enceinte qu'après 21 heures. Que ça concerne quelques dizaines de personnes, oui, mais le chiffre [avancé par les autorités] est inimaginable." Ronan Evain abonde : "Si les abords du Stade de France étaient particulièrement engorgés, je l'aurais remarqué."
70% des supporters anglais auraient été munis de faux billets : invérifiable mais très suspect
Gérald Darmanin a avancé une statistique : "70% des billets présentés au pré-filtrage étaient faux." Le ministre de l'Intérieur affirme s'appuyer sur les contrôles effectués au niveau de la sortie du RER D, notamment, ainsi qu'aux portiques du Stade de France. Sauf que personne n'a été refoulé à hauteur de ce premier point de contrôle, conteste Ronan Evain. "ll n'y avait d'ailleurs pas de cordon d'évacuation à cet endroit-là."
Le locataire de la Place Beauvau a en outre semblé s'emmêler dans ses explications. Lundi soir sur TF1, Gérald Darmanin a ainsi déclaré : "70% des personnes qu'on a contrôlées, ça veut dire 120 000 personnes, 80 000 plus les 40 000 qui n'auraient pas du être là, qui ont vu leur billet étant faux." Cela représenterait donc 84 000 personnes munies de faux billets.
Pour Gérald Darmanin, les difficultés survenues au Stade de France ne sont pas dues à un problème de gestion de la foule par les forces de l'ordre, mais à une "fraude massive, industrielle et organisée" de faux billets. Massive ? L'avocat Pierre Barthélemy n'est pas de cet avis : "En une heure, porte Y, celle des supporters de Liverpool, je n'ai constaté qu'une dizaine de cas, avec intervention des gendarmes, sur peut-être 2 000 supporters qui sont passés." On est loin des dizaines de milliers de billets contrefaits qui auraient alerté les stadiers.
Ronan Evain, également présent, évoque des "faux tickets bricolés avec une imprimante domestique ou d'accréditation scannées", pas de quoi imiter à la perfection un billet thermique avec plusieurs sécurités. La question de billets contrefaits dans les matchs de Liverpool était connue, rappelle le chercheur Ludovic Lestrelin sur Twitter. "C'était déjà le cas en 2019, abonde Ronan Evain, mais on parle de quelques centaines de billets, pas plus, pas un trafic à une aussi grande échelle que ce qui est dénoncé aujourd'hui."
La question des tickets contrefaits devrait être abordée dans l'enquête indépendante ouverte lundi par l'UEFA sur le fiasco du Stade de France. Une autre enquête a été confiée à la police judiciaire parisienne par le parquet de Saint-Denis pour faire la lumière sur cette affaire. Pour autant, sur les 48 personnes placées en garde à vue samedi soir, seulement 6 ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel, les autres gardes à vue sont maintenant levées. Surtout, "aucune garde à vue n'est intervenue pour des faits liés à des intrusions ou des faux billets d'entrée au match", a précisé le parquet de Bobigny.
Les supporters de Liverpool auraient tous eu des billets en papier : faux
A entendre les ministres de l'Intérieur et des Sports à l'issue de la réunion de crise organisée lundi, 100% des supporters anglais étaient munis de billets papier, alors que seuls 5 000 des 22 000 fans madrilènes n'avaient pas opté pour un billet électronique, réputé impossible à trafiquer. "Moins de 5 000 sur les 22 000 supporters madrilènes avaient un billet papier pour venir au Stade de France, alors que les 22 000 billets anglais ont tous été en papier", a en effet déclaré Gérald Darmanin. Une demande expresse du club anglais qui serait, selon le gouvernement, à l'origine de la désorganisation aux portiques du Stade de France.
"Mais au niveau du pré-filtrage du RER D où j'ai passé une heure, la moitié des billets présentés étaient digitaux", tique Ronan Evain. Ce qui n'a pas empêché un embouteillage XXL, car des petits malins ont tenté de faire des photos des billets présentés pour tenter leur chance au portique, selon un journaliste de la Deutsche Welle.
La version des autorités est également battue en brèche par Peter Hooton, membre de l'association de supporters des Reds Spirit of Shankly. "J'étais à la porte U, une porte neutre [où entraient des supporters des deux équipes]. Devant moi, il y avait deux supporters de Liverpool qui avaient des billets sur leur téléphone, des billets achetés auprès de l'UEFA, et pourtant le système de tourniquet ne les reconnaissait pas. Il a fallu qu'un stadier avec un scanner manuel vienne scanner leurs billets pour qu'ils puissent passer." Selon lui, le problème n'est pas celui des billets en papier mais des tourniquets et de la technologie de validation des tickets.
Pierre Barthélemy corrobore : "Souvent, les supporters détenteurs de billets électroniques n'arrivaient pas à se connecter au réseau 4G indispensable pour passer. Et une panne informatique a paralysé un temps le système de scanner, d'où les images où on voit Cyril Hanouna passer sous les tourniquets." Vous avez dit "pagaille" ? La même mésaventure est arrivée à un ami du latéral des Reds, Andy Robertson, qui a vu le ticket que lui avait donné le joueur biper rouge au moment du scan. De quoi semer le doute sur les chiffres remontés du système informatique...
Les supporters de Liverpool auraient été "laissés dans la nature" : plutôt faux
"Le fait que le Real ait à ce point encadré la venue de ses supporters, avec des bus dès l'aéroport [explique pourquoi il n'y a pas eu d'incident côté espagnol]. Ce qui tranche avec ce qu'a fait Liverpool qui a laissé ses supporters dans la nature", avance la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera sur RTL. Gérald Darmanin a complété avec des chiffres : le Real a rempli les 140 cars qui lui étaient alloués quand le club anglais n'en a utilisé qu'une poignée, ses fans se déplaçant par leurs propres moyens.
Un argument battu en brèche par Ronan Evain : "C'est n'importe quoi de taper sur Liverpool. C'est l'un des clubs anglais les mieux organisés. Ils avaient emmenés leurs Supporter Liaison Officers – les personnes chargées de faire le lien entre le club et les associations de supporters, des stadiers du cru, sans parler des fans français du club qui encadraient les Britanniques."
La police de Liverpool confirme dans un communiqué publié dimanche que "des agents de Merseyside avaient été déployés en France en tant qu'observateurs et agents de liaison avec les policiers locaux", ce qui contredit les accusations d'impréparation et de désorganisation à l'encontre des supporters anglais.
Les stadiers auraient été en sous-effectifs : possible
La ministre des Sports a déploré sur RTL "un manque de stadiers [par rapport à] ce qui avait été prévu par la FFF", une façon de souligner la responsabilité "plurielle" dans le fiasco en mondovision de cette finale de la Ligue des champions. Amélie Oudéa-Castéra préférait mettre en avant le dispositif policier mis en place pour le match, "sacrément renforcé, avec 7 000 policiers mobilisés sur l'ensemble de l'événement, dont 2 000 aux abords du stade, alors que c'est habituellement plutôt 1 000 pour des matchs similaires".
Police partout, stadiers nulle part ? C'est plus compliqué que ça, à entendre Stéphane Boudon, président du Syndicat national des employés de la prévention et de la sécurité (SNEPS-CFTC). Selon les remontées de terrain, "les effectifs étaient complets". Stéphane Boudon rapporte également "quelques tensions" entre stadiers et supporters, persuadés d'avoir un billet valide mais non-reconnu comme tel par le scanner du tourniquet à l'entrée du stade. Des "petites bousculades" restées marginales, insiste-t-il.
C'est finalement Gérald Darmanin qui a démenti les propos de sa collègue Amélie Oudéa-Castéra. Le ministre de l'Intérieur a assuré que 1 600 stadiers étaient présents samedi au Stade de France, contre 1 300 dans les matchs d'importance similaire. Un dispositif pourtant éloigné de ce qui avait été mis en place pour la finale 2019 de la compétition, à laquelle participait déjà Liverpool. Pas moins de 4 000 stadiers avaient alors été dépêchés autour du Wanda Metropolitano Stadium de Madrid.